les cinq enseignements de la visite d’Emmanuel Macron dans l’archipel

Le Président de la République, Emmanuel Macon, a quitté Nouméa vers 02h30 heure locale, vendredi 24 mai 2024 après une visite express d’environ dix-sept heures sur les lieux. Venu apaiser la crise qui secoue l’archipel depuis le 13 mai, il a salué la police, très impliquée sur place, et a surtout rencontré les élus et les différentes forces politiques. Ouest de la France était du voyage et tire cinq leçons de ce voyage.

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1. La situation sur place reste tendue

Premier élément d’appréciation du climat de tension sur place : Emmanuel Macron n’a pas rejoint Nouméa par la route mais par hélicoptère. Un vol qui lui a permis d’observer depuis le ciel les dégâts causés par dix jours d’émeutes urbaines dans la principale ville de ce territoire du Pacifique à 17 000 km de Paris.

Mais c’est aussi parce que la route est moins sûre que le convoi présidentiel a choisi la voie aérienne. Même chose pour les journalistes transportés, à l’aller et au retour, dans un avion entre l’aéroport international de la Tontouta – toujours fermé aux vols commerciaux – et l’aérodrome de Magenta, en périphérie de Nouméa. Au bout de cette piste, des colonnes de fumée indiquaient la présence d’incendies le jeudi 23 mai vers 9 heures.

Autre indicateur : le président de la République n’a effectué qu’une seule visite hors des locaux du haut-commissariat (équivalent de la préfecture). C’était au commissariat central de Nouméa, gardé par des véhicules blindés et des policiers lourdement armés et cagoulés. Sur place, il a décrit la crise comme « mouvement insurrectionnel sans précédent ». Depuis le début de la crise, deux gendarmes et quatre civils ont été tués.

Au lendemain de la visite présidentielle, la situation reste très compliquée dans certains quartiers de Nouméa. Des maisons ont été incendiées au Mont-Dore et des barrages routiers sont reconstitués même si la circulation semble s’intensifier et que davantage de magasins sont ouverts, a constaté un journaliste du Mont-Dore. Ouest de la France sur place vendredi 24 mai.

Enfin, il y a plus de forces de l’ordre sur place que lors du dernier référendum d’autodétermination en 2021, a souligné Emmanuel Macron. Il a annoncé « 3 000 renforts » dans les prochaines heures, auxquels s’ajouteront 130 membres du Raid et du GIGN et le déploiement de blindés et d’hélicoptères. Ils resteront  » le cas échéant «  et y compris pendant la période des JO de Paris.

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2. Le dialogue reste compliqué

Emmanuel Macron a réuni jeudi à deux reprises les élus et les forces économiques du territoire au haut-commissariat. Certes, elle rassemblait à la fois les tendances indépendantistes (présidence du gouvernement et deux provinces sur trois) et les tendances non indépendantistes, mais toutes étaient là sous leur fonction institutionnelle. Ne pas échanger entre eux donc.

Et lorsqu’il s’agissait d’aborder les questions politiques de l’avenir de l’île et l’épineux problème du « dégel » du corps électoral (ouverture du vote aux élections provinciales aux habitants depuis plus de dix ans), les responsables, militants, ont été reçus en délégations séparées et non ensemble. Autrement dit, le chef de l’État n’a pas réussi à mettre tout le monde à la table. Interrogée en fin de séance à l’invitation d’un des dirigeants du CCAT (fer de lance de la crise actuelle), également assignée à résidence, la loyaliste Sonia Backès, présidente de la Province Sud et ancienne ministre, a clairement déclaré : « Nous avons refusé tout contact avec le CCAT. »

3. Un défi pour les élus locaux

Sur la sécurité d’abord. Emmanuel Macron a conditionné la fin de l’état d’urgence à la levée des barrages routiers. Il a donc demandé à tous les responsables de relayer ce message « dans les heures et les jours à venir ».

