« Les déboires du nucléaire depuis les années 1990 reflètent en réalité sa « normalisation » »

LLe dernier numéro du magazine Entreprise et histoire (« Énergie nucléaire civile », n.ou 114, 236 pages, 30 euros) apporte un éclairage bienvenu sur les déboires subis par la filière nucléaire française, entre les surcoûts de l’EPR, l’abandon du réacteur Astrid et la disponibilité réduite du parc durant l’hiver 2022. Ces échecs ont été imputés aux erreurs de l’Etat, qui, après les heures glorieuses du « plan Messmer » (1974), serait devenu pusillanime et sans vision ; “canard sans tête”a récemment déclaré un haut-commissaire à l’énergie atomique. Les responsables sont également les gouvernements socialistes, qui auraient sacrifié le secteur à une alliance avec les écologistes. Ces histoires ne résistent pas à l’analyse historique.

Frédéric Garcias et Stéphanie Tillement montrent que le récit décliniste actuel se construit en contraste avec le « plan Messmer », l’âge d’or supposé d’une unité d’élites mobilisées pour un projet national. Ce récit enchanté néglige les difficultés qu’a connues le plan, menacé à plusieurs reprises par “rigueur” budgétaire, sous les gouvernements de Raymond Barre puis sous la présidence de François Mitterrand. Il oublie aussi les débats acharnés sur le rythme de construction des réacteurs. Les auteurs rappellent qu’en construire cinquante en vingt ans créerait nécessairement « un effet de falaise » quarante ans plus tard, comme si « Le plan avait tout prévu, sauf sa propre fin ».

Les revers de l’énergie nucléaire depuis les années 1990 reflètent en réalité ses “normalisation”La construction européenne, la libéralisation du marché de l’énergie, la pression de Bruxelles pour éliminer les monopoles, la création d’Areva qui concurrence EDF à l’exportation : tout cela contribue à faire d’EDF une entreprise comme les autres, que l’Etat privatise partiellement en 2005. En pleine surcapacité de production, le projet voulu par Nicolas Sarkozy de lancer un EPR unique, “une graine sans série”Cela paraît absurde aux yeux des dirigeants d’EDF, qui anticipent les surcoûts liés à l’absence de perspective à long terme et donc d’une base industrielle solide. EDF était devenu avant tout un opérateur livrant ses bénéfices à l’Etat actionnaire et s’occupant principalement de maintenance et de sûreté.

Affaiblissement

C’est précisément ce travail de maintenance qu’étudie Léna Masson dans son article « Quand la Direction de la production nucléaire d’EDF devient un « hub contractuel » ». Elle montre comment, à partir des années 1990 et surtout après 2000, les relations contractuelles avec les sous-traitants deviennent le cœur du travail de la Direction de la production nucléaire. En 1984, l’État fixe des objectifs financiers à EDF, ce qui entraîne le développement de la sous-traitance, encadrée par un décret. En 1991, un « Institut du management » est créé, visant à développer la culture commerciale au sein d’EDF. Dans les années 2000, des plans de réduction des dépenses rognent sur la masse salariale et la formation. En 2005, lors de son entrée en Bourse, EDF supprime 6 000 emplois.

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Elise

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