“Arrêtez de vous taire !” : en marge du procès Mazan, militantes et associations féministes appellent les hommes à “enfin prendre leurs responsabilités” dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
Dans le procès du viol de Mazan – une femme droguée par son mari et violée pendant dix ans par des dizaines d’hommes -, “il y a tous ces violeurs mais il y a tous ces hommes à qui on a proposé de violer Gisèle et qui se sont tus”, a constaté Jessica, du collectif #Noustoutes, lors d’une manifestation à Paris samedi.
“A aucun moment ils ne se sont dit ‘c’est fou, ce mari nous propose de venir violer sa femme’. Personne n’est allé voir la police”, a ajouté l’activiste, à propos des propositions faites via un site de rencontres – fermé depuis juin car accusé d’être un repaire de prédateurs sexuels.
L’activiste critique plus généralement les hommes qui « se taisent » : « Si vous aimez vraiment les femmes, non seulement respectez-les mais assurez-vous aussi de porter la charge mentale, c’est votre responsabilité. »
Les hommes doivent faire un examen de conscience, estime Elsa Labouret, d’Osez le féminisme. “Un homme qui pense être un homme bien, combien de fois dit-il à ses amis : ‘Non, ce que tu viens de faire, de dire, ce n’est pas bien’ ?”
Pour Anna Toumazoff, militante féministe à l’origine de l’appel à manifester samedi en soutien à Gisèle Pelicot, « il y a un réel besoin que la société se soulève ».
« Les auteurs de violences sexuelles sont des hommes dans 96% des cas », a-t-elle insisté. « Les violences sexuelles sont avant tout un problème d’hommes qui sont malheureusement perpétrées majoritairement par des femmes, il est temps que chacun prenne enfin ses responsabilités. »
– “Prendre le relais” –
Pour Mélanie Gourarier, anthropologue au CNRS et spécialiste des masculinités, « les féministes ont l’impression de se battre contre des moulins à vent : ‘on alerte, on alerte, il ne se passe rien’ ».
Or, « s’engager dans la lutte contre les violences faites aux femmes a un coût psychologique, économique et temporel », constate-t-elle. Il y a un « ras-le-bol » face au poids « que portent les mouvements féministes sur ces questions » et « une demande de prise en charge, mais qui n’est pas un abandon du terrain ».
Ces dernières années, le soutien des figures masculines à la prise de parole des femmes contre les violences sexuelles et sexistes est resté relativement timide en France, se limitant à quelques expressions solitaires.
Au printemps dernier, à l’heure du cinéma #metoo, ce silence avait été dénoncé par plusieurs actrices. Juliette Binoche estimait qu'”il n’était pas possible de n’avoir que des femmes qui parlent”.
Le procès Mazan pourrait-il changer la donne ? Ces derniers jours, deux personnalités – le journaliste Karim Rissouli et le réalisateur Cyril Dion – se sont exprimées sur les réseaux sociaux.
« J’ai mal au ventre en tant qu’homme », a déclaré Karim Rissouli. « C’est peut-être le premier grand procès de masculinité où nous prenons collectivement conscience que notre façon d’être des hommes dans ce pays depuis des siècles a des conséquences. »
« Il est peut-être temps que plusieurs d’entre nous, les hommes, s’expriment sur le sujet », a déclaré Cyril Dion.
– #Pastousleshommes –
L’activiste et thérapeute Morgan Noam, qui a appelé samedi à un « réveil féministe masculin », a depuis lancé un appel aux « personnalités publiques masculines » qui « souhaiteraient agir face au besoin urgent de se positionner ouvertement contre le système de domination et de violence masculines ».
Reste à savoir dans quelle mesure ces appels seront entendus. Sur les réseaux sociaux, le procès pour viol de Mazan s’est accompagné d’une résurgence du hashtag #notallmen, signe pour les associations féministes du « long chemin qui reste à parcourir ».
Avec cette expression, les internautes, majoritairement des hommes, entendent dénoncer toute généralisation, estimant qu’il s’agit avant tout d’un problème individuel et non systémique.
« Il y a depuis longtemps des hommes engagés dans la lutte contre la violence masculine », constate le politologue québécois Francis Dupuis-Déri, citant « la Campagne du ruban blanc » au Canada, le mouvement « Hommes contre la violence et les abus » en Inde et même en France avec les voix qui se sont élevées lors des différentes vagues #Metoo.
Mais il existe encore de nombreux « hommes qui préfèrent se taire, voire approuver, plutôt que de risquer de perdre les liens avec un ami, un camarade, un collègue, un patron abusif », ajoute l’auteur de « Hommes et féminisme : faux amis, poseurs ou alliés ? » (Textuel, 2023).
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