Ils sont nés en Nouvelle-Calédonie ou y vivent depuis plus de dix ans. Pour ceux qui se nomment, ou s’entendent appeler, les « métros » et les « zor » (zears), l’explosion de violence des jeunes Kanaks le 13 mai à Nouméa représente un énorme choc. Autour d’eux, nombreux sont ceux qui songent déjà à quitter le ” pays “, plongé dans le chaos depuis que la réforme du corps électoral pour les élections locales a mobilisé les indépendantistes.
Après une semaine de crise qu’ils attribuent à l’incompétence des dirigeants politiques de tous bords, plusieurs de ces personnes témoignent. Joints par téléphone samedi 18 et dimanche 19 mai, ils ont demandé à s’exprimer anonymement, par crainte de représailles.
Emma, 42 ans, travaille à l’hôpital comme psychologue et vit à Nouméa depuis plus de dix ans. Les médecins ou soignants exerçant des professions « essentielles » doivent reprendre leur service depuis mardi 14 mai par navettes maritimes (aujourd’hui à l’arrêt) ou par hélicoptère, un médecin devant même se cacher dans une ambulance pour passer les barrages. Emma a dû rester à la maison, coincée.
“Le racisme des Calédoniens, la haine, existe”
« Nous sommes dans la peur, dans l’étonnement. On a eu l’impression d’une vague de violence de la part des jeunes Kanak, même au détriment de leurs aînés, depuis que les centres de dialyse ont été attaqués et que certains ne peuvent plus manger dans plusieurs quartiers. Nous n’étions pas préparés à cela. »elle explique. « Nous travaillons avec la population mélanésienne, des patients en situation précaire, et nous avons de nombreux confrères kanak. Nous avions l’impression de vivre ensemble, que ça ne marchait pas si mal, tout en restant lucides sur le caractère parfois inconciliable des deux cultures. »
En fait, mes collègues avaient prévenu que “ça allait exploser” le 13 mai. «Nous savions que quelque chose se passait. La veille, des patients étaient venus dans les services avec des drapeaux kanak. Après des semaines de sit-in et de manifestations hyper-pacifiques, nous sommes passés du jour au lendemain du paradis à l’enfer. »
Emma n’est cependant pas surprise. « Le racisme des Calédoniens, la haine, existe. Ils explosent là, sur les barrages. Le Caldoche de base a sorti ses armes et est prêt à tirer. Les Kanaks du CCAT (unité de coordination des actions sur le terrain) étaient nourris de haine envers le colonisateur. Et on se dit : trente ans de paix pour ça ! »
“J’attends la fin du cauchemar”
Catherine, 50 ans, enseignante, est calédonienne depuis plus de vingt ans. “On a pris une bombe au visage et, après une semaine de violences, on est épuisés psychologiquement”témoigne ce professeur bouleversé. « Dans mon quartier, des incendies se sont déclarés, des grenades ont été dispersées, les pompiers sont intervenus sans cesse. J’ai l’impression que certains veulent faire tomber le pays. Je ne ressens plus l’idéologie mais seulement la bêtise dans ce qu’elle a de plus horrible, et comme tout le monde, j’attends la fin du cauchemar. » Selon ce Calédonien, le territoire se voit projeté quarante ans en arrière, et la voix de ceux, de tous bords, qui ont fait évoluer positivement la Nouvelle-Calédonie, est “étouffé”.
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