Au début des années 1990, le vent du multipartisme souffle sur l’Afrique de l’Ouest et Aïcha Koné remplit les salles au son d' »Africa Liberté ». En 2024, la « diva » ivoirienne chante sur Tik Tok les louanges des régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger.
Son dernier opus, mis en ligne le 26 août sur la plateforme chinoise de vidéo en ligne – où elle compte plus d’un demi-million d’abonnés – commence par ces mots : « AES, la marche vers la liberté ! AES, tu as raison ! »
AES est l’acronyme de l’Alliance des États du Sahel : l’union des régimes putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger, arrivés au pouvoir respectivement en 2020, 2022 et 2023, dans ces pays confrontés à des violences jihadistes récurrentes.
Les trois juntes qui ont tourné le dos à l’ancienne puissance coloniale française entretiennent des relations tumultueuses avec certains de leurs voisins, dont la Côte d’Ivoire, accusée d’être trop proche de Paris.
Dans une chanson écrite en 2022 à la gloire du leader malien, le colonel Assimi Goïta, Aïcha Koné célèbre également le président russe Vladimir Poutine, devenu en quelques années le principal soutien des juntes sahéliennes, tandis que la France, les États-Unis et d’autres pays occidentaux en étaient poussés vers la sortie.
« Les Fama (Forces armées maliennes), force à vous », fredonne la star ivoirienne sur le même titre, après les premières mesures qui sonnent comme une marche militaire.
« Mama Africa », comme l’appellent nombre de ses fans, a fait ses débuts il y a plus de 45 ans sur les plateaux de la RTI, la télévision d’État ivoirienne, où le présentateur star de l’époque, George Taï Benson, avait été touché par son timbre de voix, « pur, limpide » et sa « diction ».
D’abord choriste, puis chanteuse soliste, elle côtoie les plus grands artistes africains de l’époque : son « modèle » la Sud-Africaine Miriam Makeba, le Camerounais Manu Dibango, le Congolais Tabu Ley Rochereau, les Sénégalais Youssou N’Dour et Ismaël Lô…
La voix des tubes « Aminata » et « Africa Liberté » est particulièrement reconnaissable par sa douceur et son lyrisme. Ses morceaux issus de la musique mandingue – peuple d’Afrique de l’Ouest – utilisent une langue, le dioula, mais abandonnent les instruments traditionnels comme les balafons pour les guitares, le piano et les cuivres.
« C’était une chanteuse moderne » à ses débuts, qui « émerveillait », et « une personnalité musicale qui ne passait pas inaperçue », dont le succès touchait « tout le continent », analyse Boncana Maïga, son très célèbre arrangeur.
– « Je leur dis bravo » –
Dès le début de sa carrière, Aïcha Koné a été proche des chefs d’État, bien avant le retour des régimes militaires en Afrique de l’Ouest.
Dans la maison de l’artiste de 67 ans, de nombreuses photos encadrées la montrent aux côtés des présidents ivoiriens – Félix Houphouët Boigny (1960-1993), Henri Konan Bédié (1993-1999) qui l’ont tous deux aidée financièrement, assure-t-elle, ou Laurent Gbagbo (2000-2010).
Trente ans plus tard, plus de costumes ni de cravates : ce sont des hommes en uniforme, devenus chefs d’Etat de force, qui la reçoivent.
En août, c’est le général nigérien Abdourahamane Tiani qui l’accueille à Niamey, après avoir donné une série de concerts dans la capitale.
Quelques semaines plus tôt, le président du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré – qu’elle appelle affectueusement « mon fils » – l’avait embrassée à Ouagadougou.
La séquence, filmée et postée sur Tik Tok par le chanteur, avait dépassé le million de vues fin août.
« Ils étaient tous contents de me recevoir, je leur ai apporté mon soutien », a-t-elle expliqué à l’AFP lors d’un entretien à son domicile à Abidjan.
« Nous voulons tous notre indépendance », justifie-t-elle, saluant le « noble combat » des juntes du Mali, du Burkina Faso et du Niger, trois anciennes colonies françaises qui ont « haut et fort déclaré vouloir prendre leur destin en main ».
« Je leur dis bravo. Ils ont besoin de soutien et je fais partie de ceux qui les soutiennent », ajoute-t-elle.
Un autre artiste ivoirien, la star du reggae Tiken Jah Fakoly, porte-étendard des luttes anticoloniales et panafricanistes, avait affiché son soutien à l’AES avant de dénoncer cet été la répression brutale des voix discordantes.
Ces dernières années, des dizaines d’opposants, de journalistes, de magistrats et de défenseurs des droits humains ont disparu, ont été détenus ou ont été recrutés de force au Burkina Faso pour être envoyés au front contre les groupes armés jihadistes, tandis qu’au Mali, l’armée est accusée par l’ONU, Human Rights Watch et Amnesty International d’exactions contre les civils.
« J’ai toujours chanté pour la paix », assure Aïcha Koné.
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