« Il y a la mise en scène d’un parti qui fonctionne comme les autres, avec une bureaucratie »

Que révèle le déroulement des élections législatives sur l’organisation interne du parti ?

Cela m’a fait un sentiment de déjà-vu. Certains acteurs et observateurs politiques ont la mémoire plutôt courte. Avec une recherche rapide, on se rend compte qu’à chaque séquence électorale, depuis les années 2010, période durant laquelle le RN a augmenté son nombre d’élus (députés, élus municipaux et régionaux), il y avait déjà des articles qui consacraient du temps à ces questions. Il est quand même étrange de s’étonner de trouver des candidats tenant des propos d’extrême droite au RN (à l’extrême droite, donc). Si cela est surprenant, c’est parce qu’une partie du discours de normalisation a peut-être été intégrée dans de nombreuses manières d’interpréter le monde politique par certains groupes (journalistes, sondeurs, etc.). Ils considèrent que la normalisation est un acquis.

Le directeur général du parti, Gilles Pennelle, a démissionné après le second tour des législatives. Comment comprendre cela ?

Il faut remettre cette démission dans son contexte. Il faut que toutes les parties trouvent des récits pour expliquer la défaite. Dans ce cas, il faut remettre en cause cette démission, car il n’a pas perdu ses fonctions internes ni électives (Gilles Pennelle est toujours membre du bureau exécutif et du bureau national du RN, et député européen, ndlr).

Les candidats désignés comme « moutons noirs », ainsi que plusieurs militants, sont convoqués devant une commission des conflits. Une nouvelle façon de gérer les éléments indésirables au RN ?

L’idée de la commission des conflits n’est pas propre au RN, un organe similaire existe dans de nombreux partis. La littérature scientifique sur le sujet montre que ce sont des commissions qui servent à mettre en scène des résolutions de conflits, et que parfois les partis politiques ne respectent pas leurs principes. Avec cette séquence, il y a la mise en scène d’un parti qui fonctionne comme les autres, avec une bureaucratie. C’est un peu plus compliqué en pratique. Au RN, la commission décide de certaines exclusions. Elle est composée de la direction du mouvement, mais on ne sait pas vraiment qui y siège réellement. Au RN, certaines exclusions se font aussi en dehors de ce cadre. On peut quitter le RN parce que plus personne ne vous répond en interne, ou on est viré par un membre de la direction.

Avec l’exclusion du « mouton noir » par la commission des conflits et l’annonce d’une réorganisation, l’idée est de montrer un parti qui fait son mea culpa et qui a compris les raisons de la défaite relative. Il faut être prudent avec ce récit.

Ces annonces de réorganisation me rappellent 2018, suite à la « défaite » à l’élection présidentielle de 2017. En interne, si personne ne s’attendait vraiment à une victoire de Marine Le Pen, beaucoup de critiques internes avaient été émises suite au débat du second tour. A l’époque, il y avait déjà eu la nécessité de construire un récit autour de la défaite et de la nécessité de trouver une nouvelle porte de sortie, puis une réflexion autour de la refondation du parti. Selon les dirigeants du FN, il fallait remettre en cause la verticalité du parti, impliquer au mieux les élus, les militants et les adhérents. La création d’un conseil national des élus locaux avait même été actée, Marine Le Pen avait fait le tour des fédérations pour rencontrer les adhérents, un formulaire leur avait été fourni pour poser leurs questions directement à la direction, … Mais en réalité, cette « refondation » n’a pas vraiment été suivie d’une mise à jouret je n’ai pas trouvé trace de réunions d’un conseil d’élus locaux. Il y avait aussi l’idée de mieux contrôler les candidats, mais au fond, le parti n’a pas changé de structure. En réalité, cette séquence avait surtout construit un récit particulier autour du changement de nom du parti, de Front National à Rassemblement National.

Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte différent, avec beaucoup plus de députés. Maintenir l’unité partisane dans un petit groupe est plus facile que dans un grand. Il doit y avoir des tensions en interne.

Ces annonces de réorganisation et de tri de ses militants sont-elles une manière pour le RN de se normaliser ?

Aujourd’hui, le discours sur la dédiabolisation comme stratégie n’est plus très répandu. On ne remet plus vraiment en cause ce récit. Pourtant, quand on travaille sur le parti, on se rend compte qu’il y a un mode d’institutionnalisation particulier et qu’il ne fonctionne pas comme les autres. Il est marqué par une forme d’inertie organisationnelle très importante. Il est marqué par la concentration des pouvoirs, ce qui est aussi le cas des autres, mais le RN fonctionne de cette manière depuis les années 1970.

Au cours de mes investigations, j’ai montré que le RN est affecté par une tension très forte entre ses membres, et par une gestion interne très personnelle et personnalisée, ce qui ne veut pas dire que dans d’autres partis, la proximité avec les membres dirigeants ne joue pas un rôle dans les carrières. Mais au RN, elle est plus prédominante qu’ailleurs. Obtenir un mandat électif ne signifie pas que l’on va devenir important en interne, par exemple. Les lieux de pouvoir ne sont pas forcément les instances dirigeantes, c’est plutôt l’entourage de celui qui est en charge. Les statuts lui laissent beaucoup de pouvoir. Dans les autres partis, c’est plus contrasté. À droite, par exemple, il y a des instances où sont représentés les élus, à gauche on représente les tendances.

Y a-t-il eu des changements dans l’organisation du parti depuis l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir ?

A l’époque de Jean-Marie Le Pen, le parti était véritablement une petite force partisane, tandis que Marine Le Pen exerçait ses mandats dans un parti en voie de consolidation. Je n’ai cependant pas constaté de différence drastique dans la gestion des affaires internes. Le mode de gestion personnalisé prédominait toujours. C’est aussi vrai dans d’autres partis politiques, mais au RN, il est très important de comprendre comment se jouent les rapports de force. Des personnes que j’ai interrogées lors de mes enquêtes m’ont par exemple dit qu’elles accédaient à des postes de direction sans avoir rien demandé. Il était possible d’intégrer le bureau politique en dehors d’un congrès. Ce sont des modes de gestion particuliers pour un parti qui se revendique professionnalisé.

Anna

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