La baisse attendue du budget agricole, source d’inquiétude croissante pour certains sénateurs

Quelle sera l’ampleur de l’élagage ? L’heure des décisions approche pour l’exécutif, confronté à un nouveau dérapage des finances publiques. Le budget 2025, préparé dans ses grandes lignes par le précédent gouvernement, prévoit un gel des dépenses de 492 milliards d’euros, mais avec une nouvelle répartition des soldes d’un portefeuille ministériel à l’autre. Si certains domaines régaliens voient leurs capacités de dépenses revues à la hausse, notamment la Défense et la Sécurité, d’autres missions sont impactées par des coupes plus ou moins importantes, comme l’Aide publique au développement (-19,4%), l’Outre-mer (-7,4%), ou le Travail (-6,9%), si l’on en croit les documents budgétaires finalement transmis par les services du Premier ministre aux deux commissions des finances du Parlement et aux rapporteurs du budget. Autre ministère impacté : l’Agriculture.

Selon la lettre de cadrage budgétaire adressée par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal à Marc Fesneau, le ministre sortant, et révélée par le quotidien L’Opinion, l’Agriculture et la Souveraineté alimentaire connaîtraient une baisse de 9,5% pour les autorisations d’engagement (soit 6,8 milliards d’euros), et de 4,5% pour les crédits de paiement (soit 6,6 milliards d’euros). Des chiffres confirmés à Public Sénat par le sénateur socialiste Jean-Claude Tissot, membre de la commission des Affaires économiques, qui a pu consulter ces documents. “Il faut néanmoins y ajouter les 13 milliards d’euros prévus par la Politique agricole commune (PAC)”, souligne l’élu.

Pour rappel, les autorisations d’engagement correspondent aux dépenses sur lesquelles s’engage l’État ; elles peuvent être découpées en tranches, c’est-à-dire étalées sur plusieurs exercices selon l’ampleur des projets concernés. Quant aux crédits de paiement, il s’agit du montant débloqué sur un an pour couvrir le paiement d’une de ces tranches. Il ne s’agit à ce stade que de documents préparatoires au projet de loi de finances 2025, mais le calendrier très serré que la Constitution impose au nouveau gouvernement qui vient d’être nommé restreint fortement les marges de manœuvre.

“Il faut rappeler que le budget 2024 était nettement supérieur au budget 2023, avec une augmentation de plus d’un milliard. En tenant compte de l’inflation, la baisse serait d’environ 300 millions d’euros. Le montant actuellement inscrit dans les lettres-cadres permet encore de faire pas mal de choses”, rassure le sénateur LR Laurent Duplomb, l’un des rapporteurs de l’avis de la mission de l’agriculture, de l’alimentation, de la forêt et de la ruralité.

Engagements du gouvernement précédent

La baisse attendue suscite toutefois quelques inquiétudes au vu de la crise qui secoue le secteur. Début 2024, le mouvement de contestation des agriculteurs, qui a secoué plusieurs pays européens, s’est traduit en France par deux séries de mesures d’urgence, pour un montant estimé par Bercy à 400 millions d’euros, ainsi qu’une avance de trésorerie de 200 millions d’euros au titre du remboursement partiel de la taxe sur le gazole non routier, l’un des déclencheurs des manifestations.

Le gouvernement s’était notamment engagé à mettre en place des mesures de simplification, notamment sur les délais de recours, à créer un fonds d’urgence de 50 millions d’euros pour soutenir les exploitations touchées par la maladie hémorragique épizootique, avec un taux d’indemnisation de 90% pour les éleveurs, mais aussi à débloquer une aide d’urgence de 50 millions d’euros pour la filière bio. Gabriel Attal avait également évoqué sa volonté de construire un “Egalim européen” pour protéger la rémunération des agriculteurs.

Les syndicats attendent

La dissolution a mis un coup d’arrêt au déploiement de ces différents chantiers. Saluant la nomination de la députée LR du Doubs Annie Genevard à l’Agriculture, la FNSEA, principal syndicat agricole, et son partenaire Les Jeunes agriculteurs, n’ont pas manqué de réitérer leurs attentes dans un communiqué, évoquant “l’incompréhension grandissante des agriculteurs, déçus par les engagements non tenus après les mobilisations de l’hiver dernier”. Ils réclament de nouvelles avancées sur “la politique de renouvellement générationnel, la compétitivité, la simplification, les moyens de production, la poursuite des lois Egalim, l’agrivoltaïsme, etc.”

