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L’affaire Mohamed Ben M’hidi, prochain geste mémoriel de Macron ?


jeJeudi 19 septembre, Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée les membres français de la commission mixte franco-algérienne d’historiens. L’occasion pour le président français de réitérer “sa détermination à poursuivre le travail de mémoire, de vérité et de réconciliation engagé depuis 2017 et établi avec l’Algérie dans le cadre de la Déclaration d’Alger (co-signée avec son homologue algérien le 27 août 2022, NDLR)”, selon le communiqué de l’Élysée.

C’est au cours de cette rencontre que Benjamin Stora, qui préside la commission des historiens côté françaisIl a interrogé le président sur la possibilité d’une reconnaissance par la France de l’assassinat en 1957 de Larbi Ben M’hidi, l’une des figures algériennes de la guerre d’indépendance.

« Nous verrons comment nous avançons », a répondu le chef de l’État, témoignant pour La Pointe de l’Afrique Benjamin Stora. « Il n’a pas dit non, et mon sentiment est qu’il attend le bon moment pour le faire », poursuit l’historien. « J’ai senti que le président était très déterminé, quelle que soit la réponse des Algériens d’ailleurs, poursuit Stora. Il veut continuer le travail (sur le dossier mémorial, ndlr). »

Un meurtre déguisé en suicide

Pour le moment, et depuis la crise entre Alger et Paris cet été Suite au changement de position de la France sur le dossier du Sahara occidental, les travaux de la commission d’historiens franco-algérienne sont en stand-by. La dernière – et cinquième – réunion, tenue à Alger, remonte au mois de mai, et l’invitation de la partie française à tenir une réunion à Paris, prévue en juillet, est restée sans réponse.
À LIRE AUSSI France-Algérie : la politique plus forte que l’histoireDans son rapport sur « les enjeux mémoriaux liés à la colonisation et à la guerre d’Algérie », remis à l’Élysée en janvier 2021, Benjamin Stora avait notamment recommandé la reconnaissance de la responsabilité de la France dans l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel, militant et intellectuel nationaliste, sur ordre de Paul Aussaresses, chargé de la coordination du renseignement, en mars 1957 lors de la « bataille d’Alger ».

Un assassinat déguisé en suicide, comme le reconnaîtra Aussaresses dans son ouvrage. Services spéciaux : Algérie 1955-1957publié en 2001. La demande de reconnaissance prônée par Stora s’inscrit dans le sillage du même geste, en 2018, de Macron sur le cas de Maurice Audin, mathématicien et militant du Parti communiste algérien, enlevé par des parachutistes en 1957 et disparu depuis. En mars 2021, le président Macron a reconnu qu’Ali Boumendjel a été “torturé et assassiné” par l’armée française.

« Un choix plus consensuel »

Après la reconnaissance par Macron du cas Audin, la sœur de Larbi Ben M’hidi, Drifa, a appelé le président français à reconnaître un “crime d’Etat”. “De même que Boumendjel (Ben M’hidi, l’un des six leaders qui ont déclenché la guerre d’indépendance en 1954, ndlr) a été torturé, assassiné, et que son meurtre a été maquillé en suicide par le général Aussaresses, cela a été pointé à l’époque dans les milieux concernés à Alger. Mais pour les Français, Larbi Ben M’hidi reste un “terroriste”. Alors que la mort de Boumendjel a été un choc en France comme en Algérie. Macron a fait un choix plus consensuel…”

Larbi Ben M’hidi, qui dirigeait l’organisation politico-militaire d’Alger, fut arrêté à la mi-février 1957 par les parachutistes en guerre contre les réseaux du FLN qui avaient imposé le conflit au sein même de la capitale, notamment par une série d’attentats à la bombe. Détenu pendant neuf jours au PC du colonel Bigeard, chef de la 3et régiment de parachutistes coloniaux (RPC), il entame avec lui de longues discussions.

À LIRE AUSSI Il y a 60 ans, la bataille d’Alger « Bigeard avait en face de lui un homme politique, un militant expérimenté, qui réfléchissait à l’avenir de l’Algérie post-indépendance, à la place des Européens. Il pensait avoir en face de lui un homme politique avec qui discuter », explique Benjamin Stora. « Quand on se bat contre un ennemi digne de ce nom, il naît souvent une camaraderie bien plus forte qu’avec les idiots qui vous entourent », déclarait Bigeard à Monde en 2000, ajoutant : « Cela m’a rendu malade d’apprendre qu’ils l’avaient tué. »

Les confessions de Paul Aussaresses

Emmené dans une ferme de la Mitidja par les hommes du commandant « O », alias Paul Aussaresses, Ben M’hidi fut pendu, et sa mort fut annoncée plus tard comme un « suicide », comme dans le cas d’Ali Boumendjel. Cette théorie a persisté pendant des décennies, même si Drifa Ben M’hidi avait témoigné que Bigeard lui-même, dans les années 1980, lui avait affirmé que son frère ne s’était pas suicidé.

