Les résultats de l’élection présidentielle réfutés par les trois candidats, dont Tebboune

DDevant un écran, le directeur de campagne du candidat Youcef Aouchiche, du parti du Front des forces socialistes (FFS), montre à la presse une infographie aux chiffres éloquents. « A Alger, les procès-verbaux de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) nous donnent 18 873 électeurs. Mais, dans les résultats que son président a présentés (dimanche, soir de la présidentielle), nous n’en avons que 4 046 ! »

Lors d’une conférence de presse, lundi 9 septembre, au siège du parti sur les hauteurs d’Alger, le candidat Youcef Aouchiche a affirmé que “ces fraudes mettent le pays en danger” et a appelé à l’ouverture d’une enquête. “Nous savions que toutes les conditions n’étaient pas réunies pour une élection libre et honnête, mais nous ne nous attendions pas à atteindre ce niveau”, a-t-il déclaré.

À LIRE AUSSI Présidentielle algérienne : confusion autour de la participationLe FFS estime avoir recueilli un peu plus de 300.000 voix alors que le résultat annoncé dimanche par l’Anie est de 122.146 voix. Dans la matinée, c’était au tour du deuxième candidat de l’opposition, Abdelali Hassani Cherif, le représentant du Mouvement pour une société de paix (MSP, islamiste) de fustiger l’Anie, l’accusant de “fraude” et de “tricherie”.

Les deux candidats déposeront mardi leurs recours à la Cour constitutionnelle. Le MSP revendique environ 500 000 voix selon le décompte des procès-verbaux de dépouillement, alors que selon les chiffres « officiels » de l’Anie, il ne dépasse pas 178 797 voix. Ces deux conférences de presse interviennent au lendemain d’un événement inédit. Car, fait nouveau, même Abdelmadjid Tebboune, le président sortants’est aligné sur les dénonciations de ses deux adversaires.

Un communiqué de presse inédit

Réunis au siège du FFS dans la nuit de dimanche à lundi, les directeurs de campagne des trois candidats, Abdelmadjid Tebboune, Youcef Aouchiche et Abdelali Hassani Cherif, ont cosigné peu avant minuit un communiqué attaquant lourdement l’Anie : « Nous, soussignés, directeurs de campagne des trois candidats (…), informons l’opinion publique nationale que des imprécisions, des contradictions, des ambiguïtés et des incohérences ont été constatées dans les chiffres lors de la proclamation des résultats provisoires de l’élection présidentielle par le président de l’Autorité nationale indépendante des élections. »

Le texte cite notamment « des imprécisions et des contradictions dans les chiffres des taux de participation annoncés et des contradictions entre les chiffres annoncés par le président de l’Autorité et les procès-verbaux de dépouillement et de concentration des votes transmis par les commissions électorales communales et de wilaya ».

À LIRE AUSSI Algérie : le deuxième quinquennat de « Tonton Tebboune » La direction de campagne a également relevé « l’ambiguïté du communiqué annonçant les résultats provisoires de l’élection présidentielle, qui n’a pas repris la plupart des données essentielles des communiqués annonçant les résultats, comme il est d’usage dans toutes les élections nationales importantes », faisant état également « d’une incohérence dans les taux annoncés pour chaque candidat ».

Si cet organisme ne dispose pas de tous les procès-verbaux, d’où tire-t-il les résultats ?Abdelali Hassani Chérif, président du MSP

Le président de l’Anie, Mohamed Chorfi, avait, en annonçant les résultats du vote dimanche à 17 heures, omis de donner les taux de participation, élément clé du scrutin, se contentant de laisser l’opinion sur sa précédente annonce évoquant un “taux de participation moyen” de 48,03%, un paramètre jamais utilisé dans de telles circonstances, et qui fausse l’évaluation exacte de la participation, qui, selon les calculs, se situerait entre 20 et 23%.

A 2 heures du matin, l’Anie a publié un communiqué laconique indiquant qu’elle continuait de recevoir les “originaux des procès-verbaux du dépouillement des votes, qu’elle transmettra à la Cour constitutionnelle dès réception” et qu’elle “tiendra le public informé des résultats du contenu de ces procès-verbaux conformément au principe de transparence et pour sauvegarder la crédibilité de l’opération électorale qui s’est déroulée dans les meilleures conditions”. “L’Anie s’incrimine donc elle-même”, a réagi le président du MSP, Abdelali Hassani Cherif. Si cette instance ne dispose pas de tous les procès-verbaux, alors d’où a-t-elle obtenu les résultats de (dimanche) ?”

Excès de fidélité ou coup bas

Sur sa page Facebook, le président du Syndicat national des magistrats (SNM), Laidi Aoudeche, résume sa position : « Opacité, contradiction, ambiguïté, dysfonctionnement. Même si cela n’entame pas la victoire finale méritée, cela nous rappelle cependant les pratiques malheureuses d’avant 2019. »

« Le fait que le président lui-même conteste ces résultats et s’allie à d’autres candidats pour discréditer l’élection est sans précédent », souligne un journaliste politique. « Il n’est peut-être pas satisfait de son score, qui va lui donner une mauvaise image, ni de la faible participation dont Anie n’a pas assumé la responsabilité. Peut-être s’agit-il d’un excès de zèle, d’un excès de fidélité, qui s’est retourné contre ceux qui ont planifié ces résultats », poursuit la même source. Le score de 94,65% annoncé pour Abdelmadjid Tebboune est un recordle score le plus élevé de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika était de 90,24 % en 2009.

À LIRE AUSSI Présidentielle algérienne : confusion autour de la participation « Ou peut-être que le président est mécontent de n’avoir fait qu’une légère progression dans ses votes – ils n’ont augmenté que de 357 740 « Par rapport à 2019 », spécule le journaliste. « Quelle est la portée politique de cet événement ? Le président a rejeté un calice empoisonné qui lui était proposé, ce qui l’isole encore plus et réduit sa marge de manœuvre au sein du gouvernement », estime Athmane Lahiani, également journaliste politique.

Le peuple est mûr et veut un véritable changement. La décision est désormais entre les mains du président et des cercles décisionnaires.Smail Tellai

“Le candidat vainqueur a estimé qu’il était important de prouver l’innocence du gouvernement face à toute ingérence dans le processus électoral et aux soupçons de gonflement de la participation”, analyse l’éditorialiste Nadjib Belhimer.

Cette déclaration commune constituerait, à ses yeux, « une preuve supplémentaire que la coopération entre les trois est étroite et peut être une indication d’un projet convenu pour évoluer vers un gouvernement politique dans la prochaine étape à laquelle les partis participeront, et cela pourrait avoir lieu après des élections législatives anticipées ».

« Vingt millions d’Algériens n’ont pas voté »

Un responsable de l’opposition nuance cependant : « Le MSP et le FFS parlent de laboratoires, de « partis » au pouvoir qui ont mené une sorte de complot contre Tebboune et cette présidentielle, mais cela n’empêche pas d’analyser le vrai problème : le pouvoir n’a plus les outils politiques et électoraux pour « travailler » la société ; c’est lui qui encourage les excès de zèle de ses administrations et de ses élus ; c’est lui qui a vidé le vivier politique et veut y organiser une course de nage. »

« Vingt millions d’Algériens n’ont pas voté, conclut le journaliste Smaïl Tellaï. Le message est arrivé. Le peuple est mûr et veut un vrai changement. La décision est désormais entre les mains du président et des cercles décisionnaires. »