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“Je voulais écrire un conte de Dickens”


jeil signe une cinquantaine de scénarios pour les plus grands réalisateurs de son temps, de Jacques Rivette à Raoul Ruiz en passant par Barbet Schroeder, Anne Fontaine et Raoul Peck. Pour son dixième film en tant que réalisateur, Le tableau volé, actuellement en salles, fait d’Alex Lutz un commissaire-priseur découvrant un tableau d’Egon Schiele que l’on croyait disparu : un trésor inestimable que la guerre a failli engloutir. Pascal Bonitzer livre à Indiquer la genèse de ce beau film. Ce qui l’amène à parler aussi de ses parents, de sa fille et de la Seconde Guerre mondiale. Entretien.

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Indiquer : Comment est née l’idée de ce film centré sur un tableau volé pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Pascal Bonitzer : Le point de départ de tout ça… C’était une commande de mon producteur, Saïd Ben Saïd. Il m’a demandé de réaliser un film se déroulant dans le monde des maisons de ventes. Comme à chaque fois que j’ai entrepris d’écrire un scénario sur un univers que je connais peu, je me suis lancé dans une série d’entretiens. Avec Iliana Lolic, nous avons mené une vingtaine d’entretiens avec des personnalités travaillant dans ce secteur : commissaires-priseurs, experts, galeristes, spécialistes de grandes maisons. C’est lors de ces travaux préparatoires que cette anecdote a émergé : un tableau d’Egon Schiele a été retrouvé dans la banlieue de Mulhouse il y a une quinzaine d’années. Les ingrédients de cette histoire m’ont vraiment frappé. Je me suis dit que j’avais là la ligne d’un scénario.

Vous avez préféré créer une œuvre de fiction plutôt que d’enquêter réellement sur cette affaire. Pourquoi ne pas vouloir entrer en contact avec les personnes impliquées dans l’affaire ?

J’ai préféré laisser jouer mon imagination. Le point de départ était tellement incroyable que je ne voulais pas risquer d’être déçu en m’en tenant à l’histoire réelle. Pour moi, l’enjeu n’était pas le différend entre le locataire et le propriétaire de la maison où se trouvait cette œuvre mais plutôt le côté presque maudit du tableau. Quand on se retrouve en possession d’un trésor, on ne sait pas ce qui peut arriver. Un butin est presque toujours entouré d’une sorte de malédiction. Le trésor de la Sierra Madre (western de John Huston sorti en 1948, NDLR) illustre cela…

Les véritables protagonistes de cette histoire ont-ils vu le film ? Si oui, quels sont leurs retours ?

J’ai rencontré à Mulhouse, alors que j’y présentais le film, l’avocat des personnes qui ont trouvé le tableau dans la maison qu’ils avaient achetée. Mais elle ne m’a pas dit ce que ses clients en pensaient.

Dans votre film, vous décidez de faire d’abord rire le spectateur… avant de l’amener au bord des larmes.

Ce n’est pas non plus une sombre histoire. Il y a une fin heureuse. Je ne voulais pas que mon film soit un drame. J’ai préféré rester dans le registre de la comédie. Mais il est vrai que le fond de ce film est très sombre. En arrière-plan, il y a la tragédie des tragédies : la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Ce tableau a été volé à une famille juive qui a été en partie décimée. Cependant, je voulais toujours que le ton de cette histoire soit celui d’un conte de Noël. C’est pourquoi je commence par une scène humoristique avec Marisa Borini et je termine de manière, je l’espère, surprenante, en décembre. Je voulais écrire un conte dickensien.

Vos films précédents mettaient principalement en scène des environnements bourgeois, souvent universitaires. Pourquoi avoir voulu s’en éloigner cette fois en décrivant le quotidien d’un ouvrier dans une usine chimique ?

J’avais envie de changer d’air ! Le monde que j’ai exploré jusqu’à présent est aux antipodes de celui de Martin, ce jeune garçon chez la mère duquel nous trouvons ce tableau. C’est une des choses qui m’a séduit dans cette histoire : la rencontre entre deux mondes qui ne sont pas censés se croiser habituellement.

On retrouve effectivement dans Le tableau volé des représentants de ce petit monde d’intellectuels, d’amateurs d’art, très présent dans vos films. D’où vient cette obsession pour cet environnement ?

C’est l’univers dans lequel je suis né. J’appartiens à cette moyenne bourgeoisie intellectuelle parisienne. Je suis parti de là, non pas pour raconter mon histoire mais parce que je voulais créer des œuvres réalistes et donc décrire un environnement que je connaissais.

Qu’ont fait tes parents ?

Mon père était ingénieur des ponts et des routes. (Jacques Bonitzer (1910-2016) était polytechnicien, NDLR). Mais je crois qu’il aurait préféré se consacrer à la philosophie. Il écrivit également des livres sur ce sujet à la fin de sa vie. Ma mère (Solange Ullmann (1920-2017), NDLR) était peintre. Moi-même, lorsque j’étais adolescente, j’ai suivi des cours de peinture auprès de Robert Lapoujade (1921-1993), artiste qui, à l’époque, avait une petite réputation et dont l’atelier était situé rue du Petit-Musc (Paris 4e).

