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en Nouvelle-Calédonie, la commune du Mont-Dore symbolise la fracture entre les communautés

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Temps de lecture : 4 min

Après les émeutes et destructions massives du mois de mai en Nouvelle-Calédonie, le huis clos entre loyalistes et indépendantistes reste tendu. A l’extrême sud de la Grande Terre, le Mont-Dore cristallise aujourd’hui toutes les fractures du « vivre ensemble ».

La traversée depuis Nouméa n’a pas été de tout repos. La mer agitée, les passagers bien secoués dans le petit bateau pneumatique. Là “navette maritime” a été mis en place au début de la crise en Nouvelle-Calédonie, il y a plus de quatre mois, et reste encore, à ce jour, le seul lien entre Le Mont-Dore et le reste de la Grande Terre. Chaque jour, des centaines de Calédoniens vont et viennent. Ils se lèvent à 3 ou 4 heures du matin pour s’assurer d’avoir une place à bord, en espérant arriver à l’heure au travail, ou se faire soigner dans la capitale. Lorsque les conditions météorologiques ne sont pas bonnes, ils restent à quai, tout comme les barges qui apportent nourriture et carburant.

Le Mont-Dore, un territoire qui abrite une quinzaine d’habitants 000 habitants, est aujourd’hui coupée du reste de l’île. Car la seule route pour y arriver est bloquée sur plusieurs kilomètres par la police. La raison : il traverse la tribu kanak de Saint-Louis, où réside une bande armée de quelques dizaines d’individus. Le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a dénombré plus de 300 fusillades contre des gendarmes et 56 détournements de voitures ces derniers mois.

A la descente du bateau, Jean-Jacques Locker nous attend. Ce retraité de 87 ans, résident du Mont-Dore depuis 40 ans, est également secrétaire général du collectif de résidents « Mondoriens du sud ». L’objectif de ce collectif est de déposer une plainte collective visant les auteurs des violences et « tous ceux qui ont créé ces émeutes ». Il s’agit aussi de faire entendre la souffrance des habitants, qui craignent d’être oubliés. En voiture, Jean-Jacques nous parle du Mont-Dore, s’extasie sur la beauté du paysage, la montagne qui se jette dans la mer : « C’est la Côte d’Azur de Nouvelle-Calédonie ! ».

Le retraité veut croire que le vivre ensemble n’est pas mort dans ce paradis : “Wallisiens, Tahitiens, Européens, Kanaks… Nous vivons ensemble depuis des lustres, nous pouvons repartir du bon pied, mais il faut arrêter de haranguer ces jeunes comme ils le font.” Jean-Jacques parle évidemment des jeunes Kanaks qui, ici comme ailleurs en Nouvelle-Calédonie, se sont révoltés et ont dressé des barrages au plus fort de la crise. Certains habitants se sont enfermés chez eux, terrifiés, pendant plusieurs semaines.

Jean-Jacques nous emmène dans une distillerie tenue par un ami. Mais l’établissement était fermé, « neuf cambriolages depuis mai »assure Philippe, le propriétaire, qui a soudé les portes. Son activité est gelée et il n’a aucune perspective de réouverture. Lorsqu’il parle des émeutiers, il les décrit comme “terroristes”. Il n’est pas le seul parmi les loyalistes du Mont-Dore que l’on croise. Un mot chargé de sens, il le sait.

“Ce qu’ils ont fait est aussi plein de sens, ça va être difficile de leur faire confiance et de se reconnecter.”

Philippe, habitant du Mont-Dore

sur franceinfo

Un peu plus loin sur la route, un rond-point est balisé avec cette inscription : «Voici Kanaky». Jean-Jacques réagit immédiatement : « Non, c’est la Calédonie ! » Jean-Jacques nous emmène ensuite à l’écluse sud de la tribu Saint-Louis. Devant nous, les blindés de la gendarmerie bloquent la route. Aucun véhicule ne passe, sauf les ambulances.

Nous avons pu rencontrer Jean-Pierre Wamytan, l’un des chefs de clan de la tribu Saint-Louis. Il reconnaît que les anciens ont de plus en plus de mal à canaliser leurs jeunes, poussés par un sentiment d’injustice selon lui : “Il faut mieux les considérer, par exemple, nos jeunes qui étudient en métropole et qui rentrent au pays avec des diplômes. Faute d’opportunités, ils ne trouvent pas de travail. Il y a des discriminations parmi la jeunesse kanak. Ils sont découragés, en colère et c’est chaos.”

Nadine, aide-soignante de 49 ans, vit en Nouvelle-Calédonie depuis 11 ans. Elle nous accueille dans sa petite maison du Mont-Dore, perdue dans la végétation. Depuis le 15 juin, elle vit un enfer. Elle a été victime d’un carjacking “avec menace de mort” avec son fils de 22 ans alors qu’elle tentait de franchir un barrage tenu par des séparatistes masqués. Son histoire est effrayante : « Mon fils avait une pierre d’environ trois ou quatre kilos contre sa tempe et elle menaçait de le heurter s’il ne sortait pas de la voiture. Le deuxième agresseur m’a mis un couteau entre les seins, m’insultant. ». Les mots sont gravés dans sa mémoire : “Espèce de sale salope blanche, nous allons te brûler, toi et ton enfant, dans ta voiture.”. Nadine a noté “qu’ils étaient très ivres” et drogué selon elle, avec “une drogue qui vous rend méchant et agressif.”

Suite à cette agression, il y a eu une dépression, la nécessité de consulter un psychiatre et un psychologue. Concernant son avenir en Nouvelle-Calédonie, elle avoue : “Je ne sais pas, je suis perdu, je ne sais pas si je dois rester ou partir. Il n’y avait plus la même symbiose, les gens se méfient, restent sur leurs gardes.” La fracture. Jean-Jacques nous ramène à l’embarcadère. Avant de partir, il exprime un vœu pour Le Mont-Dore : « La réouverture de la route et la paix ».

Reportage avec les habitants du Mont-Dore, en Nouvelle-Calédonie, de Benjamin Illy et Hélène Langlois

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Anna

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