La dissolution a également suspendu le processus législatif du projet de loi d’orientation agricole, critiqué par les syndicats, la FNSEA appelle désormais l’exécutif à se saisir de son propre texte pour “entreprendre dans l’agriculture”. “Il faut reconnaître que le texte de loi tel que proposé ne convenait à personne. S’il est repris, on se retrouvera en commission mixte paritaire avec des députés qui n’ont pas voté la loi”, constate le sénateur Jean-Claude Tissot.

Annie Genevard à la tête du ministère, une nomination qui pose question

« La perspective d’une baisse du budget agricole m’inquiète au vu des attentes énormes », confie la sénatrice LR de l’Aisne Pascale Gruny, qui a notamment travaillé sur les retraites agricoles. « Je ne vous cache pas que la nomination d’Annie Genevard à ce poste m’a surprise. Je ne l’ai jamais entendue sur ces sujets. Je m’attendais plutôt à quelqu’un comme Sophie Primas (sénatrice LR des Yvelines, finalement nommée ministre déléguée au Commerce extérieur, NDLR) ou Julien Dive (député LR de l’Aisne, proche de Xavier Bertrand, auteur de plusieurs rapports sur l’agriculture et l’alimentation, NDLR). Le temps pour agir sera très court, on aurait aimé avoir des spécialistes sur ces questions », explique-t-elle.

“Est-ce vraiment le moment d’abandonner l’agriculture rurale ? Le ministre va-t-il faire pression sur Bercy ?”, s’interroge Jean-Claude Tissot. “Je constate que certains ministères sont découpés en morceaux, avec des postes clés placés directement sous la tutelle du Premier ministre, comme celui des Comptes publics. On verra, à l’issue du débat budgétaire, si on aura ou non un ministre de paille à la merci des principaux syndicats.”

« Annie connaît le monde rural, elle a été élue dans un département très agricole, via l’élevage », veut rassurer le sénateur Laurent Duplomb. « Et vous savez, un bon ministre de l’Agriculture, c’est d’abord quelqu’un qui écoute le Premier ministre pour faire gagner ses décisions. Car si c’est encore le ministère de l’Écologie qui gagne, alors oui, l’agriculture française va continuer à sombrer », prévient l’élu de Haute-Loire.

Postes de dépenses à économiser

La question des dossiers à traiter en priorité risque de se poser rapidement. Pascale Gruny insiste sur la nécessité de préserver la procédure de calamité agricole face à l’épidémie de fièvre catarrhale et aux derniers épisodes climatiques, notamment dans les Hauts-de-France. « Dans mon département, j’ai des agriculteurs qui, à cause des inondations, n’ont toujours pas pu retourner dans leurs champs en juin, et n’ont donc pas pu planter », rapporte-t-elle.

Laurent Duplomb insiste aussi sur les mesures de crise, notamment pour les élevages ovins, les producteurs de céréales et la filière viticole, dont la production est en baisse. « Avec un bon encadrement, on peut être capable de donner un bol d’air à tout le monde. De plus, lever certains obstacles administratifs ou interdictions inadaptées ne coûte pas d’argent », explique le sénateur, qui invite la ministre à « prendre rapidement des décrets pour apaiser la tension réglementaire », son grand cheval de bataille.

« Il faudra trouver des équilibres. J’aurais tendance à dire, compte tenu de la situation, que tout est prioritaire. On verra quelle est la feuille de route de la ministre et ce qu’elle entend protéger », résume Jean-Claude Tissot.

“80% des budgets sont annoncés comme étant en baisse. Ce n’est jamais simple de prendre des décisions sur les dépenses publiques”, pointe Claude Raynal, le président PS de la commission des Finances du Sénat. “Plus que sur le budget agricole français, j’aurais tendance à dire que mes inquiétudes portent sur ce qui va se passer au niveau européen, avec la nomination du commissaire à l’Agriculture, un Luxembourgeois (Christophe Hansen, membre du PPE, ndlr), donc quelqu’un qui n’est pas vraiment concerné par le sujet…”, soupire l’élu.

Anna

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