La France bombardée par ses propres aviateurs : une page méconnue du Débarquement de juin 1944

Les bombardements alliés sur la France pendant la Seconde Guerre mondiale ont coûté la vie à plus de 57 000 civils français. Pourtant, quatre-vingts ans après le débarquement de Normandie de juin 1944, la participation des aviateurs français aux bombardements a été largement oubliée, pour plusieurs raisons.

Les raids ont soulevé des questions difficiles pour les Alliés quant au traitement réservé aux civils. “dommages collatéraux”. Les autorités alliées ont donné la priorité aux objectifs militaires plutôt qu’aux préoccupations humanitaires. Les aviateurs français étaient considérés avec méfiance par le général de Gaulle. Finalement, après la Libération, la mémoire collective s’est concentrée sur les sacrifices du peuple français plutôt que sur les actions et les parcours des hommes qui l’ont bombardée.

Certes, la France étant une nation occupée et considérée comme « amie », les Alliés ne ciblaient pas délibérément les civils français. Néanmoins, plus de 16 000 d’entre eux furent tués dans les bombardements de transports et de cibles militaires et industrielles entre mai et juillet 1944.

Le Premier ministre britannique Winston Churchill avait averti le président américain Franklin D. Roosevelt de ne pas bombarder des cibles situées à proximité de zones peuplées, affirmant que “le massacre a lieu entre des gens amis qui n’ont commis aucun crime contre nous” (“Le massacre a lieu parmi des gens amis qui n’ont commis aucun crime contre nous”).

Roosevelt refusa cependant d’imposer des restrictions qui auraient pu entraver le succès de l’opération Overlord (6 juin – 30 août 1944) ou causer des pertes supplémentaires parmi les forces alliées. Les décès de la population française ont donc été traités comme “dommages collatéraux”.

Le Comité français de libération nationale (CFLN), qui se trouvait alors à Londres, s’est plaint du fait que les attentats « touchent principalement des civils innocents » mais il ne voulait pas mettre en péril la Libération. Ses plaintes portaient sur des préoccupations politiques plutôt qu’humanitaires, et aucune ne venait de De Gaulle lui-même. De Gaulle semble avoir été moins affecté par les pertes françaises que les autres membres du CFLN.

René Massigli, le commissaire aux Affaires étrangères du CFLN, a laissé entendre que les Français blâmeraient les Américains et les Britanniques pour avoir causé tant de morts. Il affirmait que la Résistance pouvait saboter des cibles militaires et des moyens de transport sans mettre en danger la vie des Français. Les plaintes françaises furent cependant rejetées par le Quartier général suprême du Corps expéditionnaire allié (SHAEF), quartier général des forces alliées dans le nord-ouest de l’Europe de décembre 1943 à mai 1945, au motif que l’efficacité ne devait pas être compromise. de l’opération militaire.

Le défi des Forces Aériennes Françaises Libres

C’est le général de Gaulle lui-même qui créa les Forces aériennes françaises libres (FAFL) en juillet 1940. Ces dernières opéraient sous le commandement de la Royal Air Force.

Après la libération de l’Afrique du Nord française en 1943, les groupes de bombardement 2/23 « Guyenne » et 1/25 « Tunisie » commencèrent à arriver en Grande-Bretagne. Parmi les aviateurs célèbres de la Libération, on retrouve des personnalités comme Romain Gary, René Mouchotte et Pierre Mendès France.

Cependant, les dirigeants de la France libre en Grande-Bretagne se méfiaient des aviateurs qui n’avaient rejoint les FAFL que plus tard dans la guerre et les accusaient d’être de « faux » Français libres, c’est-à-dire des opportunistes.

Le fait que nombre de ces aviateurs aient servi un temps sous le régime de Vichy, qui collaborait avec les nazis, provoqua de nouvelles tensions. De Gaulle accuse également les aviateurs de soutenir son rival, le général Giraud, que le gouvernement américain souhaite installer à la tête de la France libre.

Bombarder votre propre nation

Les aviateurs français ont été confrontés à la tâche difficile de bombarder leur propre nation et leur propre peuple pour soutenir le débarquement en Normandie. La première opération de l’escadron “Guyenne”, les 1er et 2 juin 1944, fut de bombarder une station d’écoute de radio allemande à la Ferme d’Urville, près de Cherbourg.

La nuit précédant le débarquement, l’escadre attaque les canons côtiers de Grandcamp-Maisy. Dans les semaines qui suivent, les escadrons « Guyenne » et « Tunisie » participent aux bombardements de Caen, Calais et Le Havre.

La ville de Caen en feu après un bombardement, le 6 juin 1944. | PhotosNormandie via Flickr

Les aviateurs voient les villes françaises incendiées par les bombardements alliés et craignent pour la sécurité de leurs familles. Pourtant, ils acceptèrent volontiers la nécessité stratégique de bombarder des cibles en France. Certains estimaient même qu’ils avaient le devoir de participer aux raids pour défendre l’honneur de leur nation après la honte de la défaite et de la collaboration.

« Vaine gloire »

Dans ses mémoires de guerre, Sarabande nocturne, le lieutenant Louis Bourgain, qui a servi dans l’escadre “Guyenne”, reconnaît que s’il était fier de participer à la libération de sa nation, il avait été profondément marqué par le fait d’avoir dû bombarder son sol natal. André Guedez, mitrailleur senior de l’escadron « Tunisie », a déclaré qu’il savait qu’il avait une mission à accomplir et qu’il était fier de ce qu’il avait fait, mais a insisté sur le fait que c’était sans « vaine gloire ».

Les escadrons de bombardiers français minimisent le danger pour les civils en volant à des altitudes plus basses, même si cela met en danger leur propre sécurité. Mais après la guerre, leurs sacrifices furent largement oubliés. Les monuments aux morts commémorant les escadrons « Tunisie » et « Guyenne » à Grandcamp-Maisy et Elvington, en Angleterre, ne mentionnent pas leur rôle dans la libération de la France.

Dans leurs mémoires d’après-guerre, le général Martial Valin, Louis Bourgain et d’autres aviateurs français se plaignaient que leurs sacrifices étaient oubliés par une nation ingrate et antipatriotique. Mais peu de Français ont voulu se rappeler que leurs libérateurs avaient apporté la mort et la destruction. Aujourd’hui, peu de gens savent que des aviateurs français ont participé au débarquement de Normandie en juin 1944.

Karine Varley est maître de conférences en histoire française et européenne à l’Université de Strathclyde.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lisez l’article original.

Louis

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