(Ottawa) Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, répond sereinement à ses détracteurs qui critiquent son refus de forcer la main de Justin Trudeau pour lancer une enquête publique sur l’ingérence chinoise, quitte à provoquer des élections.
Selon lui, les élections fédérales ne sont pas dans l’intérêt des Canadiens précisément parce que toute l’étendue de l’ingérence étrangère dans le pays n’a pas encore été clarifiée. C’est pourquoi il n’a pas l’intention de rompre prématurément l’entente qu’il a conclue l’an dernier avec Justin Trudeau. Cet accord assure la survie politique de la minorité libérale à la Chambre des communes jusqu’en juin 2025.
M. Singh croit qu’une élection dans un contexte où de nombreuses questions demeurent sans réponse dans ce dossier complexe pourrait avoir des effets pervers : entraîner une faible participation électorale et affaiblir davantage la démocratie canadienne. Il est donc important, selon lui, d’identifier clairement l’étendue de l’ingérence étrangère et d’adopter des mesures pour contrer cette menace avant d’appeler les électeurs aux urnes.
En mettant fin à l’entente en question, il renoncerait également au « marteau » qu’il manie pour contraindre le gouvernement Trudeau à mettre en œuvre certaines des priorités du NPD, comme la création d’un programme national complet de soins dentaires, l’élaboration d’un programme d’assurance-médicaments et promulguer de meilleures protections pour les travailleurs, entre autres, a-t-il expliqué dans une interview avec La presse.
« Mon objectif est d’augmenter la participation électorale dans notre démocratie. Je dis cela parce que c’est tout le contraire de ce que les autres partis veulent faire. Pour les partis du statu quo, ils n’ont pas beaucoup de volonté d’encourager une plus grande participation. Pour quelle raison ? Parce qu’ils gagnent quand il y a moins de participation. C’est particulièrement vrai dans le cas des conservateurs ! Pour eux, c’est un jeu politique. Donc, forcer ces élections ne serait pas une mesure pour renforcer notre démocratie », a déclaré Singh.
Nous devons au moins mettre en œuvre des recommandations pour contrer les ingérences étrangères. Autrement, cela n’a aucun sens de dire que nous avons des inquiétudes au sujet de l’ingérence étrangère dans notre système électoral et de déclencher ensuite des élections. Cela n’a aucun sens de dire cela.
Jagmeet Singh, chef du Nouveau parti démocratique
Motion d’opposition
Le NPD a proposé cette semaine une motion exigeant le départ du rapporteur spécial indépendant David Johnston, nommé en mars par Justin Trudeau pour enquêter sur l’ingérence étrangère, et réclamant une enquête publique.
La motion a été adoptée mercredi par 174 voix contre 150 grâce à l’union des forces des partis d’opposition. Seuls les députés libéraux ont voté contre. Même si elle exprime la volonté d’une majorité des élus des Communes, cette motion n’est pas contraignante. David Johnston a écarté l’idée d’abandonner son poste, expliquant que le mandat qu’il a obtenu lui a été confié par le gouvernement, et non la Chambre des communes.
Le NPD a décidé de déposer cette motion suite aux révélations selon lesquelles l’avocate chevronnée qui appuie M. Johnston durant son mandat, Sheila Block, a contribué au fonds de campagne du Parti libéral du Canada au cours des dernières années. . Le NPD a conclu que M. Johnston et son équipe n’avaient pas l’impartialité requise pour continuer. « Pour une personne raisonnable, c’est une apparence de partialité insoutenable. »
Enquête publique rejetée par Johnston
M. Johnston est la cible des partis d’opposition depuis qu’il a publié son premier rapport sur l’ingérence étrangère la semaine dernière. Dans ce rapport, il rejette l’idée d’une enquête publique car l’essentiel du travail devrait se faire à huis clos en raison du caractère sensible des informations obtenues par les agences de sécurité.
« Si le Parlement ne fait pas confiance à Johnston, combien de temps le Parlement pourra-t-il faire confiance à l’homme qui l’a nommé ? », s’interrogeait vendredi le chroniqueur du Globe et Courrier André Coyne.
Plus que jamais, l’avenir du gouvernement libéral minoritaire repose donc entre les mains de Jagmeet Singh. Le chef du NPD le sait. Il reconnaît que la pression a été forte cette semaine et qu’il a été confronté à un certain dilemme.
Ces dernières semaines, M. Singh a été le seul dirigeant politique de la Chambre des communes à ne pas recourir à des attaques personnelles contre M. Johnston. Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a notamment décrit l’ancien gouverneur général comme un « ami skieur » de Justin Trudeau qui fréquentait la famille Trudeau dans son chalet des Laurentides.
Ces attaques sont malvenues, dit le chef du NPD.
« Il a attaqué M. Johnston de tout son cœur et de manière injuste. Il manque de crédibilité. Ces attaques étaient trop nombreuses. Le Bloc québécois est également tombé dans cette même habitude. Oui, nous avons un problème d’ingérence étrangère. Mais quelles sont nos options ? Justin Trudeau ignore le problème et le banalise. M. Poilievre joue à un jeu politique pour marquer des points. Mais ce n’est pas une approche honnête qui renforcera notre démocratie », a-t-il soutenu.
Contrairement aux autres chefs, M. Singh a accepté l’offre d’examiner les documents secrets sur l’ingérence étrangère auxquels David Johnston avait également accès. Le chef conservateur Pierre Poilievre et le chef du Bloc Yves-François Blanchet ont refusé. Ils soutiennent que cela aurait pour effet de les faire taire plus tard car ils seraient tenus de garder ces informations confidentielles.
« Après avoir vu les documents, je pourrai dire avec plus de crédibilité s’il est plus important que jamais d’avoir une enquête publique. Je serai tout à fait libre de dire que je ne suis pas d’accord avec les conclusions de M. Johnston après avoir vu les documents. J’aurai plus de crédibilité que Pierre Poilievre parce que j’aurai vu les documents », a fait valoir M. Singh. Aucune date n’a encore été fixée pour cet exercice.
« L’objectif est de restaurer la confiance des Canadiens. Notre motivation est de faire voter le plus de gens possible. C’est la meilleure façon de mettre fin au statu quo et de renforcer notre démocratie. »
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