L’UE abandonne le traité sur la Charte de l’énergie, jugé trop protecteur pour les investisseurs dans les énergies fossiles

Chaque samedi, nous décryptons les enjeux climatiques avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme et membre du GIEC.

Publié


Temps de lecture : 5 minutes

Les députés ont approuvé mercredi 24 avril le retrait coordonné de l’Union européenne (UE) du traité sur la Charte de l’énergie. C’est’un vaste accord international de commerce et d’investissement, signé en 1994, qui vise à apporter des garanties aux investisseurs d’Europe de l’Est et de l’ex-URSS. L’objectif était de sécuriser l’approvisionnement énergétique de l’Europe en protégeant les investissements de ses entreprises dans les anciens pays soviétiques.

“Le problème c’est qu’aujourd’hui, ce Traité sur la Charte de l’Energie est le traité le plus utilisé par les investisseurs du secteur des énergies fossiles pour contester devant les tribunaux d’arbitrage internationaux les mesures des Etats en faveur des énergies renouvelables et de la transition énergétique”explique François Gemenne.

franceinfo : Y a-t-il beaucoup de procès ?

Beaucoup. Nous parlons beaucoup des poursuites intentées par des citoyens contre leurs gouvernements pour inaction climatique – nous avons par exemple évoqué l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme contre la Suisse. Mais on ne parle guère des poursuites intentées par les investisseurs dans les énergies fossiles. Il y en a plus d’une centaine en cours, dans lesquelles les investisseurs réclament des milliards d’euros de compensation aux Etats. Les investisseurs dans les énergies fossiles réclament des compensations aux États qui décident de se passer progressivement du charbon, du pétrole ou encore du gaz naturel, pour respecter leurs engagements climatiques.

“L’Italie a par exemple été condamnée en 2022 à verser une indemnisation de 200 millions d’euros à une entreprise à laquelle elle avait refusé un permis de forage pétrolier offshore.”

François Gémenne

sur franceinfo

Alors que l’Italie a quitté le traité en 2016. Si l’Italie a été condamnée, c’est parce qu’il y a une clause de survie dans le traité, qui protège les investissements pendant encore 20 ans après la sortie du traité. un pays signataire. Ainsi, même si l’Union européenne se retire maintenant, les investissements fossiles resteront protégés pendant encore 20 ans.

Cela semble complètement surréaliste, dans le contexte d’urgence climatique. D’autant que les décisions de justice sont parfois contradictoires. Par exemple, en 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a condamné les Pays-Bas pour leur inaction climatique et a exigé du gouvernement qu’il prenne des mesures plus ambitieuses. Le gouvernement a donc accéléré son plan de sortie du charbon. Mais ce faisant, il se fait désormais attaquer par le géant allemand de l’énergie RWE, qui lui réclame 1,4 milliard d’euros s’il maintient la fermeture de la centrale au charbon d’Eemshaven, exploitée par RWE depuis 2015. Nous marchons sur la tête .

L’Union européenne veut donc s’en sortir.

Oui, d’autant que plusieurs États européens ont déjà décidé d’en sortir fin 2022. Et force est de constater que si l’on veut sortir des énergies fossiles et atteindre les objectifs du Green Deal, du pacte vert, de ce Traité sur la Charte des L’énergie rendait les choses très difficiles, ou du moins très coûteuses. Pour l’instant, les compensations accordées aux investisseurs s’élèvent à environ 60 milliards d’euros – autant d’argent qui ne sera pas consacré à la transition énergétique.

Ce vote du Parlement européen est-il une avancée pour le climat et l’environnement ?

C’est indéniablement un grand pas en avant, mais la décision était dans les tuyaux depuis un certain temps. La Commission l’avait déjà proposé en juillet 2023, le Conseil européen avait validé l’idée début mars 2024, il ne restait plus au Parlement qu’à l’approuver, c’est fait. Même s’il y aura encore une validation finale par les gouvernements, et même s’il existe une clause qui permettrait aux pays qui le souhaitent de rester membres du traité, en cours de modernisation.

“Le gros problème, c’est cette clause de survie : le traité continuera de s’appliquer pendant encore 20 ans.”

François Gémenne

sur franceinfo

C’est là que l’Union européenne pourrait s’impliquer davantage et soutenir le projet d’un autre traité. Un traité sur la non-prolifération des énergies fossiles. De la même manière qu’un traité sur la non-prolifération des armes nucléaires a été conçu, ce traité serait contraignant et empêcherait le développement de nouveaux projets de combustibles fossiles, et serait complémentaire à l’Accord de Paris. C’est Vanuatu, petit État du Pacifique Sud, qui a été le premier gouvernement à soutenir ce traité, en 2022. Mais depuis, il accumule les soutiens, notamment depuis que la Colombie s’est déclarée favorable lors de la COP28, alors même que la Colombie est un producteur de combustibles fossiles.

Et en Europe, cela pourrait contribuer à contrecarrer les effets de ce traité sur la Charte de l’énergie. Et le Parlement européen a également voté l’année dernière une résolution en faveur de ce traité. Et Emmanuel Macron, interpellé par un militant dans les couloirs de la COP28 en novembre 2023, s’est même dit prêt à le signer d’emblée. Mais de la coupe aux lèvres, vous savez que parfois le chemin est long.

Elise

À chaque coup de stylo, créez des histoires captivantes. Découvrez des vérités cachées à la fois. 📝 🔍

Recent Posts

Critiqué pour son prix d’abonnement, DAZN prolonge sa promotion d’une semaine (DAZN à AFP)

Avec de "très bons retours", la plateforme de streaming britannique DAZN prolonge jusqu'à fin septembre sa promotion sur le prix…

1 minute ago

Eric Ciotti annonce son départ du Parti républicain et sa présidence

Dans un entretien accordé au « Figaro » dimanche, il assure ne pas rompre avec son « histoire personnelle »,…

3 minutes ago

Bientôt des substances hallucinogènes pour traiter les maladies psychiatriques ?

" Tuune tempête pour le cerveau. Le Dr Hugo Bottemanne, psychiatre à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et chercheur à l'Institut…

5 minutes ago

Le gouvernement Barnier fait ses premiers pas

La « Manif pour tous » au gouvernement ? Michel Barnier sommé de « clarifier » son projet de société…

7 minutes ago

Malgré les idées reçues, les Français veulent toujours faire carrière

ENQUÊTE - Selon l'étude Ipsos Global Trends publiée ce lundi, de plus en plus de Français souhaitent « atteindre une…

8 minutes ago

À Liverpool, le parti travailliste promet de redresser le pays malgré les défis

Au Royaume-Uni, le Parti travailliste achève son congrès annuel à Liverpool. Deux mois et demi après une élection historique, Keir…

12 minutes ago