Ssouviens-toi. Dans la nuit du 26 septembre 2022, à 1h14 (heure de Paris), la NASA a projeté une sonde spatiale nommée Dart contre le plus petit des corps célestes formant l’astéroïde binaire (65803) Didymos. Une mission kamikaze dont l’objectif était de modifier la trajectoire de cette mini-lune nommée Dimorphos autour de son corps principal Didymos. Quant au but de l’opération, il s’agissait d’apprendre à se protéger d’un objet céleste menaçant la Terre dans le futur. L’impact, réalisé entièrement en pilote automatique, a été réussi.
La sonde Dart a réussi à modifier la trajectoire de cette roche de 150 mètres de diamètre alors qu’elle s’éloignait de 11 millions de kilomètres de la Terre ! Pour preuve, Dimorphos, qui faisait autrefois le tour de son compagnon de 800 mètres en 11 heures et 55 minutes, le fait désormais en seulement 11 heures et 22 minutes. Nous avons donc réduit sa période orbitale de 33 minutes en la frappant à six kilomètres par seconde avec une sonde de 580 kilos.
Mais à part ça, que lui est-il arrivé ? Personne ne le sait encore. C’est tout l’objet de la mission européenne Hera qui sera lancée dans le courant du mois d’octobre. “Dart a commis un crime et, maintenant, notre enquêteur va se rendre sur les lieux du crime pour trouver un maximum d’indices”, résume Patrick Michel, l’astrophysicien français à l’origine des deux volets de ce plan destiné à préserver la Terre et ses habitants de la chute d’un corps céleste.
Documenter avec précision le résultat de l’impact
Car, pour que la défense planétaire bénéficie de l’expérience Dart, les scientifiques doivent non seulement connaître l’état initial de (65803) Didymos, la poussée exercée sur Dimorphos mais aussi le résultat précis de l’impact. « Bien sûr, en réussissant à frapper, de manière autonome, un corps dont on ne connaissait au départ que la taille et non la forme (Dart ne l’a découvert que quelques minutes avant l’impact), nous avons déjà pu valider un logiciel de navigation intelligent. , propulsion, etc. Dart a bien touché Dimorphos et l’a dévié.
Mais elle l’a dévié, pourquoi et de combien ? Dimorphos était-il très léger et un simple coup suffisait-il ou était-il vraiment efficace ? Avons-nous produit un cratère ou Dimorphos s’est-il encore davantage déformé ? Avons-nous beaucoup détruit ? Nous avons besoin de toutes ces réponses pour générer des modèles les plus proches possibles de la réalité afin de pouvoir extrapoler efficacement les résultats à d’autres scénarios », explique le directeur de recherche CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur, responsable scientifique de l’Héra mission dirigée par l’Agence spatiale européenne ESA. Lui qui se bat depuis des années pour prendre en compte le risque d’impact d’astéroïdes et élaborer une solution pour y faire face.
Par ailleurs, la mission Hera apportera également de nouvelles données scientifiques dans la mesure où ce sera la toute première rencontre avec un astéroïde binaire : l’occasion de comprendre comment se forment ces objets doubles. « Sachant qu’au moins 15 % des astéroïdes sont binaires, ce n’est pas négligeable ! » souligne Patrick Michel.
Première mission multisatellite
Pour mener à bien son enquête, la sonde européenne Hera disposera de trois caméras de pointe : l’Asteroid Framing Camera (AFC) capturera des images en lumière visible pour la navigation et l’analyse de surface ; l’Imageur Infrarouge Thermique (Tiri), de la mission japonaise Hayabusa2, mesurera l’inertie thermique de la surface de Dimorphos afin d’en déduire ses propriétés physiques ; HyperScout, un imageur hyperspectral, sera capable d’identifier les matériaux qui le composent sur une large gamme de longueurs d’onde invisibles à l’œil humain. De plus, la sonde Hera est également équipée d’un altimètre laser, Palt, qui mesurera les distances pour créer un modèle 3D détaillé de la topographie de l’astéroïde.
Enfin, Hera emportera également avec lui deux minisatellites, CubeSats baptisés Juventas et Milani, qui l’accompagneront dans sa mission et réaliseront des analyses complémentaires. « C’est aussi une démonstration technologique puisque ce sera la première fois qu’une sonde mère sera envoyée dans l’espace interplanétaire avec deux CubeSats qui évolueront avec elle autour de deux corps et lui communiqueront des informations qu’elle transmettra vers la Terre. De plus, nous atterrirons également pour la première fois sur un corps de seulement 150 mètres puisqu’un des CubeSats est destiné à prendre des mesures à la surface de Dimorphos”, souligne Patrick Michel.
Grâce à son imageur hyperspectral fonctionnant dans le visible et l’infrarouge (Aspect) et son détecteur-analyseur de poussières (VUE), Milani étudiera la surface et la composition des corps formant l’astéroïde binaire ainsi que les poussières qui l’entouraient. De son côté, Juventas, équipé d’un radar (JuRa) et d’un gravimètre (Grass), réalisera des relevés pour comprendre la structure interne de Dimorphos. « Nous devons déterminer s’il s’agit d’un agrégat ou d’un monolithe, car la réponse à l’impact en dépend. Il faut donc que les modélisateurs censés reproduire le résultat de ce test de déviation sachent par où commencer en termes de structure cible », insiste l’astrophysicien.
Reste qu’avant de déployer tous ses talents, Héra a encore un peu de chemin à parcourir puisqu’elle ne devrait atteindre (65803) Didymos qu’à l’automne 2026. Promis, d’ici là, elle fera des images de la Lune, de la Terre. et surtout un peu de science en passant par la lune martienne Deimos, dont elle devrait révéler une face jamais vue auparavant.