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Le relais de la flamme olympique était-il une invention des nazis ?

La flamme olympique arrive à Marseille mercredi 8 mai, après son allumage le 16 avril au sanctuaire d’Olympie, en Grèce, puis un voyage par mer débuté à Athènes le 27 avril. Un rituel qui semble indissociable de l’image de la flamme olympique Jeux (OG). Cependant, il n’existait pas dans la Grèce antique, ni dans les premiers jeux modernes. “C’est une tradition qui a été inventée”écarte aussitôt l’historien Michaël Attali, qui vient d’éditer l’ouvrage Une histoire mondiale des sports olympiques (éditions Atlande, 720 pages, 29 euros). L’idée d’un relais n’aurait pas eu de sens à l’époque, les épreuves se déroulaient toujours au même endroit, à Olympie.

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Une cérémonie sans équivalent passé

Les compétitions olympiques – on ne parlait pas alors de jeux – se déroulaient à l’époque classique sur cinq jours, et s’ouvraient par le serment des athlètes et de leurs proches. Le troisième jour, des sacrifices rituels avaient lieu. Mais aucune flamme n’a été allumée, ni par des vierges, ni par des rayons de soleil, comme le prétend aujourd’hui le site officiel olympique.

“Il n’y avait même pas de flamme olympique, démystifie l’helléniste Jean-Manuel Roubineau, auteur de Le sport. Histoire des premiers jours (PUF, 179 pages, 12 euros). L’inspiration ancienne vient de la course à la flamme par équipes, en relais, discipline sportive en vigueur dans certaines villes, notamment à Athènes, mais pas à Olympie. Et, là où elle existe, la course à la flamme n’est pas une cérémonie, mais une compétition. » Il fallait donc inventer ce relais moderne.

Le Comité international olympique (CIO), créé par le Français Pierre de Coubertin en 1894 pour relancer les Jeux antiques en 1896, a peu d’influence. D’ailleurs, trois des cinq premières éditions (Paris 1900, Saint-Louis 1904 aux Etats-Unis, Londres 1908) furent organisées sous la direction et à l’ombre des expositions universelles, au grand dam du baron.

Ce n’est que dans les années 1920, après le traumatisme de la Première Guerre mondiale, que l’idéal patriotique, universaliste et pacifiste de Coubertin trouve enfin un écho. Désormais en position de force, il introduit en 1920 et 1924 le drapeau à cinq anneaux, le serment, le salut et la devise des Jeux. Lorsqu’il cède la tête du CIO en 1925, l’élan est enfin lancé et le décorum olympique continue de s’enrichir.

De la flamme d’Amsterdam au relais de Berlin

Pour les jeux d’Amsterdam de 1928, le comité néerlandais construisit l’Olympisch Stadion, et son Marathontoren, une tour de 46 mètres surmontée d’une vasque. Il permet aux sportifs, hébergés dans les écoles de la ville, de localiser le lieu des épreuves par, “le jour, une colonne de fumée noire, et à la tombée de la nuit, une grande flamme”, détaille le rapport officiel. Pour la première fois, une flamme olympique brille tout au long de l’événement. Le concept du feu sacré olympique sera repris à Los Angeles en 1932, puis dans tous les Jeux olympiques ultérieurs.

Le relais de la flamme n’existe pas encore, mais l’idée fait son apparition. Coubertin proclamait déjà, à la fin des jeux de 1912 à Stockholm : « Messieurs, voici, un grand peuple a, par notre intermédiaire, reçu de vos mains le flambeau des Olympiades. » Le principe d’un tel relais apparaît également en image en 1928, sur la médaille commémorative des Jeux d’Amsterdam, illustrée d’une torche passant de main en main, mais la cérémonie ne voit le jour qu’en 1936.

Les Jeux de Berlin de 1916 furent annulés en raison de la Première Guerre mondiale. Puis l’Allemagne fut exclue des deux éditions de 1920 et 1924. Acceptée de nouveau en 1931, elle hérita de l’organisation de la onzième Olympiade la même année. Le secrétaire général du comité d’organisation allemand, Carl Diem, propose alors l’idée d’un parcours de la flamme. Ce théoricien du sport, proche des idéaux aristocratiques, patriotiques et pacifistes de Coubertin, avait déjà mis en place un relais de la flamme lors des Deutsche Kampfspiele, alternatives germaniques aux Jeux olympiques, en 1922.

Pour les Jeux de Berlin, il s’est inspiré de la flamme sacrée transportée de Preslav à Sofia en 1929 pour le millième anniversaire du premier tsar de Bulgarie. Sur un modèle similaire, Carl Diem proposait un relais partant du site de l’Olympe, en Grèce, alors géré par des archéologues allemands, qui atteindrait Berlin après un trajet de 3 075 kilomètres. “Comme le feu de l’esprit grec, toujours rallumé pour éclairer l’humanité, la flamme d’Olympie pourra enfin continuer à brûler pendant les Jeux Olympiques des temps modernes”il s’enthousiasme. Le concept séduit le CIO, qui donne son aval en mai 1934, flatté par ce rapprochement entre passé et présent.

