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La révolution soudanaise sur les écrans de Venise à Toronto


LLes images de Khartoum dévastées par la guerre entre les forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide (RSF) qui a éclaté le 15 avril 2023 sont vite balayées dans les premières minutes du film. La réalisatrice Hind Meddeb préfère nous emmener au cœur du sit-in révolutionnaire de mai 2019, un mois après l’éviction du dictateur Omar el-Béchir. « J’ai cru à la révolution autant qu’eux. C’est pour ça que j’ai commencé le film par la guerre parce que je ne voulais pas finir sur quelque chose de négatif », confie cette ancienne journaliste française d’origine tunisienne, marocaine et algérienne, jointe par Zoom le 4 septembre, en marge de la Mostra de Venise. Son documentaire Soudan, souviens-toi de nous faisait partie de la sélection parallèle du festival du film italien. Il a également été présenté au 49et édition du Festival international du film de Toronto, du 5 au 15 septembre, avant sa sortie en salles en France au premier semestre 2025.

L’histoire d’Hind avec le Soudan a commencé en 2016, à Paris. Elle s’est alors portée volontaire pour aider les réfugiés arabophones à traduire leurs histoires afin de déposer leurs demandes d’asile. « Je me suis liée d’amitié avec la communauté soudanaise de Paris », résume celle qui tirera de ces rencontres, et notamment de celle avec un réfugié du Darfour, le documentaire Paris StalingradLe film a été présenté à Toronto, déjà, mais aussi à Paris, au Centre Pompidou, en mars 2019. Un mois plus tard, les révolutionnaires ont réussi à renverser la dictature militaro-islamiste vieille de trois décennies, guidée par le slogan « liberté, paix, justice ».

Une révolution à la puissance de mille

« Mes amis m’ont dit qu’il fallait que j’aille voir ce pays et que je leur ramène des images de leur révolution parce qu’ils étaient tous en procédure d’asile. Ils ne pouvaient pas quitter la France », se souvient la réalisatrice. Lorsqu’elle est entrée pour la première fois dans le sit-in devant l’état-major de l’armée pour réclamer l’instauration d’un gouvernement civil, Hind a été captivée. « J’avais couvert les soulèvements tunisien et égyptien, d’où sont respectivement issus les documentaires Affrontement en Tunisie Et Électro ChaabiC’était la troisième révolution dans laquelle je me trouvais. Mais cela n’avait rien à voir, c’était mille fois plus puissant !

Les images tournées pendant dix jours, « jusqu’à épuisement ou jusqu’à ce que ma caméra n’ait plus de batterie », mettent en lumière la ferveur d’un peuple uni par l’espoir d’en finir avec ce régime oppressif. Les femmes, premières victimes de cet autoritarisme, sont très présentes. « Quand il était encore en vie, mon père, Abdelwahab, m’a raconté son rêve. Le rêve d’un monde arabe aux mœurs bousculées par une révolution féministe », explique la voix off de Hind, qui accompagne le long métrage de 76 minutes, en référence au poète tunisien Abdelwahab Meddeb, décédé en 2014. Les messages vocaux que la réalisatrice a échangés pendant quatre ans avec les quatre acteurs principaux – deux jeunes femmes et deux jeunes hommes – servent également de fil conducteur à ce documentaire, qui s’articule autour des trois grandes trahisons infligées par les militaires aux civils depuis la révolution : le démantèlement du sit-in, le coup d’État et la guerre.

Du massacre au coup d’État

Le 3 juin 2019, Hind venait de quitter le Soudan, après des menaces des autorités envers des diplomates et des journalistes qui soutenaient la révolution. Ce jour-là, l’armée et le FSR attaquaient férocement les tentes des révolutionnaires. De nombreux corps ne furent jamais retrouvés. Les survivantes du viol se comptaient par dizaines. « J’ai récupéré les images du massacre grâce à un collectif soudanais qui a fait un travail d’archivage afin d’avoir des preuves si jamais un procès avait lieu », raconte la documentariste.

Ces vidéos d’une violence inouïe ont été filmées par les militaires eux-mêmes, qui n’hésitaient pas à filmer leur visage à la fin de chaque séquence… Les militaires et leurs désormais ennemis du FSR usent des mêmes méthodes ténébreuses depuis le déclenchement du conflit actuel. Le deuxième camouflet pour les partisans de la démocratie est intervenu le 25 octobre 2021. Les généraux, qui co-dirigeaient désormais le pays avec les civils, ont pris le pouvoir par un putsch. La réalisatrice s’est envolée pour la quatrième fois pour Khartoum, où son travail a été sans cesse perturbé par les autorités. « À chaque fois que j’étais arrêtée et interrogée, c’est mon passeport tunisien qui m’a sauvée. Les militaires faisaient des blagues sur le football parce que les Soudanais aiment beaucoup l’équipe tunisienne », plaisante-t-elle, sans une once de nostalgie pour ces interrogatoires fastidieux. Difficile aussi de suivre les militants dans leur quotidien, en dehors des manifestations. Ils savent qu’ils sont ciblés par les militaires et les services de renseignement, qui les arrêtent et les torturent régulièrement.

Poètes et peintres à l’honneur

« Le premier jour de la Mostra de Venise, j’ai cité le réalisateur chilien Raúl Ruiz lors d’une séance de questions-réponses : “Un film, c’est une ruine déguisée en château”. Il y a en effet beaucoup de trous dans ce film, beaucoup de moments que j’aurais aimé filmer… » Et pourtant, ces images que Hind juge incomplètes ont le mérite de témoigner du courage des révolutionnaires et des centaines de “martyrs” auxquels le titre du documentaire rend hommage.

« Le plus important, c’est de se rappeler qu’ils ne l’ont pas fait pour rien. Ce qu’ils ont accompli restera et inspirera les générations futures », assure la réalisatrice. Elle souligne l’omniprésence de la poésie au sein de la révolution, puis des marches contre le putsch. Les grands poètes soudanais du passé sont repris par les manifestants, qui reprennent parfois la plume à leur tour, et improvisent des récitations publiques au milieu des marches. Les peintres sont également mis à l’honneur dans le film, inscrivant, cortège après cortège, les visages des nouvelles victimes des balles de la police sur les murs de la capitale.

Les bombes qui ravagent la plupart des régions depuis près de dix-sept mois ne détruiront pas les révolutionnaires ni leurs rêves, veut croire Hind. Durant ces quatre années, le poème « Car la parole, qu’on le sache, est un être vivant », que Victor Hugo* récitait au tribunal lors d’un procès en diffamation, lui trotte dans la tête. « C’est l’idée que le pouvoir des mots peut avoir un effet sur la réalité. La parole peut être une action », décrypte la documentariste. Les Soudanais sont en quelque sorte les Victor Hugo du XXIe siècle.et siècle ! » L’ambition de Hind est que son film contribue à sensibiliser l’opinion à la pire crise humanitaire de la planète. Pour l’heure, le sort de plus de 10 millions de personnes déplacées, la menace de famine, déjà déclarée dans le camp de Zamzam, et les exactions visant les révolutionnaires devenus volontaires au service des habitants locaux se déroulent dans l’ombre des caméras.

*Victor Hugo, Les ContemplationsMoi, VIII.


Anna

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