Histoire d’un concept. Il était une fois un « camp socialiste » dominé par l’Union soviétique qui s’opposait à un monde capitaliste dirigé par les États-Unis. C’est pendant la guerre froide, entre 1947 et 1989, que le « campisme » s’est forgé dans un monde divisé en blocs antagonistes fondés sur la rivalité entre les deux superpuissances. Cette idée a été soutenue par le mouvement communiste et ses compagnons de voyage. Il fallait choisir son camp – à savoir se ranger du côté des forces du progrès et du « socialisme réellement existant » tel qu’incarné dans la politique du grand parti frère soviétique – ou, au contraire, devenir un fourrage de la réaction et de l’impérialisme américain.
Mais le campisme pouvait aussi être de droite et se condensait dans la fameuse formule “mon pays, à tort ou à raison”, que l’on peut traduire par « mon pays, à tort ou à raison ». Les États-Unis ont ainsi soutenu sans état d’âme des dictateurs sanguinaires et corrompus s’ils étaient du bon côté dans la lutte contre le communisme. Une citation apocryphe met ainsi dans la bouche d’un président américain – le plus souvent Dwight Eisenhower – la déclaration suivante : “C’est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute.”
Si le camp socialiste a disparu avec l’effondrement de l’Union soviétique, le « campisme » a survécu. Mieux encore, la notion revient dans le débat public et semble même prospérer. L’invasion russe de l’Ukraine et la volonté commune de Moscou et de Pékin de contester la domination occidentale sur le monde relancent une logique de blocs. Avec la guerre israélienne à Gaza, en réponse aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023, la polarisation s’est encore accentuée.
Diplomatie transactionnelle
Cela est vrai sur la scène politique intérieure comme sur la scène internationale, même s’il n’existe pas de camps aussi structurés qu’ils auraient pu l’être pendant les moments les plus intenses de la guerre froide. Les pays de ce que l’on appelle le « Sud » cultivent en effet volontiers le multi-alignement et la diplomatie transactionnelle en fonction de leurs intérêts spécifiques du moment.
Le « campisme » repose sur une vision hémiplégique d’un monde en noir et blanc. Dans toute crise, nous nous rallions automatiquement à nos côtés sans tenir compte de la singularité de l’événement. A gauche, le campisme a pris une nouvelle forme : non plus un alignement derrière une Union soviétique qui n’existe plus, mais un soutien direct ou indirect à tout régime ou force sociale en lutte contre Washington. « On est passé d’une logique selon laquelle « l’ennemi de mon ami (l’URSS) est mon ennemi » à une logique selon laquelle « l’ennemi de mon ennemi (les États-Unis) est mon ami » »a noté Gilbert Achcar, professeur à la School of Oriental and African Studies de Londres, dans un article publié par La nation6 avril 2021.
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