Les médias et les quartiers populaires peuvent-ils se comprendre ?

Pourquoi ce sentiment d’incompréhension entre les habitants du quartier et les médias ? Comment mettre en valeur les propos et initiatives positifs des banlieues ? Comment vaincre les stéréotypes ? Autant de questions abordées lors de la 3e édition du festival Notre avenir, organisée du 21 au 24 mars à Rennes, sous la houlette de Joséfa Lopez, journaliste à Monde.

Découvrez la synthèse des échanges enregistrés en présence de :

Elsa Vigoureuse, journaliste reporter au magazine Le nouvel Obsauteur notamment de L’affaire des gangs de barbares et de Lettre à Adama ;
Maxime Brandstaetter, journaliste reporter à BFM-TV ;
Jeanne Demoulinmaître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris Nanterre, à l’initiative du projet Pop Art, qui a notamment donné lieu au livre Jeunes des quartiers, le pouvoir des mots ;
Lucas Roxo, journaliste indépendante, co-fondatrice du collectif de journalistes La Friche et médias participatifs L’étincelleco-auteur de Un court manuel d’éducation critique aux médias ;
Inès Belghit, étudiant en arts et apprenti journaliste à L’étincellehabitant de Clichy-sous-Bois ;
Mira Hannachiétudiant en comptabilité ayant participé au projet Pop Art, résidant à Nanterre.

Elsa Vigoureux et Maxime Brandstaetter, quel regard portez-vous sur le travail des médias lorsqu’ils parlent des quartiers populaires ?

Elsa Vigoureuse J’ai grandi et vis à Gennevilliers, au nord-ouest de Paris. Quand j’ai commencé à être journaliste, alors que j’avais très peu d’expérience, on me demandait de rendre compte du phénomène des tournants, ou encore du trafic d’armes ou de drogue dans les quartiers… Et, bien sûr, dans des délais très courts ! C’était à la fin des années 1990, et nous ne parlions pas de « quartiers populaires »mais “banlieue”de la “villes”. Nous ne parlions pas de “révolte” mais D’“émeutes”, qui pointent du doigt des gens dangereux qui bouleversent un lieu, tandis que le mot « révolte » suggère qu’il y a une réaction à une injustice. Ensuite, il y avait des formules comme “le problème de l’Islam”puis le « communautarisme »LE “séparatisme”. Des propos qui collent encore aujourd’hui aux quartiers. Voilà donc vingt-cinq ans que je mène un combat sur le pouvoir des mots.

Maxime Brandstaetter Je ne viens pas de ce milieu, mais j’ai remarqué, comme Elsa, cette problématique de devoir assurer un travail journalistique sous un angle parfois défini un peu hâtivement. Alors qu’il est compliqué d’instaurer un climat de confiance dans les quartiers populaires pour obtenir des informations. C’est donc à nous, journalistes, de recréer une relation. C’est notre rôle aujourd’hui.

Quelles conséquences cette stigmatisation a-t-elle pour les jeunes concernés ?

Jeanne Demoulin Dans les grands médias, les « jeunes » sont souvent réduits au stéréotype des garçons qui traînent au pied des tours. On parle beaucoup des jeunes mais on les entend rarement. L’image qui en ressort est une représentation déformée et incomplète, quasi figée, homogène et très stigmatisante. Cela a un impact immédiat sur leur capacité à naviguer dans le champ social, sur la façon dont ils se projettent dans le futur. Au collège, lorsqu’il s’agit de choisir leur lycée, ils sont confrontés à des stratégies de dérogation compliquées à mettre en place. Et puis quand on vient d’un lycée d’Aubervilliers ou de Clichy, on se retrouve limité dans ses choix d’études, etc.

Le 27 juin 2023, Nahel Merzouk est tuée par un policier lors d’un contrôle routier. Que se passe-t-il désormais dans les rédactions de BFM et de « L’Obs » ?

Mo Au début, on reçoit des informations de sources qui relaient la version policière : l’histoire d’une voiture qui refuse d’obtempérer et la fusillade pour sauver la vie du collègue. Puis sort la vidéo qui, certes, ne fournit pas la vérité judiciaire, mais qui suffit à montrer que la réalité ne correspond pas au discours officiel. Nous envoyons alors plusieurs équipes pour récolter des informations, retrouver des témoins, l’auteur de la vidéo, discuter avec des gens du quartier… Mais très vite on constate un rejet et l’impossibilité de travailler sur place. Mon métier est d’écouter les gens, de comprendre la réalité et de la rendre compte. La première chose que j’essaie de faire dans ces circonstances est d’assurer la liaison avec toutes les parties concernées. Pour l’affaire Nahel, nous n’avons pas pu entrer dans le quartier. Je l’ai vraiment pris comme un échec.

