«Je veux pouvoir rentrer chez moi le soir»


VVisible à plusieurs centaines de mètres à la ronde, un épais panache de fumée noire se mêle au ciel gris au-dessus de Carquefou. Il s’agit d’un incendie de palettes et de pneus allumé devant l’entrée du centre pénitentiaire établi ici, au nord-est de Nantes, et sur lequel Erwan* et ses collègues veillent depuis mercredi matin.

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En plus de nourrir le foyer, ces gardiens sont également chargés d’avertir les quelques familles venues au parloir que celui-ci ne pourra pas avoir lieu, comme toutes les activités pénitentiaires (ateliers, sports, promenades, etc.), toutes annulées en réaction à le drame, l’attaque de mardi contre le fourgon de la prison dans l’Eure, qui a complètement ébranlé la communauté. « La plupart d’entre eux comprennent et nous adressent un mot de sympathie avant de se retourner », précise Erwan.

Au total, comme un peu partout en France, ce sont près de 200 personnes, à la mi-journée, qui se sont rassemblées devant l’enceinte nantaise, où le taux d’occupation atteint 180%, pour l’hommage rendu à deux d’entre eux, tombés sous les balles en La Normandie. Hommage rejoint par toute la chaîne judiciaire avec, à quelques kilomètres de là, une minute de silence observée à 11 heures dans le hall du palais de justice.

Ici comme ailleurs, tout le monde a articulé les mêmes mots, la même désolation pour exprimer le « choc », l’« émotion considérable », mais aussi la « colère » face à cette tragédie. « On s’est dit qu’un jour il se passerait quelque chose car plusieurs signalements avaient déjà été faits sur le manque de moyens humains et matériels », s’insurge Yann Hervé, secrétaire régional adjoint Grand Ouest Ufap-Unsa Justice. Sauf que les ministères n’interviennent qu’après les drames. Désormais, nous attendons des actions fortes en termes de personnels et de matériels adaptés à ces missions. On ne peut plus sortir avec de simples gilets pare-balles, qui n’arrêtent pas des calibres comme ceux utilisés. »

Chez PREJ, les agents parcourent 5 000 à 6 000 kilomètres par mois

Jérôme* en sait quelque chose. Affecté au PREJ (pôle d’extraction judiciaire) à Nantes, il est chargé du transport des détenus depuis le centre de rétention ou de maison d’arrêt jusqu’au tribunal ou vers une scène de reconstitution, et ce qui s’est passé lundi dernier « peut leur arriver n’importe où et à n’importe quel moment ». temps. » Et pour cause, il parcourt « entre 5 000 et 6 000 kilomètres par mois », et ces missions peuvent parfois l’emmener très loin, pour des trajets de plusieurs heures à l’autre bout du pays, avec deux ou trois collègues. à bord selon le profil de la personne à transporter.

Dans ce cas, le moindre arrêt en route pour changer de conducteur ou simplement pour soulager un besoin naturel constitue un risque évident. « Quand j’ai commencé comme gardien dans un couloir, je me sentais beaucoup plus en sécurité seul face à 120 détenus que maintenant lorsque je fais une extraction en extérieur avec un seul détenu. A l’intérieur, en cas de problème, nous avons un émetteur-récepteur avec un bouton d’alarme et nous sommes protégés. À l’intérieur des murs, avant qu’un commando armé puisse entrer dans la prison, il y a encore beaucoup de travail, alors qu’à l’extérieur, on ne peut rien prévoir, il ne faut compter que sur nous-mêmes. Peu importe combien vous appelez la police, avant qu’elle n’intervienne, beaucoup de choses peuvent arriver. »

Comme lors de cette sortie mouvementée d’un tribunal où, un jour, Jérôme s’est retrouvé face aux proches et aux membres de la famille d’un condamné emmené en prison : « Face à une trentaine de personnes alors qu’il n’y a que trois agents, c’est très compliqué. » D’autant que la discrétion est loin d’être de mise. Dûment sérigraphiés, les véhicules de l’administration pénitentiaire sont non seulement visibles de loin mais ne disposent pas non plus tous d’un habitacle blindé.

Quant à l’attirail des fonctionnaires, il paraît totalement obsolète face aux nouvelles menaces. « Nous avons des pistolets de 9 mm contre les Kalachnikov et nos gilets pare-balles ne sont pas conçus pour ce type d’armes. Nous n’avons aucun moyen de riposter. Je suis père et, quand je vais travailler le matin, j’ai juste envie de pouvoir rentrer le soir chez moi pour voir ma famille », soupire Jérôme, qui connaissait personnellement les deux agents abattus mardi. « Au PREJ, on est obligé de travailler ensemble d’un service à l’autre, donc oui, j’ai déjà fait des extractions avec eux. »

Deux morts que certains, depuis leurs cellules, n’hésitaient pas à « saluer » à leur manière, comme le rapporte Yann Hervé : « Quand les collègues débauchaient lundi soir, les détenus, par la fenêtre, criaient : « Bravo aux surveillants, peut-être ça t’arrivera un jour ! C’est gratuit, et peut-être que cela restera sans suite en termes d’action, mais, après cet événement, on ne repart pas rassuré. »


les prénoms ont été modifiés.