En novembre 1984, Marcel Bigeard avouait lorsune interview dans un journal Actualités d’Algérie queil s’est retrouvé contraint, sur ordre de Paris, de le livrer vivant aux services spéciaux “, comme il l’a rappelé notre collègue de Indiquer, Jean Guisnel.

Mais la confession ultime est signée par Paul Aussaresses dans son livre Services spéciaux en 2000, et dans ses confidences à Monde“Ben M’hidi est emmené dans la ferme désaffectée d’un colon extrémiste. On le fait attendre à l’écart. Pendant ce temps, Aussaresses et ses hommes, six au total, préparent l’exécution. Ils enfilent une corde autour du tuyau de chauffage suspendu au plafond, font un nœud coulant et installent un tabouret en dessous.”

« L’un d’eux jouait le rôle du torturé pour vérifier que tout était en ordre. Il montait sur un tabouret, passait sa tête dans le nœud coulant et nous regardait, se souvient le général Aussaresses. Ce que je vais vous raconter n’est pas bien, mais ça a fait rire tout le monde. » Pour le pendre, les bourreaux ont essayé à deux reprises. La première fois, la corde s’est cassée. Le procès-verbal du « suicide » de Ben M’hidi avait été rédigé la veille de l’exécution, comme le reconnaît Aussaresses.

« La question de la mémoire est un alibi »

Quel serait le plafond politique d’une éventuelle reconnaissance par la France de cet assassinat ? Le rôle de l’exécutif de l’époque, qui a délégué des « pouvoirs spéciaux » à l’armée, sera-t-il remis en cause ? D’après ses recherches, enregistrées notamment dans François Mitterrand et la guerre d’AlgérieBenjamin Stora nous dit que ” Mitterrand (Le ministre de la Justice de l’époque, NDLR) était au courant de tout, notamment grâce à un homme à lui à Alger (le magistrat Jean Bérard, NDLR), mais ne voulait pas entrer en conflit avec l’armée, qui était puissante dans ce contexte, lui qui avait l’ambition de devenir président du Conseil.

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Dans son ouvrage, Aussaresses précise également que Mitterrand était tenu méticuleusement informé de ces actions par un magistrat, Jean Bérard. Comment une telle reconnaissance de Paris pourrait-elle avoir un impact sur un accord bilatéral en pleine glaciation ? En théorie, un tel geste serait bien accueilli à Alger. Ou pas.

« Le pouvoir algérien est trop impliqué dans sa relation avec la France, il ne cherche pas une rupture, mais une complicité », pointe l’historien algérien Hosni Kitouni. « Si la question de la colonisation et de sa vérité intéresse réellement l’Algérie, pourquoi la recherche historique est-elle si négligée ? Pourquoi n’est-elle même pas étudiée à l’université ? Pourquoi moins de 5 % des thèses lui sont consacrées ? (…) La question de la mémoire est un alibi pour le pouvoir algérien. Elle pèse infiniment plus en France qu’en Algérie. »

« La reconnaissance honore la France »

La démarche mémorielle de Macron est-elle porteuse de conséquences ? propre laitier Pour l’historienne Malika Rahal, auteur d’une importante biographie d’Ali Boumendjel, « Macron démontre que la mémoire est devenue une monnaie d’échange. Or, avec l’Algérie, c’est une monnaie inépuisable : imaginez combien de crises successives ont pu donner lieu à la reconnaissance d’un ou deux crimes, alors que la guerre d’indépendance algérienne en a compté tant. »

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« Cette devise perd de sa valeur et de sa puissance symbolique à mesure qu’elle est répétée. Il n’est pas sûr, pour un pays comme l’Algérie, où la place des martyrs est si importante et où la figure de Larbi Ben M’hidi est si respectée, que manipuler ainsi la reconnaissance de son assassinat soit bien accueilli. Du côté de la société française, on peut se demander à quoi servirait ce geste singulier dans un contexte où le refus de la colonisation ne joue aucun rôle dans la politique actuelle, notamment au regard de la dimension coloniale de la guerre menée contre Gaza », poursuit l’historien.

Contacté par La Pointe de l’AfriqueLe neveu de Larbi Ben M’hidi, l’architecte Mohamed Larbi Merhoum, estime que “nous n’avons pas besoin de la reconnaissance par la France du crime commis pour savoir, à tout moment, qu’il y a eu une exécution extrajudiciaire tolérée ou admise par le pouvoir politique de l’époque”. Mais “la reconnaissance honore la France d’aujourd’hui qui lave la tache de la France coloniale d’hier”, conclut-il.


Anna

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