En Martinique, face au coût de la vie, les habitants tentent de s’affranchir de la grande distribution

Article rédigé par

Robin Prudent – envoyé spécial en Martinique

France Télévisions

Publié


Temps de lecture : 4 min

Face aux prix élevés et au manque de concurrence, de plus en plus de Martiniquais se tournent vers la production locale, sans intermédiaire. Mais le défi est immense, compte tenu de la grande dépendance aux importations.

Deux briques de lait, un paquet de sucre et quelques fruits. En quittant le Carrefour de Dillon à Fort-de-France, Béatrice et son fils transportent leurs maigres achats jusqu’à leur voiture. « J’essaie d’éviter les gros distributeurs »assure la quadragénaire. A l’exception de ces quelques achats indispensables, la mère de famille se contente désormais des légumes de son jardin et des échanges avec sa famille. « Le boycott est ma façon de protester »s’exclame cette ouvrière du bâtiment, près de sa voiture. Le parking de ce grand magasin est devenu, depuis la fin de l’été, l’un des points de ralliement des manifestants contre la vie chère en Martinique.

En quelques mois, rassemblements et blocages de supermarchés se sont succédés sur l’île, à l’appel du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC). Leur revendication est claire : l’alignement des prix sur ceux pratiqués en métropole. Aujourd’hui, l’alimentation est en moyenne 40 % plus chère en Martinique, selon l’Insee. Et l’institut observe une inflation supérieure à celle mesurée sur l’ensemble de la France, qui continue de peser sur le porte-monnaie des Martiniquais.

Pour de nombreux habitants, les responsables de cette situation se trouvent à la tête des réseaux de distribution de l’île. « Nous sommes dans une situation oligopolistique en Martinique »explique Aude Goussard, secrétaire et membre fondatrice du RPPRAC. « Quelques grandes familles, héritières de l’époque coloniale, contrôlent l’ensemble du réseau de distribution »décrypte l’activiste. Parmi eux, la famille Hayot, propriétaire des magasins Carrefour de l’île, est particulièrement pointée du doigt.

« Nous ciblons tout ce qui fait partie du Groupe Bernard Hayot (GBH) »« Je ne veux pas de toi », clame Florence, face à la barrière installée devant un autre Carrefour Market de l’île, dans la commune du François. Decathlon, Monsieur Bricolage, La Brioche dorée… La militante, en tee-shirt rouge, connaît par cœur la liste des enseignes appartenant à GBH en Martinique et refuse désormais d’y mettre les pieds. En 2018, le rachat d’un Géant-Casino sur l’île par le même groupe l’a mise en garde “double colère”.

« Que fait le gouvernement face à ce manque de concurrence sur l’île ? »

Florence, militante du RPPRAC

à franceinfo

L’Autorité de la concurrence s’est penchée sur le dossier, mais a autorisé l’opération. Feu vert “sous condition”ce qui a notamment obligé le groupe à exploiter le magasin sous une autre enseigne, Euromarché, « afin de remédier au risque d’atteinte à la concurrence causé par un tel niveau de part de marché »Interrogé dans le cadre de la commission d’enquête sur le coût de la vie en outre-mer en mai 2023, Stéphane Hayot, directeur du groupe fondé par son père, a contesté tout abus de position dominante, mais a confirmé que le groupe était bien leader de l’alimentaire en Martinique, avec 25% de parts de marché.

Pas de quoi convaincre Florence, qui a décidé de privilégier ses propres terres pour se nourrir ou de passer par des coopératives de producteurs martiniquais. Une initiative qui commence à prendre de l’ampleur sur l’île.

Armés d’un stylo, plusieurs militants du RPPRAC gribouillent un à un les tracts imprimés par le mouvement. Sur un fond rouge, vert et noir, le slogan proclame : « Votre chariot est plus léger ? Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas de votre faute… c’est le prix ! » Un cri de ralliement désormais accompagné d’un lien ajouté à la main vers une application “trouver des maraîchers, des producteurs et des petits commerçants”Mis en ligne le 25 août par le RPPRAC, Mada’Cop répertorie les boutiques indépendantes et locales dans les différentes régions de la Martinique.

Au marché de l’Asile Lafcadio Hearn à Fort-de-France, l’initiative est saluée par les producteurs et vendeurs de fruits et légumes. « Il faut travailler avec des produits qui viennent du terroir du pays »insiste Florence, devant son stand de bananes, de miel et d’épices. La vendeuse de 24 ans se réjouit de voir de plus en plus de Martiniquais se rendre au marché plutôt qu’en supermarché, pour essayer d’acheter moins cher, “mais aussi pour la qualité !”

Avec ses deux gros avocats à 5 euros et son sachet de madeleines fraîches à 2,5 euros, Julien n’est pas mécontent de sa visite sur les étals. « J’essaie de négocier. »“Nous sommes très loin des grandes villes, mais nous sommes loin des grandes villes, … « C’est cher parce que ça vient de loin »il reconnaît, avant d’ajouter : « J’essaie d’acheter local pour aider la production. Mais il faut aussi transformer localement. Et là-dessus, on a beaucoup de travail. »

La tâche est en effet immense. Seulement 17 % de la viande consommée en Martinique était produite localement en 2019, selon l’Insee. C’est encore moins pour les boissons non alcoolisées, dont 90 % sont importées sur l’île. L’ensemble du système productif martiniquais, encore largement lié « au pacte colonial avec la France »doit donc être revue, selon Aude Goussard, du RPPRAC. « Nous avons été drogués par les importations »dénonce le président du mouvement, Rodrigue Petitot, dans une interview à Zitata TV. Le leader de « l’armée du ruban rouge » ne perd pas espoir : « Nous sommes comme des junkies qui l’exigent. Mais un junkie peut se désintoxiquer. »

Elise

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