« Josiah Tucker, un économiste très commenté au siècle des Lumières, est désormais oublié »

Eétrange personnage que Josiah Tucker, pasteur anglican, né en 1713 et mort en 1799, doyen de la cathédrale de Gloucester, auteur prolifique de plus de soixante-dix ouvrages théologiques, politiques mais aussi économiques, abondamment débattus et commentés en leur temps, aujourd’hui totalement oubliés. Considéré a posteriori par certains auteurs comme le père de la science économique au même titre que l’illustre Adam Smith, son contemporain, l’ecclésiastique gallois défendait, comme Smith, la liberté du commerce et de la concurrence comme sources de la richesse de l’État et des individus ; il considérait que la poursuite de la prospérité individuelle faisait le bien de la communauté ; il plaçait le travail et l’épargne parmi les vertus majeures.

Mais, d’un autre côté, il s’en prend à l’esclavage, au colonialisme et aux guerres impérialistes menées par le cabinet britannique. Il prônait l’abolition de la traite négrière, l’indépendance des treize colonies d’Amérique et de l’Inde, le développement économique autonome de l’Afrique, la fin des conflits armés, la libre installation et circulation des étrangers sur le sol anglais, la tolérance religieuse, le droit le vote pour les femmes, la transformation des paroisses en écoles pour le peuple, la taxation des plus riches, etc. Ce qui la classe, pour certains historiens britanniques et américains qui l’ont redécouverte au XXee siècle, parmi les pionniers du progressisme, cochant les cases contemporaines du féminisme, de l’anticolonialisme, de l’anti-impérialisme et du pacifisme.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « Une brève histoire de l’économie » : le dernier voyage de Daniel Cohen

Tucker, cependant, défendait la position prédominante de l’Église anglicane dans les institutions britanniques, estimait que seules les personnes riches et instruites pouvaient participer à la vie politique, préconisant à cet effet l’augmentation du recensement, car l’inflation augmentait automatiquement la taille du corps électoral. Il combattit avec violence les thèses républicaines ou démocratiques comme instigatrices d’un despotisme du peuple qu’il méprisait, tout en prônant la lutte contre la pauvreté. Pour cet homme d’Église, la science économique doit être au service de la morale chrétienne ; La morale chrétienne était le meilleur vecteur de prospérité économique.

Contradictions apparentes

Ces apparentes contradictions ont eu deux effets : le soupçon d’excentricité et d’incohérence, déjà invoqué par ses adversaires de l’époque, qui le disqualifiait aux yeux des historiens et des économistes en quête de nomenclature et de trajectoire de l’histoire de la pensée économique ; l’oubli complet de ses œuvres, tant rejetées par les économistes libéraux que par les hommes politiques du XIXe sièclee siècle, pour qui l’impérialisme et la colonisation étaient les conditions de la domination économique mondiale de la Grande-Bretagne, que par le camp socialiste et progressiste, pour qui Tucker défendait une Église anglicane conservatrice et corrompue, jusqu’à s’incarner au XIXe siècle.e siècle les aspects les plus conservateurs et réactionnaires de l’Angleterre victorienne.

Il vous reste 25,35% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.