La littérature « Esprit Critique » : les relations humaines avec le scalpel

1 421 pages au total pour un programme de rentrée chargé pour la première littérature « Esprit critique » de la rentrée, composée autour de trois ouvrages qui ont en commun l’objectif de décrire le long terme des relations amoureuses, amicales ou professionnelles…

Nous discutons aujourd’hui du livre du romancier Abel Quentin, Cabanepublié aux Éditions de l’Observatoire ; de l’ouvrage hybride entre essai et littérature d’Hélène Giannecchini intitulé Un désir excessif d’amitiépublié au Seuil, et enfin le roman substantiel de l’Américain Nathan Hill, intitulé Bien-êtrequi est publié chez Gallimard.

” Cabane »

Cabane est le nouveau roman d’Abel Quentin, après Sœurdans lequel l’écrivain – également avocat ayant traité ce type d’affaires – parlait de la radicalisation islamiste d’une jeune fille, et Le voyant d’Étampesun texte en forme de satire du wokisme qui a été finaliste pour le prix Flore.

Il y reprend le rapport « Meadows », également connu sous le nom de « Rapport du Club de Rome », publié en 1972, largement oublié pendant des années, mais désormais considéré comme un précurseur des limites de la croissance et des menaces écologiques de notre époque.

Abel Quentin le transpose en « Rapport 21 » et s’intéresse au parcours de ses quatre éditeurs : le couple formé par Mildred et Eugene Dundee, le Français Paul Quérillot, et l’énigmatique Norvégien et mathématicien Johannes Gudson, et restitue l’aveuglement d’une société où, pour citer l’économiste Kenneth Boulding, « Quiconque croit que la croissance exponentielle peut se poursuivre indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ».

” Un désir excessif d’amitié »

Un désir excessif d’amitié est le troisième ouvrage d’Hélène Giannecchini publié dans la collection « La Librairie du XXI^e siècle » du Seuil, après Une image peut être vraie Et Voyez de vos propres yeux. Ce livre utilise également des photographies, pour dépeindre de manière fragmentée à la fois une quête de soi, une recherche dans les archives LGBT et une réflexion sur le sentiment ou plutôt les liens d’amitié, perçus, notamment pour les personnes queer, comme des antidotes à la famille et à l’amour, qu’elle soit romantique ou conjugale.

L’écrivain livre donc ici un livre hybride, entre essai, récits de rencontres, retour sur sa propre histoire et éloge d’un sentiment qui, est-elle cité, « a un rôle particulier dans la vie des personnes qui s’écartent de la norme, dont les désirs ne sont pas majoritaires et qui inventent d’autres manières de vivre et de se relier. L’amitié nous sauve. C’est un principe fondateur et une protection. Cela ne diminue pas avec les années, c’est une alternative à la famille dite biologique, une autre façon de créer des liens, une force politique, nous n’en faisons pas une forme d’amour à demi-mot, nous le défendons comme avenir et comme pratique. ».

” Bien-être »

Bien-être est le titre du nouveau roman de l’auteur américain Nathan Hill, qui s’est notamment fait remarquer avec un titre précédent, Les fantômes du vieux pays. Il est publié aux Editions Gallimard dans une traduction de Nathalie Bru et retrace le parcours d’Elizabeth et Jack sur vingt ans, depuis les études de psychologie du premier et les premiers pas en photographie pour le second, jusqu’à l’achat d’un appartement sur plan à une ville de Chicago en pleine gentrification.

Un livre où l’on croise un “licorne”à savoir « une femme célibataire ouverte aux coups d’un soir en couple »les femmes appelées licornes « parce qu’ils sont si difficiles à trouver qu’ils en sont presque mythiques » ; un ancêtre qui a fait fortune en confectionnant des costumes pour les membres du Ku Klux Klan ; un ami d’enfance reconverti en promoteur éhonté ou encore une méthode quasi scientifique bien que placebo pour déclencher le coup de foudre.

Mais l’acquisition de ce logement avec une double suite parentale est source de nombreuses difficultés, et fait office de révélateur des illusions bohèmes et romantiques du couple, freiné par la naissance d’un fils tyrannique et leur propre gentrification.

“Peut-être était-ce l’usage fréquent de l’expression “pour la vie » qui donnait à ses rencontres un côté si tendu, écrit Nathan Hill. Comme dans « Ceci est votre maison pour la vie », un refrain que les entrepreneurs en bâtiment, les architectes, les décorateurs et les agents immobiliers chantaient à chaque suggestion d’une nouvelle extravagance hors de prix. L’implication était claire : si c’est l’endroit où vous allez mourir, lâchez prise et brûlez la carte de crédit, n’est-ce pas ? »

L’auteur compose ainsi une odyssée domestique en se référant à ce qu’il fait dire à Elisabeth : « Personne n’avait jamais composé un opéra racontant l’histoire héroïque d’une mère qui avait réussi à faire aimer le houmous à son bébé. La chose restait en dessous du seuil d’intérêt détectable. »

Avec :

• Blandine Rinkelécrivain, critique et musicien ;
• Youness Bousennacritique littéraire pour Télérama et romancier;
• Rose Vidalartiste et critique, qui écrit notamment pour le quotidien d’idées en ligne AOC.

« L’Esprit critique » est un podcast réalisé aujourd’hui par Samuel Hirsch et enregistré aux studios Gong par Karen Beun.