(Québec) Le groupe de défense de la communauté juive B’nai Brith demande à Québec de mieux enseigner l’histoire de l’Holocauste à l’école et dénonce un événement dans une école secondaire de Rawdon où cinq élèves se sont récemment levés en classe pour faire le salut nazi.
B’nai Brith a officiellement demandé au ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, de copier l’Ontario. Après une série d’événements antisémites à l’école, la province voisine enseignera en effet la Shoah dès la sixième année du primaire dès la rentrée prochaine.
« Vous pouvez terminer vos études au Québec avec très peu de connaissances sur l’un des chapitres les plus tristes de l’humanité. Et puis ces jeunes peuvent être la cible de désinformation en ligne, la cible de gens qui nient l’Holocauste», dénonce en entrevue l’ancien conseiller municipal de Montréal Marvin Rotrand, aujourd’hui directeur de la Ligue des droits de la personne à B’nai Brith.
Le gouvernement de l’Ontario a annoncé la mesure en novembre dernier, à la suite d’une série d’événements antisémites très médiatisés dans les écoles. Le 15 novembre, B’nai Brith écrit au ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, pour demander au Québec d’imiter son voisin.
Face à « une marée montante d’antisémitisme […] les provinces commencent à se rendre compte que l’enseignement de l’Holocauste est inadéquat dans leur programme éducatif », lit-on dans la missive.
Une chanson nazie en classe
Le Québec n’est pas à l’abri de tels épisodes, comme en témoigne un événement survenu il y a deux semaines dans Lanaudière, capté par un téléphone et partagé sur TikTok.
CTV a dévoilé la vidéo dans laquelle on voit cinq élèves de première secondaire de l’école secondaire des Chutes de Rawdon se lever et faire un salut nazi en plein cours devant un enseignant suppléant. Au même moment, la chanson militaire allemande Érikacomposé en 1930 et fortement associé au régime nazi, joue en arrière-plan.
Le Centre de services scolaire de Samares a confirmé l’événement, qu’il « déplore ».
« Dès que la direction a été informée de cette situation, les mesures nécessaires ont été rapidement prises avec les élèves et la personne remplaçante. Le souci et l’objectif est de faire une intervention pédagogique afin de comprendre la portée du geste et sa signification. La sensibilisation a donc déjà été faite auprès du groupe et les élèves ont été rencontrés », a déclaré la porte-parole du centre de services, Maude Jutras.
Ces images sont « choquantes » pour Marvin Rotrand.
Quand ils sont si jeunes, parfois ils ne savent pas trop ce qu’ils font, ils ne savent pas que c’est extrêmement blessant. C’est exactement pourquoi l’Ontario a décidé d’agir à un jeune âge.
Marvin Rotrand, directeur de la Ligue des droits de la personne chez B’nai Brith
Une étude récente menée par un chercheur de l’Université Western auprès de 3 600 élèves du secondaire au Canada et aux États-Unis révèle qu’un tiers d’entre eux croient que l’Holocauste – le génocide des Juifs par le régime nazi – a été exagéré ou nie catégoriquement qu’il a eu lieu.
Mieux équiper les enseignants
Dans un courriel à La presse, le bureau du ministre de l’Éducation du Québec a dénoncé l’événement de Rawdon. « Les mesures nécessaires ont été prises auprès des élèves et de la personne remplaçante », écrit l’attachée de presse de Bernard Drainville, Florence Plourde.
Quant à imiter l’Ontario et à enseigner la Shoah dès la sixième année, le Québec ferme la porte. « Nous n’avons pas l’intention d’aller de l’avant pour le moment », écrit M.moi Pillage.
L’experte Sivane Hirsch, consultée par La presse, tend à être d’accord avec la position du gouvernement du Québec. « Je ne pense pas que la Shoah doive être enseignée en sixième. C’est très jeune d’enseigner un tel thème », raconte ce professeur de l’Université du Québec à Trois-Rivières qui s’est penché sur ces dossiers sensibles.
« Par contre, je pense que ces matières ne sont pas assez enseignées. Mais ce n’est pas parce que ce n’est pas assez dans le programme », nuance-t-elle.
Le gouvernement précise que le programme prévoit d’aborder la notion de génocide à trois moments au cours du secondaire. Ainsi, la Shoah est censée être abordée dès le deuxième secondaire, chez des élèves de 13 ou 14 ans, donc. Mais ce n’est pas toujours le cas, déplore Mmoi Hirsch.
Ce que nous avons découvert dans nos recherches, c’est que même s’il y a de la place dans le programme, les enseignants hésitent. Pas tous, certains l’enseignent très, très bien. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Sivane Hirsch, professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières, sur l’enseignement de l’Holocauste à l’école
Mmoi Hirsch note que certains enseignants ne se sentent pas suffisamment équipés pour enseigner correctement l’Holocauste. Le sujet est délicat. Et comme le thème est censé être abordé en toute fin d’année scolaire, il peut arriver qu’il soit sauté.
« Certaines personnes ne vont pas voir l’Holocauste en 2e secondaire, dit-elle. On va leur dire que c’est parce qu’on manque de temps, parce que c’est vraiment à la fin de l’année scolaire. »
Mmoi Hirsch vient de réaliser, en collaboration avec Sabrina Moisan, professeure à l’Université de Sherbrooke, le guide pédagogique Étudier les génocides. Cet outil vise justement à aider les enseignants à aborder ces sujets délicats en classe.
Cela dit, pour elle, il ne fait aucun doute que les génocides, dont l’Holocauste, sont une matière cruciale qui doit être mieux enseignée au Québec.
« Je suis d’origine juive. Et deux de mes trois enfants ont vécu des choses comme ça, Salut Hitler en classe envers eux », dit-elle. « Souvent, les jeunes ne se rendent pas compte du contenu de leur geste. C’est pourquoi il est très important de les éduquer sur leur sens. »
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