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« J’ai trouvé le job parfait, je peux vivre toutes les vies ! »


jeIl est assis à une table sous la véranda du Sélect (Paris 14e), nous sommes installés dans un autre. Il est grand – très grand –, a les yeux bleus – très bleus – une belle apparence et un large sourire. En jean, baskets, doudoune fine sous une veste beige, Romain Puértolas ne ressemble pas aux habitués de cette brasserie mythique de Montparnasse. Celui qui vit désormais en Espagne nous a donné rendez-vous ici par commodité, son hôtel n’est pas loin, tout comme son éditeur.

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L’auteur de Comment j’ai rencontré Xavier Dupont de Ligonnès (Albin Michel), roman qui mêle enquête vraie et fiction délirante, revient à Paris pour une promotion un peu particulière : il y a treize ans, le 21 avril 2011, les corps d’Agnès Dupont de Ligonnès et de ses quatre enfants.

LIRE AUSSI Rencontre avec Fabrice Rose : « J’ai vécu en prison comme un gars libre, grâce à la littérature et à mon esprit » La conversation commence tout naturellement avec… le RER A. Une ligne qu’il utilisait lorsqu’il était capitaine de police à l’Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (anciennement Occriest) et qui marque le début de son aventure littéraire. En effet, c’est dans ce train qu’il écrivit presque entièrement le roman qui le révéla : Le parcours extraordinaire du fakir coincé dans une armoire Ikea (Le Dilettante). Il a ensuite noté toutes les idées qui lui venaient en tête sur son Samsung Galaxy et se les a envoyées par email.

«J’écris comme je respire!» ” Il avait l’habitude de dire. A table, dans les toilettes, en jouant au foot avec ses enfants, il écrit tout et tout le temps, des phrases entières : « Ça coule comme un robinet, comme une douche ! » rigole-t-il, quitte à faire des envieux. En trois semaines, son premier roman était terminé.

Avec des compétences linguistiques et un sourire, vous avez tout ce que vous voulez dans la vie

Et il a cette imagination débordante depuis l’enfance. « Cela m’a aidé à écrire, c’était la seule chose pour laquelle j’étais bon. » Le jeune lecteur d’Agatha Christie et de Jules Verne, qui rêve de devenir inspecteur de police, grandit entre un père colonel, mais aussi artiste à ses heures perdues, et une mère adjudant-chef qui déteste l’autorité. « J’aurais aimé qu’on ait des billets à vie », dit gentiment son père, qui allait lui inculquer cette curiosité insatiable et cette incapacité à rester assis. Dilettantisme, instabilité ? Non, Romain Puértolas ne supportait pas de s’ennuyer. Pour lui, le changement est « une nécessité ».

L’homme qui parle six langues, diplômé en météorologie, formé pour devenir garde du corps (il n’a pas pratiqué) et contrôleur aérien (“la seule chose que j’ai échoué”), a été successivement DJ de rap, machine à sous nettoyeur, divulgateur de tours de magie sur YouTube, professeur d’espagnol et flic. « Avec la maîtrise des langues et le sourire, on a tout ce qu’on veut dans la vie », répète-t-il aux jeunes qu’il rencontre dans les écoles lors de ses conférences.

Flic puis écrivain à succès

Il a changé d’emploi « tous les deux ans » et a déménagé « trente-neuf fois en trente ans ». Il aurait pu être agent secret puisqu’il aime changer d’identité, mais il aimait trop la vie pour se cacher derrière une légende. Il restait un écrivain. « J’ai trouvé le job parfait, je peux vivre toutes les vies ! ” Et ça a marché.

Romain Puértolas, qui avait pris soin d’imprimer lui-même trois exemplaires de ses romans inédits pour ses proches, n’aurait jamais imaginé un tel succès. « J’envoyais toujours mes manuscrits, j’ai reçu 22 lettres de refus ! » Comme Grégoire Delacourt (ex-publicitaire devenu auteur à succès avec La liste de mes envies) ou un Michel Bussi (ancien professeur de géographie), la vie de ce flic qui travaillait notamment dans les coulisses de Frontex a basculé du jour au lendemain. En 2013, son improbable histoire de fakir devient rapidement un best-seller, aujourd’hui traduit dans 50 pays, vendu à 1,5 million d’exemplaires dans le monde et adapté en film.

Les enfants voient leur papa lire toute la journée au bord de la piscine…

« C’était un tsunami dans ma vie ! » Sur le plan financier, bien sûr. Il vit désormais dans une grande villa face à la mer, à Malaga, et peut acheter ce qu’il veut. Mais ce fils de militaires a les pieds sur terre, des baskets à 50 euros, jure-t-il, et des montres à 150 euros, « tout au plus ». Sa vie personnelle n’a pas trop changé, il est toujours marié à une pédiatre espagnole avec qui il a deux enfants. En revanche, il a parfois du mal à inculquer la valeur du travail à sa progéniture. « Les enfants voient leur papa lire toute la journée au bord de la piscine… » Ils le voient aussi écrire devant son ordinateur, parfois vingt heures d’affilée. « J’écris le dimanche, j’écris pendant les vacances. En fait, je n’aime pas les vacances. »

Son dimanche idéal : Le matin, la famille Puértolas a un petit rituel : « Avec les enfants et ma femme, nous nettoyons la maison. » Alors, écrit le père – mais il fait ça tous les jours. Il s’adonne également à une autre de ses passions : la musique. « J’ai un studio chez moi où je compose : du rap, de la pop, des musiques de films… Je fais de grandes orchestrations, tout seul, avec mes ordinateurs. »

Avec ce succès inattendu – mais finalement logique pour celui qui a toujours réussi tout ce qu’il entreprend – il bénéficie de la reconnaissance du public. Ses lecteurs adorent son rebondissements, des tours de magie littéraires qui surprennent, et son humour décalé. Mais derrière les longs titres et les histoires folles, il y a souvent des sujets sérieux : les clandestins (en Le voyage extraordinaire du fakir…), les attaques (en Vive encore l’empereur !*), disparitions d’adolescents (en Beau**)… et le quintuple meurtre à Nantes (en Comment j’ai rencontré Xavier Dupont de Ligonnès).

