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Les passions cachées du nouveau ministre de l’Intérieur


Ce portrait a été écrit en novembre 2022 alors que le sénateur de Vendée convoitait la direction du parti Les Républicains.

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jeImaginer Bruno Retailleau organiser un concert de Johnny Hallyday est pour le moins contre-intuitif. Et pourtant ! En 2006, le sénateur de Vendée se retrouve dans les bureaux parisiens de Jean-Claude Camus, le producteur historique de la star. Il vient dérober une date pour le petit Festival Poupet, qui se déroule chaque été à 500 mètres de chez lui, au point d’entendre les artistes depuis son jardin. Son ami Philippe Maindron, un drôle de type toujours entre deux projets fous, le convainc de l’aider à réaliser son rêve : mettre en scène le “la plus grande nuit de sa vie”. « Camus n’a pas voulu en entendre parler. Il m’a dit : « Tu dois venir avec ton banquier et un investisseur institutionnel », se souvient Maindron. Le matin, le banquier m’a laissé tomber, mais Bruno a honoré le rendez-vous. On s’est retrouvés devant Camus, on lui a dit une grosse connerie. : « Le banquier est malade. »Et Bruno a tellement bien défendu le projet qu’on est sortis avec notre rendez-vous Johnny ! C’est ainsi que le pape du rock français jouait le 22 juillet 2006 à Poupet, la plus petite date de sa tournée. «Mes amis sont complètement fous», souffle le patron des sénateurs LR, qui ambitionne de diriger son parti.

On pourrait le prendre pour un homme sage, sous ses faux airs de séminariste aux lunettes à monture fine, pour un notable de l’Ouest engourdi dans le confort chloroformé du Sénat. Il y a chez lui, il est vrai, une politesse onctueuse, une réserve pudique, un côté bien peigné. Ses amis décrivent tous un homme de raison, un « visage » perdu dans la politique, qui emporte à la plage sa pile de livres et de dossiers. « Il a son rituel : il les pose à droite de sa serviette, les note patiemment, puis pose celles qu’il a finies à sa gauche. Et quand il a tout fini, il va se baigner », dit l’un. On sait moins de son audace, de ses passions voraces, de sa flamme intérieure.

Ce sont ses jardins secrets qui parlent le mieux de lui. On savait que Philippe de Villiers avait repéré ce jeune cavalier pour le grand spectacle du Puy du Fou. Moins que Bruno Retailleau qui avait atterri plusieurs fois à l’hôpital pour cascades. Jeune homme, il fait du théâtre et monte sa propre école de musique, avant de se lancer à corps perdu dans l’aventure du Puy-du-Fou en tant que réalisateur, abandonnant son projet d’aller à l’ENA, au grand désespoir de ses parents. Là, il s’intéresse à la pyrotechnie, aux sonorisations, aux éclairages laser… et tourne même des clips. Dont un avec Didier Barbelivien, filmé sur l’étang du Puy du Fou derrière un superbe piano à queue blanc posé directement dans l’eau. Le piano de Bruno Retailleau : l’instrument trône désormais au milieu du salon de la ferme familiale de Saint-Malô-du-Bois, dans le Bocage Vendéen, avec une partition de Beethoven ouverte sur le pupitre. « Ce piano est un reproche quotidien », souffle l’élu ligérien, frustré de ne pas pouvoir jouer davantage faute de temps.


Reprendre. Au campus de rentrée des Jeunes Républicains à Angers, le 3 septembre, au lendemain de l’annonce de sa candidature à la présidence du parti.