Des liens ambigus avec le nazisme

Carl Diem n’était pas inclus dans le Parti national-socialiste, qui le considérait initialement comme indésirable en raison de ses associations juives. Mais quand Adolf Hitler arrive au pouvoir en janvier 1933, la tenue des Jeux devient incertaine et, pour les sauver, Diem et ses collègues le convainquent d’en faire une vitrine internationale. Le principe d’un relais olympique a notamment été soutenu par Joseph Goebbels, qui a trouvé l’idée “génial”raconte Sylvain Bouchet, auteur de La mise en scène est de Pierre de Coubertin (Jacob-Duvernet, 2013).

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La flamme olympique a en effet un caractère symbolique fort pour l’Allemagne. « Selon l’idéologie nazie, les Aryens ont une lignée directe avec les Grecs de l’Antiquité. Le lien renforcé avec l’Antiquité, à travers le relais de la flamme, leur convenait très bien »observe l’historienne Daphné Bolz, auteur de Arènes totalitaires : Hitler, Mussolini et les jeux de stade (Éditions CNRS, 2008). Le symbole permet même la propagande du IIIe Reich pour relier Hitler à Zeus.

Par la suite, Carl Diem se rapprochera de l’idéologie belliqueuse du régime. En 1943, il accueille les Jeux “viril” Et “guerriers”et le jugera conforme à l’esprit des jeux anciens que les Allemands « défendre leurs droits vitaux les armes à la main ».

Les jeux nazis adoubés par Coubertin

Lorsque, à l’été 1936, la flamme voyage pour la première fois à Berlin, l’opinion internationale fait preuve d’une certaine naïveté. L’Église orthodoxe grecque, qui y voit un symbole païen, déplore certainement une “cérémonie ridicule”, Et la presse française de gauche conteste un spectacle excessif. Mais nombreux sont ceux qui se laissent berner par le pseudo-pacifisme affiché par le régime nazi, comme New York Times, OMS applaudit une inauguration « remarquable, même au-delà des attentes »et se satisfait d’un « nouveau point de vue sur le IIIe Reich (…) de la Colline Olympique de la Paix ».

Plusieurs responsables du CIO saluent un événement grandiose. Pierre de Coubertin lui-même y voyait l’aboutissement de sa vision théâtrale du jeu. Comme il l’explique à Voiture (ancêtre de L’équipe), « pour mes jeux, j’ai envie d’un long cri de passion quoi qu’il en soit. À Berlin, nous avons vibré pour une idée que nous n’avons pas à juger, mais qui était l’excitateur de passion que je recherche constamment.

Lire le portrait (2024) | Article réservé à nos abonnés Pierre de Coubertin, le perdant des Jeux Olympiques

Le baron, vieillissant, isolé, rancunier et ruiné, fait alors l’objet de subventions financières et de signes d’attention de la part d’Adolf Hitler. Deux mois avant sa mort, en 1937, il lègue ses archives à l’Allemagne, dans un fonds dirigé par Carl Diem.

Un héritage embarrassant pour le CIO

Après la Seconde Guerre mondiale, Carl Diem est pressenti pour rejoindre le Comité olympique, mais en pleine dénazification, les États-Unis s’y opposent. Pour autant, ce disciple de Coubertin n’est pas un paria. Le CIO le décrit encore aujourd’hui modestement comme « membre du comité d’organisation des Jeux du XIe Olympiade »obscurcissant ses liens avec le régime nazi.

Grâce à ses liens avec Coubertin, il « a longtemps servi d’alibi au mouvement olympique international pour éviter d’être accusé de perpétuer une « tradition » inventé par Goebbels », note, dans un article de 2005, l’historien grec Anastassios Anastassiadis. Si le sociologue et philosophe Jean-Marie Brohm le décrit comme“Épigone nazi de Coubertin”, sL’attachement à l’idéologie hitlérienne continue d’être débattu.

Après la guerre, le CIO abandonne certains symboles, comme le salut olympique, introduit en 1924, et trop proche du salut hitlérien. Mais le relais de la flamme a survécu. “C’était un symbole tellement fort, dans la magnificence du patrimoine de l’Antiquité, que le CIO a préféré le conserver et ignorer la propagande qui se cachait derrière lui”, explique Sylvain Bouchet.

Il n’y a pas eu de Jeux en 1940 et 1944. Mais en 1948, les premiers Jeux de l’après-guerre sont précédés du relais de la flamme, d’Olympie à Londres, sans que la question de l’héritage de 1936 ne se pose. « Bizarrement, on en parle très peu, comme s’ils n’existaient pas. Nous ressentons le désir d’oublier un passé douloureux. » traduit Michaël Attali. Il faudra attendre les Jeux de Munich en 1972 pour que le mouvement olympique allemand entame un travail d’inventaire qui est loin d’être terminé. Le relais de la flamme continue sa course.

Fleur

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