Pour son dixième roman, l’écriture a été plus difficile. Pour faire rire avec un quintuple meurtre, il fallait oser. « Je suis comme ça, c’est mon côté sarcastique ! Mais je ne fais jamais d’humour sur les victimes. » Le fugitif le plus célèbre de France l’obsède depuis 2011. Alors qu’il était encore policier, il a commencé à enquêter pendant son temps libre. « De nombreux policiers se sont penchés sur l’affaire », nous a-t-il expliqué. Puis il mélange la fiction à ses recherches pour en faire un ovni littéraire. Eh bien, c’est en réalité un ami d’enfance de Xavier Dupont de Ligonnès, surnommé « XDDL », qui l’appelle. Il s’excuse avant de décrocher.

L’affaire le hante toujours, il en parle les yeux écarquillés et les bras agités. Car, si le titre vend des retrouvailles avec l’homme qui “soi-disant” a tué toute sa famille, en réalité, ce n’est pas le cas. Là, c’est l’instinct de chasseur de l’ancien flic qui se réveille. Depuis la parution du livre en février, il a reçu de nombreux témoignages – pas toujours crédibles -, il a aussi fermé certaines pistes, et créé une cellule avec un ancien collègue. Quiconque n’a jamais cru à la théorie du suicide est convaincu que le meurtrier présumé se trouve quelque part en Europe, « dans un pays chaud ». En Espagne ou en Italie ?

L’écrivain Puértolas envisage également de lancer un tome II. Il a visiblement déjà pris beaucoup de notes. Et au rythme où il écrit, son livre pourrait sortir avant le tournage de l’adaptation cinématographique. Le scénariste et producteur Luc Bossi en a acheté les droits.

LIRE AUSSI Rencontre avec Yves Jobic : “Quand j’étais flic, on avait une mentalité de chasseur, pas de fonctionnaire” Avec « Xavier », il y a des points communs, dit-il, en toute sincérité. Polyglotte, séducteur, beau parleur, capable d’une grande adaptabilité… Du coup beaucoup plus sérieux, Puértolas se met, devant nous, dans la peau de Ligonnès. C’est troublant. « Je marche dans les champs, je pense à ce que je vais faire, je suis en dépression, j’ai peur… Le passé revient. » Il imagine le fugitif, sa housse de combinaison contenant un fusil en bandoulière, errant dans le sud de la France, après avoir reçu un appel téléphonique de la PJ.

Il ne croit pas au dernier rapport du Doubs (en fait, il ne s’agissait pas de Dupont-de-Ligonnès comme on l’a appris après cet entretien, NDLR) et ne veut pas s’attarder sur les récentes déclarations de la sœur et du beau-frère. de Ligonnès pour qui le drame serait une « mise en scène ». Pour lui, il est impossible pour cet homme à femmes de vivre treize ans reclus dans un monastère ou une communauté religieuse. S’il publie une suite, il lui faudrait un gros scoop. “Je dois trouver l’arme!” ” il dit. Nous ne savons pas s’il est sérieux. En tout cas, il a déjà contacté des détecteurs, des personnes qui pratiquent la détection de métaux.

Un monde sans religions, sans football ni politique

Regrette-t-il de ne plus faire partie de la « Maison de la Police » ? Absolument pas. Il se sent beaucoup plus « puissant » lorsqu’il écrit des livres. Certes, tout n’a pas été si simple, il a vécu une petite traversée du désert après la parution de Fakir – « J’étais un peu déprimé, certains livres ne marchaient pas » – mais rien de grave comparé à la violence et à la misère sociale auxquelles ses anciens collègues sont confrontés au quotidien. « Moi, dans mes livres, je peux changer la réalité », assure-t-il. Je crée mon monde. » Un monde dont il rêve sans religion, sans football et sans politique. « Les trois choses qui divisent le plus les gens », selon lui.

Romain Puértolas est un idéaliste. Et comme, dans la vraie vie, il n’a pas de baguette magique, il préfère égoïstement vivre dans sa « bulle », coupé de l’actualité. Il n’a jamais voté, ne connaît pas les noms des ministres, il se désole de l’air du temps, du jugement permanent, des commentaires stériles sur les réseaux sociaux, du wokisme, de la Cancel Culture… Lui qui détient une première édition de Dix petits nègres ne comprend pas « cette société qui veut tout édulcorer ». Lui qui était de bonne humeur, on a réussi à l’embêter. « Être humain me fatigue… »

*Le Dilettante

**Albin Michel

Chaque dimanche, Indiquer a rencontrer personnalités connues et moins connues du monde de la culture, de la télévision, du cinéma, de la gastronomie, du sport, des affaires… Ils se prêtent au jeu des interviews intimistes, nous racontant leur parcours, parfois semé d’embûches, nous livrent quelques confidences et nous livrent leur vision de la société.


Anna

À chaque coup de stylo, créez des histoires captivantes. Découvrez des vérités cachées à la fois. 📝 🔍

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