Sa croisade

La culture a été, d’aussi loin qu’il se souvienne, le moteur de son ambition politique. Rien ne l’y prédestinait. Fils d’un négociant en grains, élevé dans une famille modeste, il se voyait devenir préfet. Pour paraphraser le titre d’un livre d’Édouard Philippe, Retailleau est « un homme qui lit ». Son bureau, une ancienne porcherie aux murs noirs de suie qu’il a rénovée à la fin des années 1980 avec son père, est rempli de livres. Insomniaque, il lui arrive de mettre son réveil la nuit pour lire dans son antre. « Pour moi, les livres sont un objet sensuel. Je les annote, je les souligne. Les livres, la culture, c’est un pas de côté. »Il avoue. Il débite avec bonheur des citations, à la manière un peu mécanique des gens studieux. André Malraux : « La culture est ce qui répond à l’homme lorsqu’il se demande ce qu’il fait sur terre. » Mona Ozouf : « La France est une patrie littéraire. » Marc Fumaroli, surtout, qui résonne en lui : « La littérature est la jurisprudence de la vie humaine. » Il a lu tous les livres de Simone Weil et François Cheng, cite Giono, Bernanos, Péguy ou Houellebecq, précisant qu’il lit parfois des auteurs classés à gauche. Il dévore aussi les essais de Berénice Levet, Marcel Gauchet, Régis Debray, Christophe Guilluy. Il se targue d’avoir été l’un des premiers à découvrir l’essayiste conservateur Mathieu Bock-Côté, avec qui il partage parfois une table avec Alain Finkielkraut. « C’est l’un des rares hommes politiques français intellectuellement construits. Ce qui est frappant quand on déjeune ou dîne avec lui, c’est que sa première question ne porte pas sur la situation politique mais sur ce que vous lisez, explique le sociologue canadien, qui souligne qu’il ne s’agit pas d’un soutien. Notre grande obsession est de comprendre l’époque dans laquelle nous vivons. La première fois que je l’ai rencontré, c’était lors d’une conférence organisée à l’abbaye de Fontevraud en pleine élection présidentielle de 2017. L’enjeu pour un politique devrait être de penser aux élections. Mais pendant deux jours, la vie s’est arrêtée. « Il parle à l’âme des militants, quand d’autres parlent à leurs tripes », raconte-t-il. dit l’un de ses partisans.

Car la culture est, pour Bruno Retailleau, une manière de combattre, une croisade. Sous ses dehors de prélat, il cache une réelle radicalité idéologique. Homme aux convictions profondes, à l’échine très raide, il se rêve d’une droite téméraire porteuse d’un projet de « rupture », de « civilisation ». Dans sa campagne pour s’emparer des rênes des Républicains, ce proche de François Fillon, qu’il a soutenu jusqu’au bout lors de la bataille présidentielle de 2017, s’est entouré d’hommes aux positions conservatrices assumées, aux mots forts, classés à droite du parti, du député européen François-Xavier Bellamy à l’ancien député Julien Aubert.

« La droite a commis une double erreur : elle est tombée dans le pragmatisme managérial et elle a laissé le champ culturel, qui est une transmission, à la gauche, ce qui en a fait une transgression. Elle lui a donné l’hégémonie sur les idées, regrette le patron des sénateurs LR. Je sais que notre famille politique est en quête d’un leader, mais une partie de nos échecs vient du peu de goût que nous avons pour le débat d’idées. Nous avons ouvert une brèche, un vide, et dans ce néant nous avons laissé se déployer des idéologies : l’islamisme, les idéologies de la déconstruction, la culture de l’annulationLa droite doit occuper le champ culturel. Il n’a jamais cédé aux sirènes d’Emmanuel Macron, qui à ses yeux porte « une responsabilité particulière pour avoir parlé de « déconstruire » l’Histoire et pour avoir dit qu’il n’y avait « pas de culture française ».


