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Mort de Paul Auster, l’écrivain du hasard et de l’errance qui avait « New York sous la peau »

L’auteur américain, décédé mardi à Brooklyn des suites d’un cancer, laisse derrière lui une œuvre riche de plus d’une trentaine d’ouvrages.

La ville qui ne dort jamais dit au revoir à l’un de ses plus fidèles habitants. Le romancier américain Paul Auster, né le 3 février 1947 à Newark dans le New Jersey, est décédé mardi 30 avril à l’âge de 77 ans. En mars 2023, son épouse, l’écrivaine et essayiste Siri Hustvedt, a annoncé sur le réseaux sociaux qu’on lui avait diagnostiqué un cancer en décembre 2022.

Issu d’une famille juive d’Europe centrale, Paul Auster s’essaye à tous les genres littéraires : roman, nouvelle, essai, théâtre, poésie, mémoires, autobiographie, correspondance. Auteur de plus de trente livres, traduits dans plus de quarante langues, il a fait de New York le théâtre de nombre de ses textes. La perte de la langue, les espaces blancs, la solitude et surtout les hasards de l’existence sont autant de thèmes qui traversent l’œuvre poétique de ce grand conteur de L’Amérique, fervent démocrate.

New York, New York

Né à Newark le 3 février 1947, Paul Auster a grandi entouré de sa sœur cadette Janet et de ses parents, entre le New Jersey et New York, où vivaient ses grands-parents. Passionné de baseball, il développe le goût de la lecture grâce à un oncle traducteur, et écrit ses premiers poèmes dès l’adolescence. “A 15 ans, j’ai découvert Crime et Châtiment par Dostoïevski. Ce livre m’a totalement transformé au point que je me suis dit : si écrire un livre peut apporter une telle émotion, alors c’est ce que je veux faire.”se souvient du romancier en 2018, invité du festival littéraire Le Goût des Autres, au Havre (Seine-Maritime). La vocation est là, mais il faut encore quelques années à la jeune plume pour se lancer pleinement dans l’écriture.

En 1965, Paul Auster quitte le New Jersey pour étudier les littératures anglaise, française et italienne à New York, dans la prestigieuse université de Columbia. Une ville qu’il ne quittera (presque) jamais. “Mes grands-parents vivaient ici, ma mère a grandi ici donc je venais tout le temps quand j’étais enfant, et ensuite je voulais vraiment aller à l’université à New York.dit l’écrivain dans «La Grande Librairie” en 2016. Densité, immensité, complexité. C’était l’attrait de New York. Quand on a cette ville sous la peau, le reste de l’Amérique a l’air perdu. »

Durant ses études, Paul Auster voyage pour la première fois en Europe et échappe à la guerre du Vietnam. A Paris, il se lie d’amitié avec le futur réalisateur allemand Wim Wenders (Ailes du désir, 1987). Le jeune homme rêve d’être cinéaste mais, trop timide, il décide de ne pas passer le concours d’entrée à l’IDHEC, l’ancêtre de la Fémis d’aujourd’hui, et rentre bredouille en Amérique. Il tente également de produire des films muets, sans succès. De cette expérience malheureuse, il tirera, des années plus tard, l’éloquent Livre des illusions (2003).

« L’invention de la solitude »

De retour à New York, Paul Auster écrit des articles pour des magazines et commence les premières versions de ses romans sans les terminer. Le voyage d’Anna Blum (1989) et Palais de la Lune (1990). Entre 1971 et 1974, il revient à Paris où il vit grâce à ses traductions de Sartre, Maurice Blanchot, Stéphane Mallarmé, Guillaume Apollinaire, André du Bouchet et le funambule Philippe Petit. Parallèlement, le romancier rencontre et épouse Lydia Davis, nouvelliste et aspirante universitaire. De leur union est né un fils, Daniel, photographe.

Tout change en 1979. Cette année-là, des difficultés économiques croissantes conduisent les époux au divorce. Quelques mois plus tard, le père de l’écrivain décède subitement, en pleine forme, même pas vieux, sans aucun antécédent médical”. Samuel Auster n’avait que 66 ans. Les deux hommes se voyaient très peu. Cet événement, fondateur pour le romancier, déclenche l’écriture de son premier roman : L’invention de la solitude (1982). À partir des objets que Samuel a laissés derrière lui, Paul dresse le portrait d’un père invisible et interroge sa relation avec son père et son propre fils, Daniel.

“Paul Auster est devenu écrivain parce que son père, à sa mort, lui a laissé un petit héritage qui l’a sauvé de la pauvreté. La mort du père n’a pas seulement libéré l’écriture, elle a littéralement sauvé la vie du fils. Celui-ci n’aura jamais fini de payer son dette et rembourser en bonne prose le don terrifiant du défunt.constate le philosophe Pascal Bruckner lors de la sortie du livre en France. L’invention de la solitude a propulsé définitivement le garçon timide de Newark sur la scène littéraire américaine. Il a 30 ans et peut enfin se consacrer pleinement à l’écriture.

