Front uni des syndicats au Sénat contre le bulletin de paie très simplifié, le patronat n’est pas très enthousiaste non plus

Le projet d’une fiche de paie réduite, avec quelques gros agrégats sur une dizaine de lignes, avait déjà suscité de sérieux doutes au sein du Sénat. Le fameux article 7 du projet de loi de simplification économique n’a pas convaincu les partenaires sociaux, réunis devant la commission spéciale du Sénat, lors de deux tables rondes, ce 16 mai 2024.

Le ministère de l’Économie propose dans le texte un bulletin bien plus simplifié que les modèles actuellement diffusés par les entreprises. Son exemple se résumerait à présenter les grands agrégats, le montant brut, le montant net, le montant de l’impôt sur le revenu, ainsi que les cotisations sociales patronales et salariales. Enfin, deux lignes mettraient en évidence le coût total pour l’employeur et le total net payé au salarié.

Les entreprises seraient toutefois tenues de fournir dans un premier temps aux salariés qui en font la demande le détail des cotisations par catégorie de protection sociale (maladie, retraite, chômage, maladies professionnelles ou encore famille). Deuxièmement, les salariés pourront accéder au détail des cotisations sur une « banque de données sociales » en ligne, ce que l’exécutif annonce pour 2027 au plus tard.

«Moins de compréhension des mécanismes de protection sociale», s’inquiète la CFDT

Le projet, qui sera examiné le 3 juin au Sénat, au milieu d’autres séries de simplifications administratives censées faciliter la vie quotidienne des entreprises, a provoqué un tollé parmi les représentants des salariés. Pour Aurélie Seigne, cheffe du département économie et société à la CFDT, un tel bulletin entraînerait une « complexité d’accès à l’information » pour les salariés ainsi qu’une « moindre compréhension des mécanismes de protection sociale ». La première organisation syndicale regrette également la disparition des réductions et exonérations de cotisations dans le projet communiquée par le gouvernement. « C’est quand même de l’argent public qui permet de financer les salaires », rappelle le syndicaliste.

Thomas Vacheron, secrétaire confédéral de la CGT, a estimé que derrière la « destruction de la fiche de paie », il y avait « la destruction de la Sécurité sociale ». « Supprimer des lignes signifie, à terme, potentiellement supprimer des droits demain », a-t-il interprété.

A Force ouvrière, Patrick Privat s’insurge notamment contre la mise en avant d’un « coût total employeur », dans un visuel publié par le gouvernement. «C’est de la culpabilité. C’est : combien vous coûtez à l’entreprise ! » « Nous ne gagnons pas seulement un salaire net, mais un salaire brut. Le reste est un salaire différé. Suggérer qu’en simplifiant la masse salariale on va simplifier la vie des entreprises, c’est se moquer du monde. Tous les éléments du bulletin de paie doivent être conservés dans l’entreprise, ne serait-ce que pour faire la déclaration sociale nominative », a ajouté ce trésorier confédéral de FO. Pour cet administrateur siégeant à l’Urssaf (Union pour le recouvrement des cotisations sociales et des allocations familiales), l’organisme collecteur, il serait plus judicieux de « labelliser » les fiches de paie, autrement dit d’introduire l’idée d’un modèle standardisé pour tous. entreprises.

« On constate que les organisations patronales ne réclamaient pas particulièrement cette simplification », a même indiqué Aurélie Seigne (CFDT). En effet, les employeurs interrogés juste avant ne soutenaient pas vraiment le projet du gouvernement sur ce point.

Un changement « artificiel », qui « ne va pas dans le bon sens », selon le Medef

« La fiche de paie est le résultat de normes qui se sont accumulées les unes sur les autres, le fait de vouloir simplifier en faisant disparaître des lignes, c’est en quelque sorte mettre de la poussière sous le tapis (…) C’est artificiel », a expliqué Thierry Mallet, co-président de la commission « simplification et réforme de la sphère publique » au Medef. « Il vaudrait mieux se poser la question de tous les impôts sur la fiche de paie, peut-on les unifier, les simplifier », a résumé le président du groupe Transdev. Par sa voix, le Medef estime que ce bulletin très simplifié n’irait pas « dans le bon sens ».

Stéphanie Robert, directrice générale de l’Association française des entreprises privées (Afep), qui représente la voix des grandes entreprises, s’est « associée » aux propos de son confrère. « Il faut être très prudent avec ces perspectives que nous qualifierions de simplificatrices, car derrière elles se jouent des choses absolument énormes pour comprendre notre système de protection sociale et son financement. Il ne faut pas cacher la réalité du sujet. Le gestionnaire estime que l’éducation sociale passe notamment par un bulletin de notes complet. « Si nous simplifions trop, nous risquons de passer à côté des vrais enjeux. Et puis qu’est-ce qui peut faire levier sur des réformes qui nous semblent tout à fait essentielles. »