Les débats sur le partage de la valeur reviennent régulièrement dans le débat public. Et pour cause : les bonus et autres dispositifs de rémunération variable sont un bandage sur une jambe de bois. Ils ne font rien pour s’attaquer à la racine du problème, qui n’a pas grand-chose à voir avec le pouvoir d’achat. Le travail reste le fondement de notre valeur sociale. Il ne s’agit pas seulement de ce marqueur particulier qu’est le salaire net, qui détermine une bonne partie de nos possibilités. Mais du sentiment de contribuer activement à quelque chose : le bien-être de sa famille, l’avenir de son entreprise, parfois le bien commun.
Or, notre société connaît clairement une crise de la valorisation du travail, qui tend à distendre le lien entre contribution et rémunération. Cette crise est particulièrement aiguë aux deux pôles du marché du travail. Au bas de l’échelle salariale, les rapports annuels du Groupe d’experts sur le salaire minimum révèlent un problème majeur : l’effacement des différences entre niveaux de qualification autrefois perçus comme significatifs, mais qui ne le sont plus aujourd’hui. Ce problème touche le secteur privé, avec les pièges des bas salaires et du salaire minimum, mais aussi le public.
La faible valeur économique reconnue aux métiers qualifiés à forte valeur ajoutée pour la société (infirmière, enseignant) est en passe de devenir un problème fondamental : non seulement parce que ces catégories expriment une colère sociale susceptible de se traduire par une crise politique, mais aussi parce que la pudeur de rémunération et de perspectives finit par poser un vrai problème d’attractivité et donc de qualité du recrutement.
Cette crise du « travail essentiel », insuffisamment valorisé et en manque de reconnaissance, correspond en miroir à une autre crise du travail : celle affectant ce que l’anthropologue David Graeber appelait « des boulots de conneries », occupés par des salariés effectuant des tâches inutiles et dénuées de sens. Ces emplois sont à l’opposé des précédents : nombreux dans les grandes organisations, ils sont souvent bien payés, mais leur valeur réelle est imperceptible, et donc décorrélée de la valeur économique qui leur est reconnue via la rémunération.
Cette décorrélation, montre l’anthropologue, est un facteur de dépression, d’anxiété et parfois d’effondrement de l’estime de soi. A la question : « Que vaux-je ? » “, à laquelle notre travail est censé apporter une réponse substantielle, ces formes de travail et ces niveaux de salaires n’apportent aucune réponse significative. Cette double crise du travail se manifeste aujourd’hui dans toute une série de phénomènes, parfois anecdotiques ou marginaux, mais qui Une fois réunis, ils forment un système. L’importance accordée à la retraite, considérée comme un salut à cette misère morale, en est une.
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