Chaque jour, une personnalité s’invite dans l’univers d’Élodie Suigo. Mardi 30 avril 2024 : le membre fondateur du groupe de rock Taxi-Girl, auteur et compositeur, Mirwais. Il vient de publier le premier volet d’une autobiographie, « Taxi-Girl 1978-1981 » aux Éditions Séguier.
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Mirwais est la membre fondatrice du groupe Taxi-Girl, né à la fin des années 1970. Il est également un artiste, un compositeur et un musicien qui a su proposer de nouvelles sonorités, notamment celles de la musique électronique. On pense aussi à son rôle de producteur d’albums devenus légendaires et cultes comme Musique (2000) et La vie américaine (2003) qui relance la carrière de Madonna.
Aujourd’hui, il nous propose une synthèse de lui-même et de ce qui le définit avec un ouvrage intitulé Taxi-Fille 1978-1981 (chez Séguier) ou les coulisses des quatre premières années de ce groupe considéré comme un objet artistique par de nombreux artistes majeurs.
franceinfo : Comme le montre la photo de couverture, Laurent Sinclair, Daniel Darc, Stéphane Erard, Pierre Wolfsohn et Mirwais étaient arrogants, fiers, indomptables. Vous écrivez dans votre préambule : «Nous avions tout pour nous et pourtant nous avons tout manqué“. Que veux-tu dire ?
Mirwais : Il nous manquait l’envie de réussir. Si vous vous lancez dans ce type de métier et que vous n’avez pas l’envie de réussir, tout nous manque, c’est tout en fait.
C’est surprenant parce que vous parlez des quatre premières années. Ceux qui restent le plus en mémoire avec la création du groupe et le chaos qui a suivi la mort de Pierre Wolfsohn, votre batteur qui a succombé à une overdose d’héroïne au moment de votre tube Cherchez le garçon. Ce livre est le premier volet d’une trilogie. Les médicaments étaient indispensables. Elle revient régulièrement dans cette œuvre. Finalement, ce groupe est aussi une photo d’une époque.
Exactement. Et il y a aussi l’aspect social et politique qui le sous-tend. Je parle de la guerre en Afghanistan parce que je suis à moitié afghan du côté de mon père et que j’y ai vécu. Et en fait, à ce moment-là, nous avons changé le monde. Lors de sa sortie, en 1981, Modèle, notre premier single avec Taxi-Girl, il y avait la guerre en Afghanistan. Je suis devenu réfugié politique à l’époque, je ne pouvais pas faire autrement. Puis Reagan est arrivé. Aujourd’hui, beaucoup de gens disent : “Oui, il y a le monde d’avant“le monde numérique. Il y a eu le même type de changement, qui était plus politique. Cette période d’avant Reagan et d’avant-guerre en Afghanistan était très intéressante.
Remettez-vous en contexte tous ces conflits et cette envie que vous aviez, dès l’âge de 12 ans, de fonder un groupe parce que justement vous aviez besoin de sortir de là ?
En fait, mon histoire n’est pas très courante. J’ai vécu en Afghanistan, je suis né en Suisse. Ma mère était italienne. Mon père travaillait pour le gouvernement et il a été affecté à une mission et finalement, nous ne sommes pas retournés en Afghanistan. Tant mieux en tout cas. Mais nous n’étions que quatre dans notre famille directe, il nous a donc fallu trouver une famille. Ce n’était pas suffisant.
“On a eu des problèmes comme toutes les familles. Ce n’est pas non plus l’histoire de Cosette, mais il fallait trouver quelque chose et la guitare est arrivée, puis la musique.”
J’aimerais que nous parlions réellement de Cherchez le garçon. Qu’est-ce que cette chanson signifie pour toi?
C’était un peu la fin du groupe car malheureusement, nous avons remplacé notre bassiste. En réalité, c’est moi qui joue la partie basse sur ce morceau et ça a été une très grosse erreur. Il y avait une hystérisation de la situation. Par exemple, avec les Rolling Stones, Keith Richard jouait parfois de la basse sur des chansons, ce n’était pas une raison pour virer Bill Wyman, mais nous l’avons fait. Les autres n’ont pas supporté Stéphane, le bassiste, qui par ailleurs s’en sort très bien. C’est un astrophysicien et je dis souvent qu’il est le seul parmi nous à réussir.
En tout cas, cette chanson fait partie de vous. C’est essentiel. Vous parlez de paroles queer.
En fait, c’était le premier titre queer depuis, le Seppuku, Daniel, très ambivalent sexuellement et qui a fait son coming-out vers l’âge de 30 ans, a fini par signer Viviane Vog. On peut dire que c’est le premier hit car il y a toujours eu des titres queer, même avant nous, mais ici, c’était en France. C’est de la pop moderne et avec le passage dans les années 80. Nous avons donc inspiré beaucoup de gens.
Ecrire ce livre ne vous permet-il pas enfin de soulager un peu la tristesse que vous avez gardée en vous depuis très longtemps ?
Colère. D’abord une dépression que nous avons retournée contre nous et que nous avons fait ressortir sous forme musicale. Puis, dans la deuxième partie, c’est devenu une pure dépression parce qu’on s’est fait avoir.
“Taxi-Girl était une dépression.”
Alors bien sûr, tout le monde a été trompé une ou deux fois dans sa vie avec l’argent, mais il y avait quelque chose de très intéressant, c’est que nous avons retourné notre colère contre nous-mêmes sous forme de dépression. Au dos de la couverture, il est écrit : “Nous ne nous sommes pas laissés aller“Oui, nous ne nous sommes pas laissés emporter politiquement, socialement ou émotionnellement, mais en termes d’argent… Être dépossédés a été pour nous un processus malsain. Je parle de dépossession.
A travers vos écrits et surtout à travers Taxi-Fille, on se rend compte que vous êtes très rock. Le rock, c’est la vie ?
Oui. Je pense qu’il vieillit bien. Dans chaque nouvelle génération, on retrouve l’esprit du rock et ce, dans toutes les nouvelles tendances.