l’écrivain Chochana Boukhobza ressuscite les « Femmes d’Auschwitz-Birkenau »

Chaque jour, une personnalité s’invite dans l’univers d’Élodie Suigo. Mercredi 1er mai 2024 : l’écrivaine, Chochana Boukhobza. Elle vient de publier « Les Femmes d’Auschwitz-Birkenau » aux Éditions Flammarion.

Chochana Boukhobza est scénariste et réalisatrice de documentaires sur la Shoah. Au départ, il y a eu les mathématiques, puis la littérature et l’écriture avec son premier roman, Un été à Jérusalem et une seconde, Le cri, finaliste du prix Femina en 1987. Pendant sept ans, elle enquête et mène un travail colossal de recherches, d’entretiens, écoutant également les procès SS de l’Après-guerre pour reconstituer la déportation des femmes d’Auschwitz-Birkenau. Cet ouvrage est devenu un ouvrage de 563 pages intitulé : Les femmes d’Auschwitz-Birkenau, il a été publié par Flammarion.

franceinfo : Le sort des femmes d’Auschwitz-Birkenau a longtemps été absorbé par celui des hommes. Vous les rendez enfin visibles là où ils étaient invisibles, alors même qu’ils ont été des éléments forts dans la lutte contre l’indicible. C’était le but ?

Chochana Boukhobza : Oui, je voulais dire que même dans un camp, même déshumanisé, les femmes peuvent se relever. Soit cacher les preuves de leur incarcération et de la disparition de leur famille, soit se révolter et prêter main forte au Sonderkommando, lui-même esclave des SS, pour faire sauter les crématoires. Et surtout dire que c’est le seul camp d’extermination dans lequel il y a non seulement des juifs, mais aussi des non-juifs.

Vous avez tout parcouru, écouté les procès de Nuremberg, Bergen-Belsen, Cracovie. Il a fallu reconstruire des histoires, trouver des visages pour pouvoir leur donner un sens et une voix. On ne comprend pas pourquoi cela n’a pas été fait auparavant. Comment l’expliquez-vous ?

J’ai eu beaucoup de chance. La vérité, c’est qu’Internet existait et que les procès-verbaux des procès, des procès majeurs, étaient accessibles via Internet. J’ai découvert par exemple Marie-Claude Vaillant-Couturier à Nuremberg, filmée pendant neuf minutes. Je parle de femmes héroïques, de femmes qui composent une chaîne.

“Il y avait un slogan qui circulait : ‘Ils ne peuvent nous emmener au crématorium qu’une seule fois’.”

Chochana Boukhobza

sur franceinfo

Il faut le répéter : dans un camp, ce qu’on peut faire est vraiment minime et on ne peut le faire que parce qu’il y a une chaîne qui s’est formée et en silence, parce qu’il y a plein de mouchards. , parce que les gens ont besoin de manger et de pain, quand tu as faim, tu es prêt à vendre ton père et ta mère. Est-ce honteux ?

Au départ, il y a Auschwitz. C’est là qu’ils sont arrivés et ils se rendront ensuite à Birkenau. Il est important de préciser cela, car finalement, on dit souvent Auschwitz-Birkenau, mais ce sont deux camps différents séparés de trois kilomètres. Elles arrivent vierges et seront presque toutes déflorées par un médecin…

Auschwitz est le camp d’hommes fondé en mai 1940, dirigé par Rudolf Höss et qui resta un camp d’hommes jusqu’à l’arrivée des femmes. Il ne voulait pas accueillir les femmes car pour lui, elles étaient la source de tous les problèmes. Et en effet le premier convoi de juifs qui arrive… Ils sont tous vierges et nous voulions des vierges pour calmer les familles. Ils ont entre 15 et 25 ans et il est précisé : célibataire. On ne pouvait pas imaginer que ces jeunes filles, issues de familles religieuses, puissent avoir la naïveté de se laisser prendre au piège et ne pas se douter de ce qui les attendait. Avaient-ils gardé les bijoux dans l’endroit le plus intime ?

Vous nommez les protagonistes. D’un côté, les prisonniers, mais vous ne manquez pas d’évoquer les nazis. On se rend compte que beaucoup ont pris la fuite. Comment l’expliquons-nous ?

Parce qu’ils ont d’abord été exfiltrés. Mengele a bénéficié de ce secteur. Lors des grands procès de Nuremberg, Bergen-Belsen et Cracovie, les SS furent envoyés à la mort. Les Américains, les Anglais et les Polonais veulent les effacer de la surface de la terre et ceux qu’ils ont jugés sont donc pendus. Mais ensuite, le monde est préoccupé par une autre histoire, celle du communisme, de l’après-guerre, de la guerre froide. Au procès de Francfort, par exemple, il a été très compliqué de condamner à mort les SS jugés. Ils ont été condamnés à la prison à vie, mais pas à la peine de mort.

Vous parlez également de la situation dans les camps de concentration, notamment à Auschwitz. Les femmes étaient tatouées sur l’avant-bras gauche et, de fait, ce numéro leur enlevait toute leur identité. On comprend mieux pourquoi beaucoup de femmes n’ont pas réussi à se battre car il faut l’avoir vécu pour comprendre.

“Je regrette de ne pas avoir pu citer toutes les femmes. Beaucoup de gens que je rencontre me disent : ‘Tu as parlé de ma mère ? Elle faisait partie du convoi de Sarcey et Krasucki. Il y a encore tellement de choses à dire.”

Chochana Boukhobza

sur franceinfo

Le problème, c’est qu’on sait aujourd’hui que dans les convois qui arrivent, sur par exemple 1 000 personnes, il y en a dix qui parviennent à survivre. Si des femmes ont réussi à survivre, c’est parce que d’autres, comme des infirmières ou des médecins, ont décidé de créer une chaîne. Et pour participer à ce réseau, il fallait aussi le vouloir.