La Côte d’Ivoire lance des crédits carbone pour financer sa reforestation

Pour reconstituer ses forêts, la Côte d’Ivoire s’apprête à en privatiser certaines. Pour valoriser financièrement son patrimoine naturel, l’État compte sur l’appétit croissant du secteur privé pour les crédits carbone, unités de valeur délivrées par les organismes certificateurs pour chaque tonne de CO.2 compensés par des activités vertueuses, et qui peuvent être vendus sur un marché dédié. D’ici fin 2024, la forêt classée du Haut-Sassandra, située à l’ouest du pays, devrait être la première mise en concession pour une durée de cinquante ans.

Les opérateurs techniques et financiers du projet, la société ivoirienne Agro-Map et la société française aDryada, deux structures spécialisées dans la commercialisation de crédits carbone générés par des projets de restauration de la biodiversité, s’engagent à reboiser 100 000 hectares de terres décimées par des décennies de culture du cacao. et la journalisation.

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Karidja, le nom du projet, devrait d’ici huit ans « élimine environ un million de tonnes de dioxyde de carbone (CO) de l’atmosphère chaque année2) », promet Fabio Ferrari, fondateur et PDG d’aDryada, autant de crédits carbone revendus aux entreprises souhaitant compenser l’impact environnemental de leurs activités. La vente de ces actifs financiers sera en partie réinjectée dans Karidja, en plus des 130 millions d’euros nécessaires à son lancement.

Les autorités ivoiriennes « compter beaucoup sur la vente de crédits carbone », reconnaît Aboa Dogui, conseiller technique au ministère des Eaux et Forêts. Celles-ci représentent en effet une opportunité, à la fois économique et écologique : l’État préserve ses caisses tout en finançant sa politique de reforestation, formalisée en 2019 dans la Stratégie de préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts (Spref), avec pour premier objectif de reconquérir 20 % des forêts. le couvert forestier en 2030.

Consensus au sein de la classe politique

La forêt ivoirienne, qui s’étendait sur 16 millions d’hectares en 1960, a perdu près de 80 % de sa superficie, avec un taux de déforestation annuel compris entre 3 et 4 %, selon les chiffres officiels. L’agriculture extensive incontrôlée est la principale cause de ce désastre écologique, avec en tête la culture du cacao, à la fois principal moteur de la croissance ivoirienne (15% du PIB) et principal facteur de disparition de la canopée.

Le gouvernement ivoirien a promulgué un nouveau Code forestier en 2019, destiné à réglementer la production de cacao, jusque-là officiellement interdite mais largement pratiquée dans les 231 forêts classées du pays. Selon les estimations officielles, environ 40 % de l’or brun y est produit illégalement.

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Avec la nouvelle loi, les 76 forêts classées dont le taux de dégradation est supérieur à 75%, pourront être converties en « agroforêts », zones où la production agricole est autorisée sur la base d’un modèle agroforestier, censé concilier rendements et préservation des écosystèmes.

L’agroforesterie fait désormais consensus au sein de la classe politique ivoirienne. Elle contribue à la restauration des espaces forestiers tout en développant une agriculture compatible avec les nouvelles exigences internationales, comme la réglementation de l’Union européenne (UE) visant à interdire les produits issus de la déforestation à partir de 2025. Dans cette perspective, la forêt du Haut-Sassandra devrait devenir la quatrième « forêt ». agroforestière » du pays et la première financée par des crédits carbone sur le modèle d’un partenariat public-privé (PPP).

Un marché volontaire très peu réglementé

Près d’un tiers du Karidja, soit 30 000 hectares, est dédié à l’agroforesterie. Les cacaoyers déjà plantés y seront protégés entre autres cultures. Pour le reste de la zone, l’objectif est de « replanter des espèces indigènes et recréer un écosystème proche de celui qui existait avant », explique le PDG d’aDryada. Les plantations de cacao existantes ne seront pas détruites, mais « une transition prévue sur dix à quinze ans vers d’autres activités agricoles » est prévu.

Le plan de développement a déjà été validé et l’État ivoirien achève les préparatifs réglementaires pour encadrer les crédits carbone, sur lesquels il mise pour financer la reforestation “à hauteur d’au moins 20%, soit 200 millions d’euros”explique Aboa Dogui.

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Reste ensuite à savoir comment les sommes récoltées grâce à la vente des crédits carbone seront réparties entre les investisseurs, les opérateurs et l’État. Selon Agro-Map, l’opérateur technique du projet, le gouvernement ivoirien pourrait récupérer “plus de 25% de la valeur” Ventes. La tonne de CO2 se vend aujourd’hui entre 3 et 6 dollars (2,81 euros et 5,62 euros) sur le marché volontaire, mais pourrait se situer entre 25 et 75 dollars à la fin de la décennie, selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI).

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Contrairement au marché régulé, comme celui de l’UE, qui s’impose aux entreprises les plus polluantes, le marché volontaire reste très mal régulé et ouvre la voie à certains abus, comme l’achat illégal de terrains. « Sans concession, c’est un peu le Far West »» admet Fabio Ferrari, PDG d’aDryada, citant l’exemple du Zimbabwe, où « des crédits carbone ont été vendus pendant des années sans que l’État s’en rende compte ».

Place et rôle des populations

Partout en Afrique, les projets de compensation se multiplient. En 2023, la Zambie a conclu un accord avec deux entreprises chinoises pour reboiser 5 % de son territoire. Au Libéria, la même année, 10 % du territoire passe sous pavillon émirati pendant trente ans via la société Blue Carbon LLC.

En Côte d’Ivoire, « la reconstitution de la forêt va de pair avec le développement socio-économique des populations rurales », soutient le ministère des Eaux et Forêts. ” Des centaines d’emplois directs » sera créé grâce à Karidja, ajoute aDryada, assurant que « autorisations d’exploitation et de vente des productions agricoles », seront livrés à la population.

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Est-ce suffisant pour rassurer les 18 000 familles dépendantes de cette forêt ? “Il y a quelques réticences”, reconnaît Agro-Map. Le patron d’aDryada assure de son côté qu’il n’y a pas « pas de problème de relogement, car les agriculteurs vivent en dehors de la forêt classée », mais, selon l’économiste François Ruf, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agricole pour le développement, « les autorités seront obligées de déplacer une partie des personnes, ou du moins de les restreindre dans leurs activités ou leurs déplacements. Il y aura des conflits fonciers.

Si Karidja fonctionne selon une logique de rentabilité, avec “le risque de privilégier les arbres à croissance rapide (…) pour obtenir rapidement des résultats “, prévient Marie-Solange Tiebre, directrice du Centre Floristique National de Côte d’Ivoire, l’amélioration des conditions de vie des populations concernées apparaît comme le premier gage de réussite du projet.

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Elise

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