Le Rwanda dépend du dangereux gaz méthane du lac Kivu pour son approvisionnement en électricité

Depuis la navette qui sillonne les eaux calmes du lac Kivu, difficile d’imaginer ce qui se passe dans les profondeurs. Pourtant, sous la surface, il y a une activité intense. A 6 kilomètres des côtes rwandaises, quatre plates-formes flottantes pompent en continu le méthane retenu au fond de ce bassin de 2 700 kilomètres carrés, pour le transformer en électricité.

Officiellement mis en service début 2024, le projet Shema Power Lake Kivu (SPLK), fruit d’un partenariat entre l’État rwandais et l’investisseur britannique Highland Power, produit 56 mégawatts (MW) destinés au réseau local. Elle fournit à elle seule un quart de l’énergie consommée au Rwanda, selon les données de l’entreprise. « Nous sommes désormais le principal producteur d’électricité du paysse vante du directeur exécutif, Shruti Aggarwal. Et nous remplissons une deuxième mission en contribuant à réduire le danger que représentent ces gaz très nocifs. »

Car les caractéristiques géologiques et chimiques du lac Kivu, frontière naturelle entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC), perché à près de 1 500 mètres d’altitude, en font avant tout une menace pour ses quelque 2 millions d’habitants. S’ils devaient s’échapper, les immenses quantités de méthane et de dioxyde de carbone (CO2) coincé au fond de ses eaux bleues pourrait provoquer une catastrophe.

Soyez vigilant

Le pire des scénarios n’est pas à exclure dans cette zone sismique qui abrite huit volcans dont deux actifs. Depuis la ville voisine de Gisenyi, la silhouette majestueuse du Nyiragongo est bien visible. En mai 2021, ce volcan du côté congolais s’est réveillé, faisant craindre un déversement massif de lave en feu dans le lac. « Les centaines de secousses qui ont suivi nous ont aussi beaucoup inquiétés », se souvient Maximilien Byilingiro, le directeur de l’usine. Finalement, aucun gaz n’est sorti.

Mais la vigilance reste de mise. Le site du SPLK regorge de détecteurs en cas d’éventuelle fuite. « Le méthane est très inflammable, le CO2 peut vous étouffer, l’hydrogène vous rend immédiatement malade », énumère le responsable de la sécurité au visiteur de passage. Un autre lac « explosif », celui de Nyos au Cameroun, a été le théâtre d’une éruption limnique en 1986. Le nuage empoisonné a fait 1 700 victimes.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre, ont augmenté en 2023

Grâce à l’extraction régulière de méthane, le Rwanda espère réduire les risques. Et profitez au maximum de cette ressource potentiellement mortelle. Après avoir lancé une plateforme pilote au Kivu en 2010, l’État a encouragé les investisseurs privés à développer d’autres centrales électriques à capacité industrielle. Un premier projet baptisé « Kivuwatt », mené par la société américaine ContourGlobal, a produit 26 MW depuis 2016, auxquels s’ajoutent désormais l’électricité produite par SPLK.

Un succès qui pèse lourd

Le méthane est un axe central de l’ambitieuse feuille de route énergétique élaborée par le gouvernement rwandais. L’objectif initial était d’atteindre l’accès universel à l’électricité d’ici 2024. Finalement, « seulement » 75 % des foyers du pays sont aujourd’hui connectés. Mais ils étaient à peine 6 % il y a quinze ans. Comme le souligne une récente note de la Banque mondiale, « cette expansion de l’électrification a été l’une des plus rapides au monde entre 2010 et 2020 ». Un effort censé accompagner le développement de cet Etat dont le produit intérieur brut croît d’environ 7% par an depuis plus d’une décennie.

