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La double punition des femmes afghanes


EEn août, les talibans ont de nouveau décrété plusieurs lois répressives qui aggravent les conditions atroces dans lesquelles vivent les femmes afghanes. Il y a deux semaines, l’une d’elles aurait été lapidée à mort dans un village de la région de Rod, alors que la pratique de la lapidation avait été réhabilitée quelques mois plus tôt.

Peu avant les nouvelles lois répressives promulguées en août par les talibans, c’est le retour de la lapidation qui est passé inaperçu. « Nous avons découvert plusieurs cas, dont un il y a plus de deux semaines à Rod, il s’agissait d’une jeune femme mariée à un combattant qui avait pris la fuite. Elle a été lapidée à mort sur la place du village », témoigne pour sa part le journaliste. Le point Chékéba Hachemi, première femme diplomate afghane et impliquée au niveau international dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

En mars dernier, Hibatullah Akhunzada, le chef suprême des talibans, annonçait sur la radio afghane RTA le retour de la lapidation publique pour les femmes « adultères ». Peu après, le 21 août, le « ministère de la Prévention du vice et de la Propagation de la vertu », créé par les talibans en 2021, élaborait une « loi sur la moralité », publiée par le ministère afghan de la Justice.

« Le contenu de cette loi n’est pas nouveau, en réalité, les 114 pages ne font que reprendre les différents décrets publiés par le ministère de la Prévention du vice et de la Propagation de la vertu depuis 2021. Il s’agit simplement de la codification d’un quotidien que subissent les femmes afghanes depuis près de trois ans », précise le Indiquer Maître Sarah Benhammou, avocate au Barreau de Paris, spécialisée en droits de l’homme et droit international humanitaire et anthropologue.

Des fantômes dans leurs maisons

Parmi ces interdictions désormais promulguées, on apprend que les femmes afghanes n’ont plus le droit de parler en public, ni de se parfumer ou de se maquiller. Alors que la burqa avait déjà été rendue obligatoire moins d’un an après le retour au pouvoir des talibans, depuis la publication du décret, le visage des femmes doit être entièrement couvert ainsi que leurs mains. Quant aux vêtements, ils ne doivent être « ni fins, ni serrés, ni courts ». Si leurs déplacements étaient déjà très limités et soumis à conditions, depuis le décret du 21 août, il est obligatoire que les femmes afghanes soient constamment accompagnées d’un membre masculin de leur famille (appelé mahram), quelle que soit la distance.

Comme le rappelle Sarah Benhammou, ces interdictions sont si nombreuses et si strictes que la seule solution qui reste aux femmes afghanes est de rester confinées chez elles. « C’est leur seul moyen de se protéger… Et donc c’est un succès pour les talibans : elles ne sont plus visibles en public ! Et moins de femmes en public, ça veut dire moins de punitions qui pourraient leur être infligées et potentiellement diffusées sur les réseaux sociaux, ce qui alerterait la communauté internationale. Donc les talibans peuvent dire : “Regardez, on ne fait rien aux femmes ! Il n’y a aucune preuve, aucun cas, ou alors ils sont très rares !”… en oubliant de préciser que s’il y a moins de cas, c’est parce que les femmes ne sortent plus de chez elles… » déplore l’avocate.

Hélas, même leur propre domicile est sujet à l’interdiction : dans l’article 13 du décret promulgué en août dernier, il est précisé que les femmes ne doivent pas être entendues chanter ou lire à voix haute, qu’elles soient ou non chez elles. « Il faut se rappeler que les maisons afghanes ne sont pas comme les appartements parisiens ! s’exclame Chékéba Hachemi. Elles ont des rideaux en guise d’entrée, les murs sont en terre, le son de leur voix est parfaitement audible de l’extérieur ! La proximité est partout… Cela veut-il dire qu’elles n’ont même pas le droit de crier de douleur en accouchant ? »

Le silence des politiques

En juin dernier, l’ONU avait cédé aux exigences des talibans, qui conditionnaient leur participation à la réunion de Doha au Qatar à la seule absence des femmes afghanes et à l’assurance que leur sort ne serait pas évoqué. « C’est un coup de pied dans la figure de nos démocraties ! Nous acceptons qu’un régime totalitaire soit présent aux tables de négociation au même titre que n’importe quel autre interlocuteur », s’insurge Chékéba Hachemi. Et pour l’ancien diplomate, ce n’est pas nouveau : en 2021, le ministre des Affaires étrangères de l’époque Jean-Yves Le Drian avait recommandé aux talibans de former un « gouvernement véritablement inclusif et représentatif » pour confirmer le changement qu’ils prétendaient avoir apporté. « Les politiques français et internationaux ferment les yeux sur le sort des 20 millions de femmes afghanes emmurées vivantes ! Pourquoi Kamala Harris, en pleine campagne politique, n’aborde-t-elle pas le sujet ? » « Il faut se rendre à l’évidence : nos gouvernements acceptent ce qui se passe », soupire Chékéba Hachemi.

