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« Les Jeux de Paris ont permis une avancée décisive en matière d’inclusion, on ne peut pas revenir en arrière »

Son 54et Anniversaire de Ryadh Sallem, il l’a fêté lors des compétitions paralympiques. L’athlète et militant associatif, qui a participé à ces sixièmes Jeux à Paris (Atlanta 1996, Sydney 2000, Athènes 2004 au sein de l’équipe de France de basket-ball en fauteuil roulant, Londres 2012, Rio 2016 et Paris 2024 au sein de l’équipe de rugby en fauteuil roulant), estime qu’un cap a été franchi cet été, et appelle à poursuivre cette évolution sociétale.

Quelle image retenez-vous de la cérémonie de clôture des Jeux Paralympiques de Paris ?
Le 8 septembre, au Stade de France ?

Je me souviens de l’image des athlètes de l’équipe de France qui montaient sur scène à la fin de la cérémonie et des 70 000 personnes présentes qui partageaient avec eux ce moment de fête. Avec la pluie, on nous avait déconseillé de monter sur scène comme l’avait fait la délégation olympique quelques semaines plus tôt, mais la magie a de nouveau opéré : les garçons et les filles ont enflammé la salle, devant un public qui semblait découvrir une partie de la population française.

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Je me souviens aussi des paroles de Tony Estanguet (le président du comité d’organisation des Jeux, Cojop) sur le « Révolution paralympique » en cours. Avec Paris 2024, les curseurs ont été poussés loin en matière d’inclusion, sociale, environnementale, même si ce n’est pas encore idéal.

Vous avez vu le nombre de bénévoles handicapés, les porteurs de flammes olympiques et paralympiques, ou d’autres signaux forts : la même mascotte, le même comité d’organisation, la même équipe de France, quasiment la même couverture médiatique… Tony Estanguet peut dire que c’est une révolution, car nous avons démontré que nous pouvions vivre et avancer ensemble. Maintenant, il faut transformer cela en évolution sociétale.

Le regard sur le handicap a-t-il changé en France avec ces Jeux ?

Ce changement de perspective n’est pas nouveau, il remonte à quelques années, avec la loi Chirac de 2005 sur l’égalité des droits et des chances, les dispositifs d’insertion dans les entreprises, les programmes de sensibilisation, le succès de films comme Intouchables ou, plus récemment, Un petit quelque chose en plus.

Ce n’est pas le citoyen qui bloque face au handicap, ce sont souvent nos élites. Je me bats pour expliquer aux entreprises que mon fauteuil roulant n’est pas le symbole du handicap, c’est le symbole de la liberté et, in fine, de l’accessibilité, à partir du moment où les lieux où je vais sont accessibles aussi ! Il faut changer de sémantique.

Le judoka Teddy Riner a-t-il commis une erreur en qualifiant les athlètes paralympiques de « super-héros » ?

Souvenez-vous des campagnes d’affichage de cet été : « Nous sommes prêts, nous n’attendons plus que vous. » Et en même temps, on a constaté que les places pour les compétitions paralympiques se vendaient mal. Teddy Riner est l’athlète français le plus médiatisé des Jeux, avec le nageur Léon Marchand, c’est une icône du sport. Quand il est porteur d’un message, il faut surfer dessus. Or, là, avec une forme de militantisme, certains se sont offusqués. Il faut au contraire remercier Teddy Riner.

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Oui, il y a des super-héros du quotidien, pas seulement dans le handisport. Avancer sans les yeux, marcher sans les pieds, c’est un super-pouvoir. Déclencher autant d’émotion et de joie dans le monde morose qui est le nôtre, comme l’ont fait les athlètes para-sportifs, c’est aussi un super-pouvoir. Aux Jeux Paralympiques, il y a un supplément d’âme, car on découvre beaucoup de gens qui ont vécu des histoires très difficiles, qui ont croisé la mort : certains sont de véritables super-héros !

Ces Jeux marqueront-ils l’histoire du mouvement paralympique ?

Oui, à condition de se rappeler que cette histoire est faite d’une succession d’étapes. La première édition dans la même ville fut les Jeux de Séoul en 1988. A Barcelone (1992), ils furent organisés dans la même ville, le même village olympique, mais les épreuves ne se déroulèrent pas toujours dans les mêmes installations.