Siri Hustvedt, partenaire intellectuelle d’une vie

Les années 1980 ont été prolifiques :L’art de la faim en 1982, a réussi Espaces blancs en 1985, Effigies Et Peintures murales en 1987, Fragments de froid Et Dans le tournoi en 1988. Mais plus que tout autre roman, c’est le triomphal Trilogie new-yorkaisedivisé en trois livres, La ville du verre, Revenu Et La pièce cachée, ce qui a permis à Paul Auster d’être adoubé par la critique, notamment en France où il était très apprécié des lecteurs. Les protagonistes déambulent dans les rues de la Big Apple, guidés par des symboles dans des quêtes parfois sans issue. Dans la troisième partie, La pièce cachéel’écrivain incarne un personnage nommé «Paul Auster». La personnification littéraire devient la marque de fabrique du romancier : dans Léviathan (1992, Prix Médicis étrangers), le narrateur Peter Aaron partage les mêmes initiales que son créateur.

Les années 1980 voient également sa rencontre avec sa seconde épouse, l’écrivain et essayiste Siri Hustvedt. Ils se sont mariés en 1982. « Ce fut un coup de foudre, au propre comme au figuré.» a déclaré Paul Auster lors d’une rencontre au festival littéraire Le Goût des Autres, au Havre en 2018. Nous nous sommes mariés dans une tempête. Et au moment précis où nous étions officiellement déclarés mari et femme, il y eut un éclair couplé à un violent coup de tonnerre. Cela n’aurait pas pu arriver à un meilleur moment. » Ils ont une fille Sophie, chanteuse. Pendant plus de quarante ans, ils ont vécu dans une maison en pierre brune à Park Slope, Brooklyn. Le bureau de Paul est au rez-de-chaussée, celui de Siri au premier étage.

Dès qu’il eut fini d’écrire ses derniers chapitres sur son Olivetti Lettera 22, datant de la fin des années 1950, “passé 275 dollars par les mains expertes du dernier réparateur de Manhattan, près de Gramercy Park. Et si compact, si léger qu’on peut l’emmener en voyage !” il explique à Monde en 2018, il les lui a soumis pour la première fois.“Vivre avec quelqu’un qui comprend ce que l’on fait est, pour un écrivain, une opportunité extraordinaire. Entre Siri et moi, il y a un dialogue permanent. On s’entraide…”déclare le romancier à L’Obs en 2011. Henry James, George Eliot, Montaigne, George Perec… Les deux écrivains partagent les mêmes goûts, divergeant peu.

Défenseur de la littérature

Le 14 février 1989, l’écrivain britannique Salman Rushdie est la cible d’une fatwa de l’ayatollah Rouhollah Khomeini pour son roman. Les versets sataniques. Contraint de se cacher pendant dix ans pour échapper à ses poursuivants, il reçoit une lettre de Paul Auster. Le New-Yorkais devient l’un de ses plus fervents défenseurs. « J’ai pris cette fatwa comme une insulte personnelle contre les écrivains »» s’est souvenu l’écrivain lors du Salon du livre de Paris en 2015. “J’étais professeur à Princeton et j’ai organisé un grand rassemblement d’écrivains sur le campus pour sensibiliser la communauté et l’université et cela a fait beaucoup de bruit.”il ajouteLa Grande Librairie » en 2016.

Fervent démocrate, Paul Auster s’est toujours opposé à la candidature du milliardaire Donald Trump à l’élection présidentielle américaine, “un poison pour mon pays”. En 2020, lui, Siri Hudsvedt et quelques auteurs ont cofondé l’organisation « Écrivains contre Trump », pour mobiliser leurs concitoyens contre « le régime raciste, destructeur, incompétent, corrompu et fasciste de Donald Trump. »

Dans les années 2010, Paul Auster renoue avec la tradition des grands romans américains qui ont fait son succès, comme l’émouvant Palais de la Lune (1990). Avec la monumentale 4, 3, 2, 1 (2017), sur plus de 1 000 pages, il décrit quatre trajectoires possibles pour son personnage, Ferguson. Trois années d’écriture ont été nécessaires pour réaliser ce chef-d’œuvre. “Des années de réclusion, pas de sorties, pas de voyages. J’ai commencé à l’écrire à 66 ans, l’âge de mon père au moment de sa mort. Vivre plus longtemps que lui me donnait l’impression d’une transgression”analysait Paul Auster lors de sa sortie en France en 2018.

« Tout peut arriver à tout moment »

Les dernières années de l’écrivain sont rythmées par le drame. En avril 2022, son fils Daniel meurt d’une overdose d’héroïne, à seulement 44 ans. Moins d’un an après avoir été inculpé d’homicide involontaire suite à la mort par empoisonnement aigu de sa fille Ruby, âgée de dix mois, “en raison des effets combinés du fentanyl et de l’héroïne”. À la fin de l’hiver 2023, Siri Hustvedt annonce que son mari est atteint d’un cancer. “Mon mari a été diagnostiqué… en décembre après avoir été malade pendant des mois auparavant.” Son dernier livre Baumgartner (2023), un roman qu’il a terminé “en étant malade”a été libéré en mars.

Écrivain d’errance, Paul Auster a marqué la littérature américaine par son don de conteur, poète de l’abandon et de l’exil intérieur. En 2018, jeinterrogé par Le monde Quant à la place du hasard dans son œuvre, Paul Auster racontait qu’en randonnée, sous une très violente tempête, “Le garçon juste en face de moi a été frappé par la foudre. Il est mort sur le coup. J’étais si près de lui…” « Vous comprendrez pourquoi, depuis, l’idée du hasard me hante. À 14 ans, j’ai compris que l’imprévisible était la loi. Que tout peut arriver à tout moment. »

Juliette

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