l’intolérance à l’ambiguïté, une pathologie moderne

Livre. Vers un monde univoque a traversé le Rhin auréolé du prix Tractatus reçu dès sa publication, en 2018. Et avec le crédit de son savant auteur, Thomas Bauer, autrefois auréolé du prestigieux prix Leibniz. Cet essai de plus d’une centaine de pages est pourtant loin du domaine de spécialité de ce professeur d’études arabes et islamiques à l’université de Münster. Tant sur le fond que sur la forme.

Thomas Bauer opte pour un geste critique léger plutôt que pour l’exhaustivité d’un essai très documenté. Un tel format implique une certaine superficialité, ce que reconnaît l’auteur en invitant son lecteur à « transposer ces réflexions à d’autres domaines »mais il s’avère adapté à son objet difficile à saisir.

Car c’est un esprit du temps, une tendance subreptice de notre modernité que Thomas Bauer entend cibler. « Ma thèse est que notre époque est une époque de faible tolérance à l’ambiguïté »et que cette évolution conduit “pour rendre le monde de plus en plus univoque”. Derrière la célébration de la diversité mondialisée, un assèchement serait à l’œuvre, caractérisé par « Moins de sens, d’ambiguïté et de diversité dans tous les domaines de l’existence ».

Thomas Bauer se concentre sur trois d’entre eux – les arts, la politique et la religion – ce qui l’amène à développer une seconde hypothèse : ce règne de l’univoque produirait deux phénomènes à la fois opposés et partageant une racine commune, le fondamentalisme. et l’indifférence.

Obsession de la pureté

La religion se présente comme une application évidente de ce principe. « disposition moderne à la destruction de la diversité ». L’indifférence à l’égard de la foi est devenue majoritaire dans les sociétés occidentales. Quant au fondamentalisme, Thomas Bauer le décèle dans tous les monothéismes, des chrétiens évangéliques aux islamistes fantasmant sur un retour à l’âge d’or. L’auteur l’affine en détectant trois mouvements propres à ce fondamentalisme : l’obsession de la vérité, l’aspiration à la pureté et la négation de l’histoire. Lesquelles, en politique, se retrouvent dans les versions laïcisées que sont les idéologies totalitaires, et actuellement dans l’obsession identitaire qui reconfigure le paysage européen.

Cet identitarisme rejoint un autre trait contemporain : la quête d’authenticité, vecteur d’affirmation de soi érigé en « idéal suprême ». Mais « seul le monde coloré de la consommation nous offre encore une vitrine de diversité », déplore Thomas Bauer, dont l’agilité réflexive séduit, tout en devenant parfois sa faiblesse. S’il convainc sur certains aspects, son pointillisme lui fait perdre en finesse sur la culture, traitée à travers l’art et la musique contemporaines, ou sur le transhumanisme analysé comme l’aboutissement de « utopies du fondamentalisme ». C’est peut-être la limite de ces coups d’épée.

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