Le Courbet, le Centurion, le Grief… Ces navires de guerre français, anglais ou allemands font escale au large des côtes normandes depuis 80 ans. Paradis des plongeurs, quelque 150 épaves peu connues du grand public sont aujourd’hui protégées et inscrites à l’UNESCO avec les plages du Débarquement.
“En raison du nombre de sites concernés et de leur variété, il n’existe pas d’événement historique aussi bien représenté par ces vestiges sous-marins”, souligne Cécile Sauvage de la Direction des recherches sous-marines et archéologiques sous-marines du ministère de la Défense. Culture (Drassm).
« Ils ne sont pas tous bien conservés mais très variés et très représentatifs des moyens utilisés lors du Débarquement », explique cet archéologue chargé de leur inventaire depuis dix ans.
Sur 2 000 km2, environ 120 destroyers, dragueurs de mines, remorqueurs, caissons artificiels de port, barges et passerelles pour débarquer troupes et matériels sur les plages… ainsi qu’une trentaine de chars amphibies font aujourd’hui le bonheur des plongeurs.
Ils peuvent ainsi explorer les vestiges de l’Empire Broadsword. Ce cargo britannique destiné au transport de soldats et de barges heurta deux mines au large d’Omaha Beach en juillet 1944, tuant sept personnes et en blessant 170 autres.
Au fond de la Manche se trouvent les bateaux torpillés et ceux, hors service, coulés pour servir de brise-lames. Ces protections artificielles, appelées « blockships », permettaient de décharger plus facilement le matériel.
Durant l’hiver 1944, le nettoyage des cinq plages du Débarquement débute. Des sociétés anglaises, belges et autres s’établissent de Sainte-Mère-Eglise à Ouistreham pour extraire le cuivre, le laiton ou le bronze des chaudières et des condenseurs des navires.
Ils sont renfloués et détruits sur la plage ou envoyés à l’étranger, les plus gros morceaux restant au fond de l’eau où ils sont découpés.
Des millions de tonnes de ferraille finissent dans les hauts fourneaux de Caen, mais aussi en Belgique et en Angleterre.
– Chars, torpilles, baignoire… –
Une fois les plages rendues aux estivants qui peuvent encore aujourd’hui trouver une coquille rouillée ou les restes d’une barge dans le sable, les ferrailleurs s’éloignent de la côte pour démonter d’autres épaves.
Quelques-uns comme Gabriel Serra commencent à garder des morceaux. Pris au jeu, ils deviennent de véritables collectionneurs, à tel point que Jacques Lemonchois finit par ouvrir un musée des épaves sous-marines du Débarquement à Commes, près de Bayeux.
Il a élevé, couverts de boue, une remorque-citerne, des torpilles allemandes, des mitrailleuses, un sextant, une antenne de réception radar… mais aussi de nombreux objets du quotidien comme des bouteilles de bière, des vêtements, une brosse à dents ou une baignoire.
Dans un réservoir étaient conservés les chaussures et autres objets appartenant au pilote John Glass. Le ferrailleur l’a retrouvé aux Etats-Unis et il est venu revoir son char au musée auquel il a légué divers effets personnels.
En s’intéressant à ces navires, “les ferrailleurs ont permis d’identifier les épaves. Cela n’a pas été facile car une fois démolis, ils ne ressemblent plus à grand chose, alors que ceux du 14-18, plus larges, sont beaux à visiter”, explique Jean-Luc Marchais à Courseulles-sur-Mer. Cet ancien plongeur a travaillé avec Jacques Lemonchois jusqu’à la fin de la démolition au début des années 1990.
Le club de Caen Plongée s’intéresse alors aux épaves, avant de poursuivre cet inventaire avec le Drassm. Sur cette base, la France est candidate en 2018 à l’inscription des épaves et plages attenantes au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Elle déposera en janvier un dossier plus complet, réalisé par la région Normandie, valorisant ces vestiges : fiches descriptives de 21 épaves (https://archeologie.culture.gouv.fr/epaves-debarquement/fr/fiches-epaves-plongeurs ), des vidéos de certains sites (https://www.youtube.com/@ProjetAMI)…
Parce que le temps presse. Fragilisées après avoir été dépecées par les ferrailleurs, ces épaves ont fini par s’effondrer, emprisonnant des obus, des munitions et divers objets qu’il est interdit d’enlever, ainsi que des restes humains.
« Il est important d’étudier ce patrimoine dès maintenant », prévient l’archéologue Cécile Sauvage. « Les épaves métalliques sont sujettes à la corrosion et ne seront plus là dans quelques décennies. »
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