Le président russe Vladimir Poutine pourrait-il décider d’interdire aux joueurs russes, comme Matvei Michkov, de jouer dans la LNH ?
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Tout ça pour stopper le « pillage des talents » de la LNH. C’est comme ça qu’on en parle en Russie et c’est pour ça que la KHL a été créée au début des années 2000. Et tout cela alors que le président russe ne manque pas de nombreuses occasions de faire revenir ceux qui soutiennent l’Ukraine, comme le Canada et les États-Unis.
« Est-ce que Poutine pourrait le faire ? Oui, tout à fait, c’est à la portée de ses compétences », explique Jean Lévesque, professeur d’histoire à l’UQAM, spécialisé dans le sport international et la politique russe.
Il rappelle que la séparation entre politique et sport en Russie n’est pas la même qu’ailleurs.
« Il pourrait faire une sorte d’embargo, ça irait dans le sens des patrons des équipes qui veulent garder les talents. »
J’ai demandé au professeur s’il l’avait pris, Michkov, avec tous ces pieux.
« Les Canadiens peuvent-ils gérer tout cela? C’est une question qui reste diplomatique, parce que nous soutenons l’Ukraine, qui est en guerre avec la Russie, donc nous sommes indirectement en guerre avec la Russie », explique-t-il.
« S’il n’y avait pas de guerre, je la prendrais tout de suite, parce que tout se négocierait. Mais là, c’est un gros obstacle », ajoute-t-il, mentionnant qu’il serait beaucoup plus difficile pour un joueur russe de s’échapper du pays qu’à l’époque de l’Union soviétique.
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Leur vie en jeu
Cette fois n’est pas si loin. Elle se souvient qu’il n’y a pas si longtemps, jouer dans la LNH, quand on est un joueur russe, c’était dangereux. La vie de ces athlètes était en jeu.
L’excellent défenseur Oleg Tverdovky s’est vu demander une rançon de 200 000 $ en 1996, alors qu’il jouait pour les Mighty Ducks d’Anaheim. Son ancien entraîneur en Union soviétique avait kidnappé sa mère. Cet entraîneur croyait avoir droit à ce montant, puisque Tverdovsky empochait 4,2 millions de dollars pour jouer dans la LNH.
Alexander Mogilny a été le premier à s’échapper de Russie, en 1989. Avec Pavel Bure et Sergei Fedorov dans son équipe junior, il était l’un des plus grands trésors de l’histoire du hockey soviétique. Il vient de fuir la Suède après un championnat mondial de hockey junior.
Archives photographiques, Agence QMI
Alexandre Mogilny
Mais ce n’est pas pour rien queAlexandre le Grand, comme on l’appelait, tenu à l’écart des caméras et de l’attention en Amérique du Nord. En 1994, Sergei Fomichev, un Russe qui avait aidé le joueur de hockey à se sauver, avait tenté de lui extorquer près de 200 000 $.
Le FBI était intervenu et avait permis l’arrestation et l’expulsion de Fomichev.
L’émission d’investigation Première lignede PBS, a retracé en 1999 une foule d’histoires d’extorsion et de menaces d’hommes d’affaires criminels russes contre les joueurs de la LNH du pays, tels que Vyacheslav Fetisov, Pavel Bure et Alexei Zhitnik.
Archives photographiques, Agence QMI
Pavel Buré
En 1993, mon collègue Réjean Tremblay, alors à La pressequi avait été l’un des premiers à révéler des cas d’extorsion par la mafia russe de joueurs russes de la LNH, dont Fetisov.
Selon des journalistes d’investigation de Première ligne, l’ancien nordique Valeri Kamensky aurait joué un rôle clé dans l’arrivée de l’un des mafieux les plus puissants de Russie, Vyacheslav Sliva, au Canada en 1994. Kamensky aurait demandé aux Nordiques de préparer un visa pour Sliva, disant qu’il était un ami des joueurs. Kamensky a ensuite nié.
Quelques années plus tard, Sliva est arrêtée et déportée en Europe. Des micros cachés dans sa maison ont démontré « qu’il contrôlait toutes ses opérations dans le monde depuis sa base à Toronto », révélait le média international RFE/RL en 1997.
L’affaire Panarine
Plus récemment, un autre joueur russe a été impliqué dans une histoire mystérieuse. En février 2021, la star des Rangers Artemi Panarin a été accusée par son ancien manager d’avoir frappé une jeune fille de 18 ans 10 ans auparavant dans un bar d’hôtel en Lettonie.
L’entraîneur a déclaré avoir échappé à la justice après avoir distribué des pots-de-vin.
Et son ex-coach en question, ce n’était pas n’importe qui. Il s’agit d’Andrei Nazarov, qui a disputé 571 matchs dans la LNH en tant que dur à cuire et a été entraîneur pendant près de 15 ans dans la KHL, dont l’an dernier à Sotchi. Flamboyant, Nazarov est capable d’être fou derrière le banc. C’est l’entraîneur de la KHL qui a déjà frappé les partisans assis derrière lui avec un bâton de hockey il y a quelques années.
L’histoire de Panarin a d’abord fait sensation par la gravité des actes qui auraient été posés, puis rapidement par l’incohérence des accusations. Aucun témoin n’a pu se souvenir de quoi que ce soit au sujet de l’incident.
Photo d’archives, Getty Images via AFP
Artémi Panarin
Ce que tout le monde retenait en revanche, c’est qu’un mois plus tôt, Panarin avait affiché sur les réseaux sociaux son soutien à Alexeï Navalny, le principal opposant à Vladimir Poutine.
Les gens se souviennent également que le pro-Poutine Nazarov s’est souvent prononcé contre les joueurs russes qui critiquent leur pays d’origine. Il avait demandé la démission d’Alexei Kovalev en tant qu’entraîneur de la KHL, car il avait également soutenu Navalny.
Au moment où il a accusé Panarin, Nazarov était au chômage. L’année suivante, il est réembauché comme entraîneur dans la KHL. S’agissait-il d’un ordre ou d’une demande politique en échange d’un nouveau poste ?
C’est impossible à savoir. Et c’est le problème du hockey russe, même des décennies après le régime soviétique. Il y a trop de choses impossibles à savoir. Et ce ne sont certainement pas des éléments sportifs ou juridiques. C’est beaucoup plus grave et inquiétant.
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