entrée dans la société des organisations »

Les causes du changement climatique depuis 1850 sont désormais bien connues : elles sont entièrement liées aux activités humaines. Prises dans leur ensemble, nos sociétés bouleversent les équilibres bio-géophysiques du système Terre, au point de nous faire basculer dans une nouvelle ère : l’Anthropocène. Si la date de début de cette « ère humaine » reste débattue, les observateurs s’accordent sur un point : la première révolution industrielle constitue un point d’inflexion majeur. Elle est en effet marquée par la domestication des énergies fossiles, accompagnée d’innovations dans de multiples secteurs (agriculture, santé, transports) et d’immenses bénéfices en termes de développement humain, sous-tendant une augmentation rapide et sans précédent de la population, mais aussi de l’influence humaine sur les écosystèmes.

Cette révolution technologique, économique et écologique s’accompagne d’une révolution sociale tout aussi majeure : l’entrée dans la société des organisations. La révolution industrielle est ainsi marquée par la multiplication des organisations privées et publiques qui produisent en masse, bureaucratisent, mécanisent, divisent et contrôlent le travail, mesurent les coûts, s’engagent dans des logiques de volume et de croissance, assignent des rôles, des missions et des responsabilités individuelles et collectives, étudient et segmenter les consommateurs, transformer la nature en ressource productive, organiser les marchés pour mieux les élargir, formaliser et diffuser les principes de bonne gestion.

La croissance de la taille et du pouvoir des organisations dans l’économie alimente depuis longtemps des débats houleux au sein de la société. Déjà en Amérique dans les années 1960, John Kenneth Galbraith dénonçait l’influence d’une technostructure de managers sur l’économie et la politique américaine, ou la création de besoins artificiels liés à la société de consommation. L’expansion des organisations se poursuivra par la suite. « Les grandes organisations ont absorbé la société », comme l’indique le sociologue des organisations et théoricien du risque Charles Perrow (1925-2019) dans l’article « Une société d’organisations » (Théorie et société n° 6/20, 1991).

Phénomène invisible

L’Anthropocène est donc indissociable d’un « organocène », c’est-à-dire une époque où les organisations formelles deviennent un élément dominant de nos sociétés et sont, de ce fait, intrinsèquement liées à la dégradation écologique irréversible actuelle. Le paradoxe est que ce phénomène organisationnel est désormais si omniprésent et évident qu’il semble devenu invisible et impensé, rarement abordé comme une dimension du débat climatique. Tout se passe comme si l’organisation et sa gestion, ses dispositifs, outils et institutions, étaient une technologie invisible et neutre de l’Anthropocène.

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