Après 18 mois d’inaction diplomatique, les Européens ont décidé, malgré les réticences américaines, de soumettre une résolution condamnant l’escalade nucléaire iranienne au Conseil des gouverneurs de l’AIEA, qui s’est ouvert lundi à Vienne.
Des diplomates interrogés par l’AFP évoquent « l’urgence de réagir face à la gravité de la situation ».
Car si Téhéran dément vouloir se doter de la bombe, son programme ne cesse de monter en puissance.
Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, c’est le seul pays non équipé d’armes atomiques à enrichir l’uranium à hauteur de 60 % et à accumuler des stocks toujours croissants.
Ce niveau est proche des 90 % nécessaires à la fabrication d’une bombe et bien au-dessus du plafond autorisé de 3,67 %, soit l’équivalent de ce qui est utilisé pour la production d’électricité.
Dès le premier jour de la réunion, le directeur général de l’organisme onusien, Rafael Grossi, a réitéré ses « inquiétudes », citant des « lacunes » dans le contrôle des activités nucléaires en raison de la forte restriction des inspections depuis 2021.
Il a également jugé « inacceptables » les récentes déclarations publiques de responsables iraniens sur une éventuelle évolution de la doctrine nucléaire vers une vocation militaire assumée.
Malgré cette situation encore impensable jusqu’à récemment, le Conseil des gouverneurs de l’organisme onusien, composé de 35 pays membres, n’a pas présenté de résolution depuis novembre 2022.
– « Indispensable et urgent » –
Lors de la dernière réunion en mars, Londres, Paris et Berlin (E3) avaient préparé un texte avant d’abandonner faute de soutien de Washington.
Si les États-Unis démentent officiellement tout ralentissement des efforts de leurs alliés européens, ils craignent qu’une telle action n’attise les tensions géopolitiques actuelles au Moyen-Orient, notamment à l’approche de l’élection présidentielle de novembre.
Une politique qui n’est plus tenable au vu de l’escalade, estiment les mêmes sources diplomatiques, ajoutant que « la position américaine pourrait évoluer » d’ici le vote prévu plus tard dans la semaine.
En visite en Iran début mai, Rafael Grossi est revenu bredouille, soulignent-ils.
Parallèlement, la mort du président Ebrahim Raïssi, tué dans un accident d’hélicoptère, a suspendu les discussions. Réfutant « toute tactique » de la part de Téhéran, le chef de l’AIEA s’est dit « prêt à s’asseoir avec les nouvelles autorités » après les élections anticipées du 28 juin.
Mais les Européens veulent sans tarder accroître la pression.
D’une importance symbolique à ce stade, la résolution aborde tous les points de discorde.
Tout d’abord, la présence de traces inexpliquées d’uranium sur deux sites non déclarés. « Il est essentiel et urgent » que Téhéran fournisse des raisons « techniquement crédibles », insiste le texte confidentiel consulté par l’AFP. A ce sujet, « un rapport complet » pourrait être demandé à M. Grossi.
L’Iran doit également « annuler le retrait de l’accréditation » de certains de ses inspecteurs les plus expérimentés et rebrancher les caméras de surveillance « sans délai ».
– « Reprenez le jeu » –
La République islamique s’est progressivement affranchie des engagements pris dans le cadre de l’accord international de 2015 conclu avec les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Ce pacte connu sous l’acronyme JCPOA était censé réguler ses activités atomiques en échange d’une levée des sanctions internationales.
Mais il a volé en éclats après le retrait américain décidé en 2018 par le président de l’époque, Donald Trump. Les discussions à Vienne pour le relancer ont échoué à l’été 2022.
A travers cette initiative, les Européens « montrent qu’ils rentrent dans le jeu » et « ne se laissent pas tromper » par les intentions iraniennes, commente auprès de l’AFP Héloïse Fayet, chercheuse au Centre d’études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri). .
L’Iran a déjà prévenu : « si certains pays européens malavisés adoptent une position hostile (…), ils feront face à une réponse sérieuse et efficace de notre pays », a écrit samedi l’amiral Ali Shamkhani, conseiller politique du guide suprême iranien Ali. Khamenei, dans un message posté sur X ce week-end.
Pour la Russie, qui s’est rapprochée de l’Iran ces deux dernières années, cette « résolution anti-iranienne (…) ne peut qu’aggraver la situation », a prévenu son ambassadeur auprès des organisations internationales à Vienne, Mikhaïl Oulianov.
publié le 3 juin à 17h52, AFP