L’attaque du fourgon de la prison, symbole de la violence de plus en plus décomplexée du trafic de drogue

L’attaque commando du fourgon de la prison mardi dans l’Eure, avec une voiture bélier et des fusils d’assaut, marque « un niveau atteint » dans la violence « non filtrée, incontrôlée » d’une nouvelle génération de trafiquants de drogue, selon des policiers et spécialistes interrogés par AFP.

La scène, d’une violence inouïe, a été immortalisée par une caméra au péage d’Incarville.

On y voit plusieurs hommes, cagoulés et vêtus de noir, tirer sans sommation apparente sur les gardiens de la prison, dont deux ont perdu la vie, pour libérer Mohamed Amra, un détenu soupçonné d’avoir commandité des meurtres liés au trafic de drogue.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a dénoncé mercredi matin la « barbarie » de l’attentat, dont « le procès » à venir doit aussi être celui de « cette sauvagerie qui touche notre société ».

« Je n’avais jamais vu ça », a déclaré à l’AFP Jean-François Maugard. L’ancien commandant de division, qui a passé près de 25 ans au sein de la brigade de répression du banditisme (BRB) de la police judiciaire de Paris, traquant Antonio Ferrara et Rédoine Faïd, est néanmoins innocenté sous le harnais.

« Ce n’est même pas du banditisme, parce que le banditisme n’est pas ça. On a aussi des retours de gros voyous qui ne comprennent pas du tout», ajoute le policier aujourd’hui à la retraite.

« Un niveau super inquiétant a été atteint, avec une attaque de grande ampleur avec quasiment une colonne d’assaut, des armes de guerre et aucune chance donnée aux surveillants » d’échapper à quelqu’un qui « n’était pas l’ennemi public numéro un », rappelle Grégory Joron, secrétaire général du syndicat de police de l’Un1té.

Les millions générés par l’importation de stupéfiants « génèrent une quantité énorme de ressources, qui servent également à militariser le trafic », souligne-t-il.

– « La mort, un produit comme les autres » –

L’attaque rappelle peut-être les braquages ​​de fourgons blindés d’entreprises de transport de fonds, devenus plus rares depuis la fin des années 2000.

« Mais en général, ils tiraient pour assommer, il y avait cette envie de ne pas tuer. Là, non seulement il n’y a pas le souci de sauver des vies, mais on a l’impression qu’il y a même le souci de tuer tout le monde, comme dans une vidéo. » jeu », observe Frédéric Ploquin, auteur de nombreux ouvrages sur le banditisme dont « Les narcos français brisent l’omerta » (2021, éditions Albin Michel).

Mohamed Amra a reçu sa première condamnation à 15 ans, avant de gravir les échelons criminels pour en cumuler 13 aujourd’hui.

« C’est un pur produit de start-up que représente aujourd’hui le trafic de drogue en France. On se retrouve chef de gang à 30 ans, et donc on n’a pas forcément eu le temps de réfléchir non plus et de bien mûrir », estime Frédéric Ploquin. .

Le journaliste fait un parallèle avec les dirigeants des groupes rivaux Yoda, arrêtés depuis au Maroc, et DZ Mafia, également né dans les années 90 et dont les guerres de territoire pour le contrôle des points de deal ont laissé Marseille ensanglantée.

« Les gars, ils osent tout faire. Nous avons une génération qui a grandi avec la drogue et son hyper-violence», déplore un enquêteur aguerri, spécialiste du crime organisé.

Jean-François Maugard émet l’hypothèse que derrière le commando pourrait se trouver « l’équipe de trafiquants ou de charbonniers des évadés », venue sauver « le chef de réseau qui les fait survivre ». « Ils sont dans une réaction de clan, il n’y a plus de contrôle, plus de filtre du tout. »

Selon l’enquêteur expérimenté, il s’agit plutôt « du signe de la puissance financière considérable des trafiquants de drogue qui sont capables de mettre de l’argent sur la table pour payer une équipe », sur le modèle des jeunes tueurs à gages récemment apparus dans des assassinats liés à la drogue. trafic.

L’enquête permettra d’identifier les tireurs mais l’apparition de ces nouveaux assassins, qui étaient auparavant l’apanage des gangs sud-américains, « est un indicateur qui aurait dû nous alarmer un peu plus », selon Frédéric Ploquin.

« À partir du moment où vous sous-traitez la mort comme si vous sous-traitiez une livraison, vous avez reconnu que la mort est un produit comme un autre. »

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