Par ailleurs, le président de la République n’a pas vraiment reculé sur le point qui a enflammé Nouméa, à savoir le projet de loi portant réforme du corps électoral. Votée au Sénat puis à l’Assemblée, elle doit encore être ratifiée par le congrès, réunion des deux chambres, qu’Emmanuel Macron a souhaité convoquer avant fin juin. Face à l’ampleur des violences générées, de nombreux responsables politiques ont demandé l’abandon de cette convocation. Le sénateur LR Georges Naturel, l’un des rares à s’exprimer après des rencontres avec les élus au haut-commissariat jeudi, l’a encore dit.

« Après avoir écouté tout le monde, je me suis engagé à ce que cette réforme ne passe pas par la force, à ce qu’on se donne quelques semaines », a répondu Emmanuel Macron jeudi soir à minuit heure locale, avant de reprendre l’avion pour Paris. Cela signifie-t-il qu’il renonce à convoquer le congrès avant la fin juin ? C’est plus compliqué que ça. Le chef de l’Etat propose  » un processus «  et une série de conditions pour que les élus locaux puissent, éventuellement, revoir le calendrier qu’il s’est lui-même fixé.

Dans un premier temps, il demande à chacun d’appeler à la levée des blocages pour lever l’état d’urgence, première condition de la reprise des activités. « dialogue politique ». « Je ferai, d’ici un mois maximum, un bilan des avancées et j’envisagerai le retour au calme et l’engagement sincère des parties (dans ce processus) », a annoncé Emmanuel Macron.

Au fond, l’idée est de permettre aux élus locaux de construire « un accord mondial » qui pourrait remplacer la seule réforme du corps électoral. La tâche est immense car elle suppose que les différentes composantes du paysage politique néo-calédonien, très divisées, s’accordent sur des points très sensibles : le dégel du corps électoral donc mais aussi la répartition des pouvoirs, des sièges au congrès, de la citoyenneté, du contrat social, l’avenir économique et la diversification des activités (dans un contexte de crise de l’industrie du nickel). « Et que cet accord intègre notre constitution », a ajouté le Président qui souhaiterait ensuite soumettre cet accord global à un référendum. Un programme complet…

Si le calme revient et que les partis entament ce long voyage politique, alors la perspective d’un « accord global » pourrait alors remplacer le projet de loi sur le dégel du corps électoral.

4. Une mission encore floue

« L’Etat, à travers la mission de trois hauts fonctionnaires, jouera un rôle actif » dans la reprise du dialogue politique, a expliqué Emmanuel Macron à l’issue de son déplacement. L’installation d’un  » affectation «  C’était aussi la première intention affichée lors de l’annonce de cette visite mardi dernier.

Rémi Bastille, Frédéric Potier et Eric Thiers se tenaient aux côtés du chef de l’Etat lors de son dernier discours sur le sol calédonien dans la nuit de jeudi à vendredi mais n’ont pas pris la parole lors de cette visite. Ils sont présentés par l’Élysée comme des profils de spécialistes de la société calédonienne, de l’économie et de la finance ou encore du fonctionnement des institutions, mais pas issus du monde politique, leur rôle exact et leur feuille de route restent encore flous à ce stade.

5. La difficile application des accords de Matignon

La crise que traverse Nouméa a rappelé les années 84-88 de quasi-guerre civile sur le territoire calédonien. Les Accords de Matignon ont apporté la paix en traçant une voie démocratique. Long terme. Les trois référendums d’autodétermination de 2018, 2020 et 2021 résultent de ces accords, mais aussi de l’accord de Nouméa (1998) et du point de dégel du corps électoral qui entre désormais en phase de candidature. « Nous avons strictement appliqué ce qui était prévu dans les accords » a souligné le chef de l’Etat. Mais il a aussi constaté l’absence d’une vision commune pour l’avenir et un rééquilibrage insuffisant des inégalités sociales. Deux obstacles majeurs sur le chemin d’une paix durable.