Une étape importante a été franchie à Pékin (2008) avec la signature d’un accord stipulant que chaque ville qui se propose d’accueillir les Jeux Olympiques devra également accueillir les épreuves Paralympiques. En choisissant de mettre en place le même Comité d’organisation, Paris 2024 a permis une avancée majeure : nous sommes dedans, nous avons notre mot à dire. Il n’y aura pas de retour en arrière. Nous étions émerveillés après Londres 2012, Paris 2024 devient la référence.

Et pourtant, les Jeux de Londres avaient laissé des traces ?

C’est vrai. Quand je suis arrivé à Londres, j’ai été étonné de voir que les gens connaissaient mon nom, mon parcours, mon sport ! Au Royaume-Uni, les athlètes paralympiques sont souvent des professionnels, ils ont leur public et sont diffusés à la télévision. Les chaînes britanniques avaient utilisé des mots forts dans leur campagne de communication. C’était intelligent de leur part. Après avoir lancé les Jeux paralympiques en les appelant les « surhumains »ils ont couvert les Jeux, sans hésiter à briser cette image de « surhommes ».

Les Jeux de Paris ont démontré que la parité n’était pas la règle dans la délégation paralympique française (34% de femmes)…

Dans l’équipe de France de rugby fauteuil par exemple, nous n’avions aucune fille alors que c’est un sport mixte. Et la France n’était pas présente dans le tournoi féminin de basket fauteuil. Avec notre association Cap Sport Art Aventure Amitié, qui fêtera ses 30 ans en 2025, nous avons créé la première équipe féminine de basket fauteuil évoluant dans un championnat masculin, et nous travaillons aujourd’hui sur le projet de Women’s Cup : une compétition de rugby fauteuil 100% féminine, qui devrait avoir lieu en décembre.

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J’espère que ces Jeux donneront envie aux filles de faire du sport, que les championnes paralympiques les inspireront, en leur montrant qu’on peut être à la fois une athlète de haut niveau et une femme.

De quelle autre manière le mouvement sportif peut-il améliorer l’inclusion ?

En France, 85% des personnes handicapées deviennent handicapées au cours de leur vie. Toutes les fédérations sportives comptent dans leurs rangs des sportifs blessés ou malades qui rejoignent le monde du handicap : il faut les accompagner et leur ouvrir un parcours.

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Sans doute ces sportifs se sentent-ils diminués et ne veulent-ils pas projeter d’eux-mêmes une image qu’ils jugent défavorable. Cela touche à une question de représentation sociale mais aussi à un sujet intime : quel chemin empruntons-nous en nous-mêmes pour dépasser cette image et réapprendre à nous aimer. Pour moi, le sport est ce qui m’a mis en paix avec mon corps.

En France, il manque aussi des structures pour former les encadrants. Au Canada, par exemple, il existe des filières et des universités spécialisées dans la formation d’entraîneurs para-sportifs. Au Royaume-Uni, un enfant handicapé de 7-8 ans peut facilement trouver des structures où il peut pratiquer un sport.

La prochaine étape ne serait-elle pas d’organiser des Jeux comprenant à la fois un programme olympique et un programme paralympique ?

Plutôt que de considérer une seule épreuve, on pourrait élargir le cadre des Jeux paralympiques en y intégrant davantage d’athlètes malentendants, qui concourent actuellement dans des jeux séparés, les Deaflympics, ou encore ceux qui ont un handicap mental ou psychologique. Mais si on s’engage dans la voie d’un programme intégré, on court le risque de mettre de côté les épreuves ouvertes aux handicaps les plus sévères, car humainement et logistiquement, ce sont celles qui demandent le plus d’énergie.

Ces Jeux sont souvent décrits comme une « parenthèse enchantée ». N’avez-vous pas peur que cette parenthèse se termine rapidement ?

Pour moi, il n’y a aucun doute, ce n’est pas la fin, c’est le début. Il est rare, au cours d’une vie, de mener des combats et de les voir se réaliser. Mais je vis ce que je pensais à 20 ans ! Je n’étais pas un grand athlète à l’époque, jusqu’au moment où j’ai ressenti la puissance du sport, la beauté du geste, les émotions qu’il véhiculait.

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D’ailleurs, je ne sais pas si mon corps tiendra le coup, mais je n’arrive pas à me convaincre d’arrêter ma carrière comme je l’avais prévu après Paris. Ces salles pleines, ce public, les résultats de mes amis, la finale de cécifoot… ça donne une dose incroyable d’amour et seuls les Jeux offrent ça.

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Fleur

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