la marche longue et souvent entravée vers l’indépendance et la souveraineté

L’actualité relativisée chaque samedi, grâce à l’historien Fabrice d’Almeida. Samedi 11 mai : les grandes manifestations qui secouent la Géorgie, et qui doivent être lues comme une continuation de la longue histoire de la lutte pour l’indépendance de ce pays.

Cette région est déjà reconnue comme entité politique dans l’Antiquité, royaume disputé par de nombreuses puissances, aux confins de la mer Noire. Hittites, Parthes, Romains, Perses, tous ont tenté de se l’approprier. Ce fut même une zone de combat entre musulmans et chrétiens orthodoxes de Byzance, au Moyen Âge et après. Finalement, au début du XIXe siècle, après plusieurs campagnes, l’Empire russe s’empare de la région et l’annexe. Mais le patriotisme couvait sous les cendres et renaît grâce à la Première Guerre mondiale et à la fin de l’Empire russe. La Géorgie a existé en tant qu’État entre 1918 et 1921. Elle a ensuite rejoint l’Union soviétique.

Le Géorgien le plus connu de cette époque est le maître de l’URSS : Joseph Djougashvili, dit Staline. Sous son règne et celui de ses successeurs, il était impossible de parler de nation. Mais avec la perestroïka des années 1980, les ambitions sont revenues. À partir de novembre 1988, des manifestations populaires réclament un État libre. La plus importante, en avril 1989, fut réprimée dans le sang par l’Armée rouge, avec une vingtaine de morts et des dizaines de blessés. La raison de ces mobilisations ? Les tentatives de Moscou de détacher l’Abkhazie et l’Ossétie du Nord de la Géorgie. À tel point qu’en 1991, le pays accède à son indépendance avec une forme d’hostilité silencieuse à l’égard de la Russie.

Un président démocratiquement élu, Zviad Gamsakhourdia, arrive au pouvoir. Mais les anciens du Parti communiste soviétique organisent un coup d’État et placent bientôt à leur tête l’ancien ministre des Affaires étrangères de Gorbatchev, devenu proche de Boris Eltsine, Edouard Chevardnadze. Le pays sombre dans la guerre civile. Puis retrouve le calme sous le régime autoritaire de Chevardnadze. Ce dernier a été renversé par une révolution pacifique le 22 novembre 2003. Une ère démocratique a commencé, mais les problèmes n’étaient pas terminés.

Avant l’Ukraine, Poutine avait réprimé la Géorgie

Pour la Russie, en effet, le pays doit rester dans sa sphère d’influence. Cependant, la Géorgie se rapproche de l’Europe et du monde occidental. Poutine décide donc de l’affaiblir en relançant la guerre intérieure et en détachant les provinces russophones. Un processus proche de ce qui s’est produit en Ukraine, plus tard, en 2014. Mais en 2008, la Géorgie a été une première : des milices pro-russes dans ces régions ; envoyer des troupes… La guerre éclate. Le président français Nicolas Sarkozy est intervenu rapidement et a facilité la fin des hostilités grâce à une médiation qui a approuvé les positions russes.

Depuis, la tension ne s’est que légèrement retombée. Et elle est revenue avec l’élection d’une majorité au Parlement qui cherche à éviter toute confrontation avec la Russie. Selon la présidente du pays, élue en 2018, Salomé Zourabichvili, la Russie n’a qu’un seul objectif : rompre les relations de cette jeune démocratie avec l’Europe. D’où le projet de loi contre le financement étranger pour faire taire les pro-occidentaux. Une méthode déjà testée à Moscou.

Aujourd’hui, comme depuis des millénaires, les Géorgiens tentent d’échapper aux objectifs hégémoniques de leurs voisins et de construire leur propre destin. Leur courage peut changer l’histoire.