VE Depuis quinze ans, il y a tellement de jeunes qui sont morts à cause de la police et on n’en parle pas… Dans le cas de Nahel, le premier média, c’est le people, c’est la vidéo. Ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’une petite erreur.

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Comment expliquer la méfiance générale des jeunes à l’égard des médias grand public ?

VE Lorsqu’on habite dans l’un de ces quartiers, on ne peut qu’être en colère lorsque les médias véhiculent constamment une image que l’on considère comme n’étant pas celle de la réalité. C’est le problème du miroir déformant. J’ai parfois une attitude militante, mais je considère qu’il est de notre devoir d’éviter la stigmatisation et de travailler sur la mémoire de l’histoire et du passé des banlieues.

Inès Belghit Nous sommes mal représentés à la télévision. Les journalistes en parlent “l’affaire Nahel”, mais c’est une personne ! Un jeune garçon mort injustement. J’ai souvent l’impression que nous ne sommes pas écoutés, ou qu’une dispute va forcément se retourner contre nous. Je m’informe donc principalement via les réseaux sociaux.

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Mira Hannachi En regardant la télévision, je me suis rendu compte qu’il y avait toujours un point de vue politique, que je voyais toujours les mêmes personnes interviewées, que j’entendais toujours les mêmes discours. J’ai donc essayé d’autres chaînes… Puis la presse écrite. J’ai fait la même observation. Alors que sur les réseaux sociaux, tous les points de vue sont visibles. Le mieux est de suivre les médias indépendants présents par exemple sur Instagram.

Recueillir la parole des quartiers et des jeunes, c’est possible. Jeanne Demoulin, vous avez travaillé avec eux pendant quatre ans sur le pouvoir des mots…

JD Nous avons mis en place une méthode de recherche collaborative où chacun a sa propre voix et ses propres connaissances. Et pas une méthode d’entretiens (aller voir les gens, les interviewer, partir), car, selon moi, c’est ce qui a conduit à la stigmatisation du « Noir/Arabe/jeune » qui traîne en sweat à capuche… Ainsi on a produit non seulement des témoignages, mais le fruit d’une analyse.

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Lucas, vous animez des ateliers d’éducation aux médias. Quel constat faites-vous ?

Lucas Roxo Après Charlie Hebdo et les attentats du Bataclan, l’État a investi des moyens dans l’éducation médiatique pour récupérer les tribus perdues du troupeau, avec l’idée que les jeunes s’informent notamment sur les réseaux sociaux où circulent des théories complotistes, ce qui pourrait les amener à se radicaliser. Pour moi, on ne prend pas assez en compte l’utilité sociale des médias. L’actualité sert, de manière concrète, à avoir un sujet de conversation avec ses voisins, à savoir où on va vivre, pour qui on va voter… Il y a des questions d’identification. Pourquoi une émission comme « Les Grandes Gueules » de RMC Info marche-t-elle si bien ? Car il existe des profils types : l’avocat de droite, l’enseignant colérique, etc. Tout le monde a des opinions bien arrêtées, on écoute parce qu’on s’identifie et on est d’accord avec l’un ou l’autre. Mais quand on a grandi en banlieue, dans un quartier populaire, ce processus ne fonctionne pas et on ne peut pas utiliser l’actualité pour créer du lien social.

Retrouvez tous les épisodes du podcast « Nos futurs, la relève a son mot à dire ».

« Notre avenir, la voix de la prochaine génération », un podcast réalisé par Le monde, en partenariat avec Les Champs Libres, Sciences Po Rennes, la Métropole de Rennes. Production éditoriale et animation : Joséfa Lopez. Préparation du débat et introduction : Margaux Callet, Alice Paul, Margot Dejeux, Eliante Gouny. Montage et mixage : Joséfa Lopez et Eyeshot. Transcription : Caroline Andrieu. Identité graphique : Thomas Steffen, Solène Reveney. Partenariat : Sonia Jouneau, Cécile Juricic, Morgane Pannetier.

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