Après le début de la 16e législature, le 28 juin, viendra le temps d’élire les présidents des huit commissions permanentes de l’Assemblée nationale. Ces derniers sont les arcanes de l’hémicycle, où s’effectue une grande partie du travail parlementaire. France 24 a choisi de se concentrer sur quatre d’entre eux : Finance, Droit, Affaires étrangères et Défense.
La lutte est lancée depuis les résultats du second tour des législatives pour savoir qui de la coalition de gauche Nupes (131 députés) ou d’extrême droite (89 députés) prendra la présidence de la commission des Finances le 30 juin. Suivant. La tradition républicaine veut que ce poste soit confié au principal groupe d’opposition de l’hémicycle – un processus qui met en lumière les arcanes de l’Assemblée nationale : ses huit commissions permanentes.
« Ces commissions ont deux missions. Elles font d’abord un gros travail préparatoire, à savoir un pré-examen des projets de loi et des propositions de loi – qui peut conduire à leur modification avec des propositions d’amendements – avant l’examen du texte puis en séance publique », explique Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille. « Ils ont aussi une mission de contrôle parlementaire leur permettant d’entendre les membres du gouvernement et de créer des missions d’information sur divers sujets, comme sur le fonctionnement d’une administration par exemple. »
Ces huit commissions permanentes, dans lesquelles se répartissent les 577 députés, sont composées chacune d’un président, d’un rapporteur général, ainsi que de plusieurs vice-présidents et secrétaires chargés de suivre le déroulement des votes. Chacune de ces instances a un domaine de compétence clairement identifié : Finances, Droit, Défense nationale, Affaires étrangères, Éducation, Affaires sociales, Développement durable ou Affaires économiques.
La commission des finances et sa présidence convoitée
La commission des finances est la plus convoitée des huit tant pour sa présidence que pour ses larges prérogatives. Actuellement au centre de l’attention politique, il dispose d’un large champ d’activité en matière de contrôle du budget de l’Etat. « Il est destiné à traiter tous les aspects fiscaux et financiers de la législation », précise le site Vie publique.
Ses rapporteurs disposent de pouvoirs d’investigation spécifiques, notamment grâce à la mission d’évaluation et de contrôle, instance spécialisée dans l’évaluation de l’efficacité des politiques publiques, qui existe également au sein de la commission des affaires sociales.
Selon Jean-Philippe Derosier, « c’est ce qu’on appelle des ‘contrôles sur place et sur place’ : quand on est rapporteur spécial pour la mission concernant l’Intérieur par exemple, on peut aller vérifier sur place l’utilisation des crédits par le ministère. Cette prérogative est relativement peu exercée par les parlementaires.
La présidence de la commission est, par ailleurs, objet de convoitise par l’opposition à l’Assemblée nationale. D’autant plus dans la situation actuelle, le Rassemblement national revendiquant le statut de premier groupe d’opposition, tandis que le Nupes (avec plus de députés) est considéré comme une coalition de plusieurs groupes. Le règlement de l’Assemblée nationale précise en son article 39, alinéa 3, que cette présidence revient à « un député appartenant à un groupe s’étant déclaré dans l’opposition ». Enfin, les députés de la majorité ne participent pas au vote, selon une tradition républicaine en vigueur depuis 2007.
En termes de pouvoirs, le Président de la Commission des Finances joue un rôle très important dans le mécanisme budgétaire de l’Etat : Il fixe l’ordre du jour de cette commission, rôle important lors de l’examen du projet de budget, et dispose d’un pouvoir de contrôle des Finances. Ainsi, il peut obtenir, le cas échéant, la levée du secret fiscal et se faire communiquer les dossiers des entreprises ou des particuliers. Une puissance qui explique en partie la bataille politique actuelle – impliquant le dernier président de la commission des Finances, Éric Woerth (LR) – qui s’achèvera par l’élection au poste le 30 juin.
La Commission des lois : « tout ce qui touche aux libertés et à la sécurité »
Présidée lors de la dernière législature par Yaël Braun-Pivet (Renaissance, ex-LREM), actuelle candidate au perchoir de l’Assemblée nationale, la Commission des lois est tout aussi importante, dans son genre, que celle des Finances.