Le 27 août, la députée écologiste Sandrine Rousseau déplorait sur son compte X que les talibans interdisent aux femmes afghanes « d’être autre chose que des objets, des servantes, des utérus. Ils leur interdisent d’être, d’exister et de vivre », avant d’ajouter : « Je déteste leur idéologie, leur toute-puissance, leur violence et leur impunité. » Un coup de gueule qui n’est pas passé inaperçu, puisque la députée, qui se revendique féministe, a défendu à de nombreuses reprises le port du hijab en France. « Quel est le nom de cette idéologie qui considère que les cheveux, le corps et la voix des femmes doivent être cachés et réduits au silence ? », lui demande dans un long texte le collectif féministe iranien « Femmes Azadi ».

Interrogée par nos confrères de France Info, Marie-George Buffet, ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports et fondatrice de l’association “Hand’Solidaire”, qui œuvre pour l’exfiltration des sportives afghanes, n’a pas mâché ses mots : “Nous sommes capables, la France, quand nous le décidons, nous l’avons vu dans d’autres situations internationales, de faire entendre une voix pour la défense des droits de l’homme, des libertés fondamentales”, avant d’ajouter son souhait que la France “prenne le leadership de ce mouvement international pour pointer du doigt et condamner le pouvoir taliban”.

En effet, cette récente loi des talibans contrevient à tous les traités internationaux concernant la protection des droits de l’homme, comme le confirme Sarah Benhammou. « La démarche la plus importante serait de faire pression sur l’État français, les Nations unies ou l’Union européenne pour qu’ils saisissent la Cour pénale internationale et demandent au procureur d’ouvrir une enquête », estime l’avocate et anthropologue. En effet, la Cour pénale internationale est habilitée à engager des poursuites lorsqu’il s’agit de crimes contre l’humanité, dont l’apartheid.

Dans le cas de l’Afghanistan, les experts internationaux réclament la reconnaissance du concept d’«apartheid de genre». «La Cour pénale internationale peut intervenir pour juger des criminels si l’État sur le territoire duquel ces crimes ont été commis n’a ni la capacité ni la volonté de mener des enquêtes, ce qui est clairement le cas des talibans», plaide Sarah Benhammou, qui rappelle que les États-Unis sont «un État qui a commis des crimes de genre». Indiquer qu’une enquête préliminaire avait déjà été ouverte concernant l’Afghanistan pour crimes de guerre remontant à 2003.

Donner la parole aux femmes afghanes

Durant les Jeux olympiques et paralympiques, plusieurs athlètes afghanes ont tenu à faire réagir la communauté internationale face au sort des femmes en Afghanistan. C’est le cas de Manizha Talash, disqualifiée par le CIO pour avoir participé à l’épreuve de breakdance avec une cape sur laquelle était inscrit le message courageux : « Libérez les femmes afghanes ». De son côté, l’athlète réfugiée Zakia Khudadadi a dédié sa médaille de bronze en parataekwondo le 29 août « aux filles et femmes afghanes » et à « toutes les femmes réfugiées du monde ».

Sur les réseaux sociaux, les femmes afghanes tentent de faire entendre leur voix et se filment en train de chanter, en réaction aux lois qui les entravent. Marzieh Hamidi, taekwondoïste afghane réfugiée en France, a également utilisé les réseaux sociaux et lancé le hashtag #LetUsExist pour dénoncer le récent décret des talibans.

Depuis sa publication, selon les informations de parisienL’athlète est victime de cyberharcèlement massif et de menaces de mort de la part de nombreux pays à travers “des milliers d’appels en provenance de pays européens, des Etats-Unis, d’Arabie saoudite, de France…” comme l’a indiqué son avocat à France Info. Contrainte de quitter son domicile en région parisienne pour des raisons de sécurité, Marzieh Hamidi a depuis porté plainte.


Anna

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