Votre père et votre mère, tous deux juifs, ont vécu la guerre comme la famille du collectionneur volé dont parle votre film. Comment ont-ils traversé ces années sombres ?

Mon père faisait partie d’un réseau de résistance communiste. Il a pu se faire fabriquer de fausses cartes d’identité qui leur ont permis de vivre, sous une fausse identité, la majeure partie de la guerre à Lyon sans être inquiétés. Du côté de ma mère, nous avons eu moins de chance. Ses cousins ​​qui habitaient près de Nancy furent en grande partie arrêtés et déportés vers les camps où ils moururent.

Vous avez peu exploré cet aspect de votre histoire personnelle. Pour quoi ?

Je n’ai pas été élevé dans la tradition juive. Bien que mon ancêtre ait été un ancien grand rabbin de Nancy et d’Alger, cet héritage ne m’a pas été très transmis.

Tu ne voulais pas creuser ?

J’ai répondu à la question sans enthousiasme dans je pense à toi (sorti en 2006) où la judéité d’un personnage est discutée. Mais je n’ai pas poussé les choses plus loin. Pour revenir à mon père, des éléments romantiques de sa vie m’ont été transmis récemment. J’ai découvert qu’il avait failli être arrêté pendant la guerre. On m’a dit qu’il avait été membre de l’ancêtre de la DGSI, la BCR. C’est comme polytechnicien qu’il fut recruté. Je le savais parce que j’ai un cousin germain qui travaillait là-bas et qui a trouvé un dossier dans les archives. Il était sous les ordres du colonel Rémy. Inutile de dire qu’il ne m’en a jamais parlé. J’ai découvert cela après sa mort.

C’est un début prometteur pour un nouveau scénario, n’est-ce pas ?

Oui. D’autant qu’il avait pris le nom de Jacques Chancel comme pseudonyme. C’est marrant.

Glissez-vous beaucoup d’éléments biographiques dans les personnages que vous inventez ?

Cela m’arrive, mais seulement dans une certaine mesure.

La relation que vous entretenez avec votre fille Agathe n’a-t-elle pas inspiré celle qu’Aurore (Louise Chevillotte) entretient avec son père ?

Certainement pas. Ma fille est très droite. Où le personnage d’Aurore est tourmenté par une mythomanie pathologique.

De la même manière qu’il y avait un peu de vous dans les personnages que vous aviez écrits pour Jean-Pierre Bacri, je m’attendais à ce qu’il y ait un peu de Pascal Bonitzer dans le rôle joué par Alain Chamfort.

C’est drôle que tu fasses ce parallèle. Je le dirai à Alain, il sera amusé quand tu nous compareras. J’ai écrit ce rôle spécialement pour lui. La seule allusion légèrement autobiographique que l’on retrouve dans le scénario est le moment où l’un des personnages évoque un test de paternité. Il s’avère que mon père avait un peu perdu la tête vers la fin de sa vie et prétendait, à un moment donné, que je n’étais pas son fils. J’ai été tenté, un bref instant, de faire un test de paternité… avant d’abandonner. Il ne fait aucun doute que je suis bien son fils.

Vos films sont-ils des psychanalyses ?

Ils en profitent en tout cas. La psychanalyse occupe une place importante dans ma vie. J’en ai fait un pendant longtemps. J’ai arrêté, puis j’ai repris récemment et c’est une aide à l’écriture. C’est indéniable.

Pourquoi était-il important pour vous de filmer dans les locaux de l’hôtel Drouot ?

Parce que c’est le lieu de vente le plus important de France. J’ai eu la chance de pouvoir y poser mon appareil photo. J’attache une grande importance aux réglages. J’avais très envie de tourner au Conseil d’Etat, certaines scènes de Cherche Hortense (sorti en 2012) car le personnage incarné par Claude Rich y travaillait. Il se dégage de l’hôtel Drouot une atmosphère particulière. Les salles où se déroulent les ventes aux enchères, la faune qui y traîne… tout cela crée un climat unique. J’ai également veillé à n’utiliser que des personnages familiers de la région comme figurants. Ils ont un look inimitable. J’aurais aimé filmer les passages qui se déroulent dans la société imaginaire Scottie’s dans les locaux de la maison Sotheby’s mais les autorités new-yorkaises de ce groupe ont refusé.

Vous êtes le fils d’un peintre. Le personnage principal de votre film est l’homonyme d’un grand artiste : André Masson (1896-1987). Le tableau volé en question est de Schiele. Quels peintres aimez-vous ?

J’aime Masson et Schiele, mais je ne peux pas dire qu’ils font partie de mes peintres préférés. J’ai plutôt un faible pour l’expressionnisme allemand. Notamment Max Beckmann, peut-être moins connu. Dans le passé, j’ai donné le nom de Beckmann à plusieurs de mes personnages.

Quel sera le sujet de votre prochain film ?

Je viens de terminer l’adaptation d’un Maigret. C’est un roman peu connu de Simenon intitulé : Maigret et les vieillards. Ça se passe dans 7e arrondissement. C’est un roman policier. Je commencerai le tournage en février prochain.


Anna

À chaque coup de stylo, créez des histoires captivantes. Découvrez des vérités cachées à la fois. 📝 🔍

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