« Il traite de tous les textes relatifs au souverain, c’est-à-dire de tout ce qui concerne les libertés et la sécurité », explique Olivier Rouquan, constitutionnaliste et chercheur associé au Cersa. « Les débats peuvent être vifs dans cette commission : il y a eu beaucoup de textes sensibles sur ces questions débattues ces dernières années, à cause de la lutte contre le terrorisme ou sur le maintien de l’ordre. »
Comme les autres commissions permanentes, celle des Lois peut entendre des responsables politiques pour les interroger sur des sujets qui font partie de son arrière-cour. Ainsi, par exemple, fin 2020, elle a entendu le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, parler de multiples affaires médiatiques de violences policières, de l’article 24 de la loi Sûreté mondiale ou encore du maintien de l’ordre.
La Commission des lois a également une mission de contrôle de l’action publique et peut produire des rapports a posteriori pour dresser un bilan des lois plusieurs années après leur promulgation. C’est le cas de la loi SILT – relative à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement – pour laquelle la commission des lois a dressé un bilan fin 2020, trois ans après sa mise en application.
Enfin, la Commission des lois a également d’autres champs d’action plus techniques : cela concerne les lois constitutionnelles, les lois de décentralisation ou encore les lois électorales.
La commission des affaires étrangères « prestigieuse et très discrète »
C’est l’une des commissions les moins visibles du grand public mais l’une des plus « prestigieuses » : la commission des affaires étrangères, comme son nom l’indique, traite de tout ce qui touche à la diplomatie et aux relations internationales de la France.
« Comme la commission des lois, elle est considérée comme prestigieuse par les parlementaires, ce qui est également lié à la position prestigieuse du Quai d’Orsay. Des députés aguerris souhaitent souvent faire partie de cette commission », explique Olivier Rouquan. « C’est une commission très discrète, rarement médiatisée, mais qui fait un travail de fond et des reportages souvent très intéressants, veille sur notre géopolitique et produit des études assez pertinentes, notamment sur les différents enjeux de la mondialisation. »
Entre autres productions de la dernière législature, la commission des affaires étrangères a notamment produit début 2022 un rapport d’information « sur les négociations internationales relatives au changement climatique » après la COP26 à Glasgow.
Les députés qui composent cette commission peuvent, en outre, être appelés à « accompagner le chef de l’Etat dans certains de ses déplacements ainsi qu’à se déplacer à l’international », ajoute Jean-Philippe Derosier. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, le président de la commission des affaires étrangères, Jean-Louis Bourlanges, s’est notamment rendu à Helsinki fin mars « pour des entretiens sur la sécurité en Europe », comme l’a relayé l’ambassade de France en Finlande.
Entre autres défis, la nouvelle commission devra probablement se pencher sur la réforme de la haute fonction publique, qui déclenche un mouvement de grève sans précédent parmi les diplomates français.
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Le Comité de défense stratégique avec la guerre en Ukraine
La commission de la défense nationale et des forces armées est l’une des commissions permanentes les plus importantes, surtout avec la guerre en Ukraine qui a commencé sous la législature précédente.
« Elle s’occupe de tout ce qui touche à l’orientation de la politique de défense et à l’organisation des armées, renseignement compris », précise Olivier Rouquan. « Elle a beaucoup travaillé lors du mandat précédent, puisque le budget des armées a augmenté depuis 2019 et qu’il y a eu des décisions à prendre sur les engagements et les investissements nécessaires ».
Les membres de cette commission tentent d’assurer, d’un mandat à l’autre, une continuité de l’action politique. Mais vingt des 62 députés qui y siègent n’ont pas été réélus lors des dernières élections législatives, comme le note Var-Matin. « C’est embêtant car il va falloir reconstituer, pour chaque nouveau membre, une connaissance de la situation géopolitique de notre pays ainsi que sur les problèmes de nos armées », a expliqué au quotidien régional le parlementaire varois André Guiol.
Et le défi s’annonce de taille pour la nouvelle législature : selon Olivier Rouquan, « nous devons poursuivre le travail qui, avec la guerre en Ukraine, nécessite de repenser notre défense dans le sens d’augmenter les moyens, puisque nous voyons des risques qui sont désormais sur le sol européen ». Et le constitutionnaliste considère que « l’un des débats les plus intéressants à suivre », dans cette commission, devrait concerner « des propositions qui viendront de l’exécutif, ce qui risque de raviver l’idée d’une défense européenne mieux coordonnée tant sur les objectifs que sur les moyens ». .
France 24