Rural. S’il aime la nourriture spirituelle, Bruno Retailleau est avant tout un « terrien » du Bocage Vendéen : « Mon équilibre est là. Je ne peux pas vivre sans animaux. »

Une « machine de guerre »

Cofondateur du mouvement Sens commun, passé par LR avant de rejoindre Éric Zemmour lors de la dernière présidentielle, Sébastien Pilard a côtoyé Bruno Retailleau en 2013 lors des marches contre le mariage gay, dont le sénateur était un fervent partisan, dénonçant Taubira dans la réforme « Un cheval de Troie de PMA et de GPA ». « Bruno est profondément à droite, de par son histoire, sa formation intellectuelle, ses rencontres. Je ne l’ai jamais vu revenir sur ce qu’il pense. Il ne supporte pas l’opportunisme politique, loue l’ancien LR qui a été déplacé à Reconquête. Il lui aurait été bien plus facile de jouer sur l’ambiguïté macroniste, puisqu’il est à l’Ouest et président de groupe au Sénat. La Vendée est une terre centriste, où de nombreux maires sont dans l’ambiguïté. Mais il n’a jamais hésité, alors que Macron a remporté 100% des députés de son département en 2017. Toujours en contact avec Retailleau, qui l’avait inscrit sur sa liste pour les élections régionales de 2015 dans les Pays de la Loire, Sébastien Pilard prévient ses adversaires : « C’est un énorme travailleur, une machine de guerre. »

Les fidèles de Nicolas Sarkozy accusent de leur côté Retailleau de n’être qu’un lointain cousin, une pièce détachée qui a rejoint l’UMP fin 2012. Ils ne supportent pas qu’il veuille excommunier le « patron » pour avoir dit que l’ancien chef de l’État était libre de quitter les Républicains. Il se garde cependant d’ouvrir un front avec Laurent Wauquiez, qu’il respecte mais qu’il peine à comprendre. Retailleau n’a en effet jamais été un militant historique du RPR. Il a été aux côtés de Philippe de Villiers jusqu’en 2010, date de leur rupture brutale qui lui a valu, en 2011, la démission de son président. Libérerle surnom de “Borgia du bocage”. Le sénateur LR rétorque qu’il sait où se trouve son centre de gravité, où sont ses valeurs, dans ce petit bout de Vendée où il se sent “enraciné”.

Ici il a ses poules, son cheval, ses moutons, son âne, son chien, des panneaux photovoltaïques. « Mon équilibre est là. Je ne peux pas vivre sans animaux, je suis une personne rurale. C’est un rapport au lieu, un rapport au temps, un enracinement. On sait ici que, pour récolter, il faut avoir semé d’abord », confie-t-il, avouant cultiver peu d’amitiés parisiennes.

Doctrinaire, le chef de file des sénateurs LR ? L’un de ses secrets les mieux gardés est une galerie d’art nichée au cœur du quartier du Marais à Paris, à deux pas du Centre Georges-Pompidou et du musée Picasso. Esprit curieux, plus ouvert que ne l’imaginent ses rivaux, il s’y invite régulièrement pour admirer des œuvres de René Laubiès ou de l’artiste coréen Hong InSook, dont il possède plusieurs tableaux chez lui, en “petit collectionneur” d’art moderne. Des tableaux intenses, qui remuent et invitent à la méditation. « Il a un jardin secret. La culture et la contemplation sont très importantes pour lui. L’art le ramène à l’essentiel », assure Alain Margaron, qui a ouvert cette galerie en 1993 et ​​l’a rencontré dans les années 2000.

« On ne peut pas être sectaire et aimer l’art. C’est un questionnement, un doute. Un homme politique qui n’a pas de dimension culturelle ne dure pas », a-t-il ajouté. continue-t-il en réponse à ceux qui voudraient enfermer celui qui est devenu son ami dans une posture dogmatique. Ces jours-ci, alors qu’il préparait un vernissage, Alain Margaron transmettait un message à Bruno Retailleau, parti faire campagne sur les routes de France : « S’il veut gagner, il doit venir voir l’exposition. » Le candidat républicain à la présidence lui a donné cette réponse : « Mais j’ai l’intention d’y aller ! Après la victoire. »


ÉLODIE GREGOIRE POUR « LE POINT » (x3)

Anna

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