Sobriété. Nous sommes en 2022 et, face à la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, le mot est sur toutes les lèvres, devenant même un temps une priorité du gouvernement français. Depuis, le concept s’est fait plus discret, apparaissant très peu lors de la séquence électorale de juin. Pourquoi ce concept, et les mesures qu’il recouvre, suscitent-ils autant de résistances ? Pierre Charbonnier, philosophe, cofondateur et représentant du collectif Construire l’écologie, qui publie Vers une écologie de la guerre. Une histoire environnementale de la paix (La Découverte, 324 pages, 23 euros), discussion autour de cette notion avec Yamina Saheb, chercheuse à Sciences Po, spécialiste des politiques d’atténuation du changement climatique et de l’efficacité énergétique des
bâtiments, co-auteur du rapport du Groupe III du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et fondateur du World Sufficiency Lab.
Comment la notion de sobriété s’est-elle progressivement imposée dans le débat public en France, et pourquoi semble-t-elle aujourd’hui marginalisée ?
Yamina Saheb : Notons d’abord que la France est le seul pays à faire référence à la « sobriété ». Le terme est en fait typiquement français, dont suffisance est considéré comme l’équivalent en anglais. C’est une association française, négaWatt, qui a publié en 2003 le premier scénario de transition énergétique, incluant le recours à des formes de sobriété, et démontrant que cela serait indispensable à la transition énergétique. Le concept a depuis infusé le débat public, jusqu’au vote, sous la présidence de François Hollande, de la loi de 2015 sur la transition énergétique, dont le texte incluait l’exigence de sobriété – une première mondiale, même si le législateur s’est bien gardé de définir le concept.
Ce dernier a eu encore plus de publicité ; puis, en 2022, est venue la publication du sixième rapport de synthèse du GIEC sur l’atténuation du changement climatique, dans lequel nous avons introduit pour la première fois le concept de sobriété. Finalement, face à la crise énergétique déclenchée par la guerre d’invasion russe en Ukraine, le président Emmanuel Macron s’est emparé du concept de sobriété – il pouvait d’ailleurs s’appuyer pour cela sur la loi de 2015. Sauf que, jusqu’à récemment, la conception française de la sobriété ne s’appuyait pas sur les notions d’équité, de justice sociale, et suscitait donc des réticences au sein de la population.
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Sobriété. Nous sommes en 2022 et, face à la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, le mot est sur toutes les lèvres, devenant même un temps une priorité du gouvernement français. Depuis, le concept s’est fait plus discret, apparaissant très peu lors de la séquence électorale de juin. Pourquoi ce concept, et les mesures qu’il recouvre, suscitent-ils autant de résistances ? Pierre Charbonnier, philosophe, cofondateur et représentant du collectif Construire l’écologie, qui publie Vers une écologie de la guerre. Une histoire environnementale de la paix (La Découverte, 324 pages, 23 euros), discussion autour de cette notion avec Yamina Saheb, chercheuse à Sciences Po, spécialiste des politiques d’atténuation du changement climatique et de l’efficacité énergétique des
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Yamina Saheb : Notons d’abord que la France est le seul pays à faire référence à la « sobriété ». Le terme est en fait typiquement français, dont suffisance est considéré comme l’équivalent en anglais. C’est une association française, négaWatt, qui a publié en 2003 le premier scénario de transition énergétique, incluant le recours à des formes de sobriété, et démontrant que cela serait indispensable à la transition énergétique. Le concept a depuis infusé le débat public, jusqu’au vote, sous la présidence de François Hollande, de la loi de 2015 sur la transition énergétique, dont le texte incluait l’exigence de sobriété – une première mondiale, même si le législateur s’est bien gardé de définir le concept.
Ce dernier a eu encore plus de publicité ; puis, en 2022, est venue la publication du sixième rapport de synthèse du GIEC sur l’atténuation du changement climatique, dans lequel nous avons introduit pour la première fois le concept de sobriété. Finalement, face à la crise énergétique déclenchée par la guerre d’invasion russe en Ukraine, le président Emmanuel Macron s’est emparé du concept de sobriété – il pouvait d’ailleurs s’appuyer pour cela sur la loi de 2015. Sauf que, jusqu’à récemment, la conception française de la sobriété ne s’appuyait pas sur les notions d’équité, de justice sociale, et suscitait donc des réticences au sein de la population.
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