La médaille a aussi son revers. « Sur les 75% de Rwandais connectés à l’électricité, 15% ne l’utilisent pas », souligne un expert du secteur qui préfère rester anonyme. Champion de la croissance, le Rwanda n’en reste pas moins un pays majoritairement rural, dont le PIB par habitant n’était que de 958,40 dollars (environ 890,90 euros) en 2022. « C’est une belle réussite en termes de disponibilité d’électricité, mais si la demande ne suit pas, cela pourrait peser lourdement sur le gouvernement qui a signé des contrats de rachat avec des producteurs indépendants », poursuit l’expert. Contactée, la société nationale Rwanda Energy Group n’a pas répondu à nos sollicitations.

Lisez également l’enquête | Article réservé à nos abonnés Rwanda : une renaissance sans compromis, trente ans après le génocide des Tutsi

Chez SPLK, nous sommes toujours fiers de fournir de l’électricité «moins cher et beaucoup plus propre» que celui des anciennes centrales diesel. Celles-ci ont toutes été fermées en juin 2023 grâce à la montée en puissance d’autres sources d’énergie, comme le méthane.

Surtout, l’exploitation du gaz du Kivu reste un projet très innovant et, pour l’instant, unique au monde. « Ici, tout a été conçu sur mesure », explique Maximilien Byilingiro en faisant visiter l’une des plateformes offshore qui aspirent des eaux saturées de gaz à plus de 350 mètres de profondeur. Au fur et à mesure de sa montée, explique l’ingénieur, le gaz se sépare de l’eau, puis il est envoyé sous pression vers une seconde installation située à terre. Le voilà “lavé” de toutes ses impuretés, puis transformée en électricité.

Guides d’achat Le Monde

Bouteilles d’eau réutilisables

Les meilleures bouteilles d’eau pour remplacer les bouteilles jetables

Lire

L’usine a nécessité plus de 300 millions de dollars d’investissements et des années de travaux, souvent ralentis par les difficultés techniques et les aléas dus à la pandémie de Covid-19. Au plus fort des travaux, jusqu’à 1 000 personnes étaient mobilisées sur ce chantier, dont de nombreux experts internationaux.

De l’autre côté du lac, la RDC affirme également depuis plusieurs années vouloir profiter de ces gisements pour répondre à ses immenses besoins en électricité. Mais, jusqu’à présent, aucun projet n’a vu le jour.

Réutiliser ce contenu
Elise

À chaque coup de stylo, créez des histoires captivantes. Découvrez des vérités cachées à la fois. 📝 🔍

Recent Posts

Le Barça fait sortir Szczesny de sa retraite pour remplacer Ter Stegen

Le gardien polonais Wojciech Szczesny devrait signer dans les prochains jours en faveur du FC Barcelone, qui a perdu Marc-André…

3 minutes ago

Ce qu’il faut retenir du discours d’Emmanuel Macron à l’ONU

A la tribune de l'ONU mercredi, le président français a réitéré son soutien à l'Ukraine, mais il a également appelé…

5 minutes ago

Le Conseil d’Etat rejette les recours en référé des deux chaînes

La plus haute juridiction administrative a rejeté les demandes d'urgence des deux chaînes, mais se prononcera sur le fond d'ici…

7 minutes ago

Affaire Jegou-Auradou. La fin de l’enquête est imminente, un rapport d’expertise fragilise la plaignante

L'enquête sur le viol présumé d'une Argentine de 39 ans par deux jeunes rugbymen français, Oscar Jegou et Hugo Auradou,…

8 minutes ago

VIDÉO. Face à l’ONU, Emmanuel Macron multiplie les appels à la paix et au soutien à l’Ukraine

Publié 25/09/2024 20:55 Durée de la vidéo : 8 min Emmanuel Macron à la tribune de l'ONU pour la 79e…

11 minutes ago

Affaire Jegou-Auradou. La fin de l’enquête est imminente, un rapport d’expertise fragilise la plaignante

L'enquête sur le viol présumé d'une Argentine de 39 ans par deux jeunes rugbymen français, Oscar Jegou et Hugo Auradou,…

14 minutes ago