(Ottawa) mars 2012. Justin Trudeau entre sur le ring pour affronter le sénateur Patrick Brazeau dans un match de boxe. L’événement, télévisé, vise à récolter des fonds pour financer la lutte contre le cancer.
La majorité des observateurs n’ont pas eu une haute opinion du député libéral de Papineau. Contre toute attente, Justin Trudeau s’est imposé par arrêt de l’arbitre, même s’il avait essuyé quelques coups puissants dès le début du combat. Sa stratégie était évidemment la bonne : conserver son énergie en prévision d’un long combat et miser sur l’épuisement de son adversaire.
Octobre 2015. Au terme d’une longue campagne électorale de 78 jours, Justin Trudeau crée la surprise en remportant les élections fédérales, mettant ainsi fin au règne du gouvernement conservateur de Stephen Harper. Sa victoire est historique. Sous sa direction, le Parti libéral du Canada est passé de la troisième position à la Chambre des communes pour former le gouvernement. Son parti a obtenu 39,47% des voix et récolté 184 sièges. Il a devancé le Parti conservateur (99 sièges) et le Nouveau Parti démocratique (NPD) alors dirigé par Thomas Mulcair (44 sièges). Le Bloc québécois doit se contenter de 10 sièges.
Pris entre autres, ces deux événements ont donné aux opposants de Justin Trudeau – et à certains observateurs de la scène politique – une petite leçon d’humilité. Il ne faut pas sous-estimer celui qui est définitivement au sommet de son art quand on commence à rédiger sa nécrologie politique.
Malgré ses déboires qui ont défrayé la chronique ces dernières années – des vacances sur l’île privée de l’Aga Khan qui lui ont valu les reproches du conseiller en éthique, l’affaire SNC-Lavalin qui a entraîné la démission de la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, un voyage en Inde qui tourne au ridicule à cause des costumes que lui et sa famille portent, des dépenses incontrôlées qui provoquent la démission du ministre des Finances Bill Morneau -, Justin Trudeau a réussi à confondre les sceptiques qui prédisaient la défaite aux urnes. Il a remporté deux autres mandats minoritaires auprès des électeurs en 2019 et 2021.
Mais aujourd’hui, le jour du retour du Parlement à Ottawa, Justin Trudeau doit faire face à un adversaire plus coriace. Un adversaire contre lequel il a peu de moyens. Un adversaire que très peu de ses prédécesseurs ont réussi à apprivoiser : l’érosion du pouvoir.
Par ailleurs, la session parlementaire qui s’ouvre sera sans doute la plus périlleuse des huit dernières années.
Soif de changement
Certes, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, se révèle être un adversaire des plus redoutables. En un an, le chef conservateur a réussi à fédérer les électeurs autrefois favorables aux libéraux de Justin Trudeau – notamment les jeunes – en mettant l’accent, entre autres, sur la hausse du coût de la vie et la crise du logement.

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Le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre
Les gens ordinaires comme les mères célibataires, les plombiers, les agriculteurs – des gens « extraordinaires », comme il aimait les appeler lors de son long discours au congrès national du Parti conservateur à Québec la semaine dernière – sont séduits par son message. Ils le voient désormais comme une option alternative crédible. Ils jugent même qu’il est la meilleure personne parmi les dirigeants fédéraux actuels pour occuper les fonctions de premier ministre.
Il n’en reste pas moins que l’attrition du pouvoir a des conséquences politiques. Cela provoque inévitablement une soif de changement. C’est d’ailleurs le plus grand atout qu’on retrouve aujourd’hui dans la manche de Pierre Poilievre. Cela constitue en même temps la faille qui annonce le bris de l’armure des libéraux de Justin Trudeau.
Trudeau aux commandes
Le Premier ministre a tenté de contrecarrer ce phénomène normal dans la vie d’un gouvernement en remaniant en profondeur son cabinet en juillet. Sept nouveaux ministres sont entrés dans le cercle des saints. Une vingtaine de ministres ont obtenu de nouvelles responsabilités. Jusqu’à présent, l’exercice s’est avéré un échec. La baisse de popularité du gouvernement Trudeau s’est poursuivie, provoquant le retour de Nellies nerveuses dans les rangs libéraux.
Malgré les sondages défavorables qui s’accumulent depuis plusieurs mois – le plus récent sondage de la firme Abacus Data donne au Parti conservateur une avance de 15 points (41 %) sur le Parti libéral (26 %), une avance qui pourrait donner à Pierre Poilievre un gouvernement majoritaire – Justin Trudeau affirme qu’il dirigera son parti aux prochaines élections.
Tout porte à croire que ces élections n’auront pas lieu cet automne, ni même en 2024. Face aux vents forts qui soufflent sur leurs visages, les libéraux feront tout ce qu’il faut pour que l’entente conclue avec le NPD au printemps 2022 soit respectée jusqu’au bout. lettre. Cette entente, qui assure la survie du gouvernement Trudeau aux Communes lors des votes de confiance à condition que les mesures chères au NPD comme le programme national de soins dentaires soient mises en œuvre, doit prendre fin en juin 2025.
Voyant que les libéraux sont en position de faiblesse, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a déjà fait savoir qu’il entendait en profiter pour arracher de nouvelles concessions au premier ministre.
Si Justin Trudeau devait changer d’avis et tirer sa révérence à cause des sondages qui prédisent la défaite de son gouvernement aux prochaines élections, il ne laisserait que peu de temps à ses troupes pour trouver un successeur. Il n’en reste pas moins qu’il demeure le meilleur atout du Parti libéral malgré le contexte politique difficile.
L’érosion du pouvoir commence à faire des ravages. C’est le plus grand adversaire auquel tout premier ministre doit faire face, qu’il travaille à Ottawa, à Québec ou à Toronto. Dans le cas de Justin Trudeau, cela pourrait être impossible à surmonter, tout comme cela aurait été le cas si, en mars 2012, il avait affronté le sénateur Patrick Brazeau dans un match de boxe les yeux bandés.
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