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nomination d’un Premier ministre, blocage des institutions… La constitutionnaliste Marie-Anne Cohendet a répondu à vos questions

La Ve République traverse une période de crise, après des élections législatives qui ont donné lieu, à l’issue du second tour dimanche, à une Assemblée nationale sans majorité absolue.

“LE « Le fonctionnement de nos institutions est quelque peu déstabilisé. » L’incertitude persiste, deux jours après le second tour des législatives au résultat inédit. Le Nouveau Front populaire (NFP), arrivé en tête des sièges, doit encore s’entendre sur le nom d’un candidat au poste de Premier ministre. Emmanuel Macron a de son côté choisi lundi de refuser la démission du chef du gouvernement, Gabriel Attal, le temps que la situation politique se clarifie.

Le président est-il obligé de nommer un Premier ministre de gauche ? La situation actuelle est-elle prévue par la Constitution de la Ve République ? L’Assemblée nationale peut-elle censurer le gouvernement autant qu’elle le souhaite ? Marie-Anne Cohendet, constitutionnaliste et professeure de droit à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a répondu aux questions des lecteurs de franceinfo dans un chat mardi 9 juillet. Voici ses réponses.

Sur la nomination d’un nouveau Premier ministre

Zouzou_le_pou: Le Président peut-il choisir un Premier ministre issu d’un groupe politique qui n’a pas la majorité à l’Assemblée nationale ? Et si oui, quelles pourraient être les conséquences de ce choix ?

Marie-Anne Cohendet : Il faut d’abord définir le terme de majorité : beaucoup de gens disent qu’il n’y a pas de majorité à l’Assemblée actuellement, ce qui est faux. Il existe trois types de majorités : la majorité simple ou relative, pour le parti ou le groupe qui a obtenu le plus grand nombre de voix ou de sièges, ce qui est actuellement le cas du Nouveau Front populaire ; la majorité absolue, si un parti ou un groupe obtient la moitié des sièges plus un ; et la majorité renforcée, avec 2/3 ou 3/5 des sièges.

Le président peut proposer de gouverner un parti ou un groupe qui n’a pas la majorité s’il a d’abord proposé de gouverner le groupe de partis, ou le parti, qui arrive en tête, comme le veut la tradition républicaine. Si ce parti ou ce groupe de partis n’est pas en mesure de gouverner (parce qu’il refuserait de le faire ou que le gouvernement serait rapidement renversé), le président peut proposer de gouverner un parti ou un groupe ayant une majorité plus faible.

Renarine : CConstitutionnellement parlant, le président peut-il refuser de nommer quelqu’un et maintenir Gabriel Attal dans un poste intérimaire prolongé ?

Démocratiquement, Emmanuel Macron ne pouvait pas garder éternellement Gabriel Attal. Il faut tenir compte du vote. Très concrètement, dès que l’Assemblée sera convoquée, les députés pourront adopter une motion de censure. Si le président voulait à tout prix maintenir le même gouvernement, ou lui confier les affaires courantes, il ne respecterait pas la volonté du peuple, et nous serions donc dans une crise politique.

Selon la Constitution, le Président a un « délai raisonnable » nommer un Premier ministre, Mais ce délai n’est pas précisément défini. Dans d’autres pays, il est généralement de quelques semaines, voire de quelques mois. La situation actuelle, entre les Jeux olympiques et la guerre en Ukraine, est particulière, d’autant que le scrutin n’a pas permis de dégager une majorité absolue claire. Il est important de laisser la majorité s’organiser pour proposer un candidat et un programme clairs, mais attendre six mois ou un an ne serait pas non plus acceptable. Si Gabriel Attal venait à être renversé, Emmanuel Macron pourrait aussi nommer un gouvernement technique.

Walker : Quelle est la valeur légale de la « tradition républicaine » ? Il me paraît surprenant que les grandes règles relatives à la répartition du pouvoir (nomination ou démission du Premier ministre) ne soient pas formulées différemment…

L’article 7 de la Constitution stipule que le Président nomme le Premier ministre, a priori celui qu’il veut, et l’article 49 prévoit la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. En effet, les règles sont très larges, mais c’est intentionnel, pour laisser la place à la politique, en disant que la majorité des députés a le pouvoir de renverser le gouvernement. La loi dit « C’est une question politique »et c’est pourquoi nous n’avons pas besoin de règles plus précises.

Par exemple, en 1877, sous la Troisième République, le bras de fer est très dur entre le président monarchiste de la République et la majorité des députés républicains. Le président Patrice de Mac-Mahon refuse de nommer un gouvernement républicain : pendant trois ans, les gouvernements se succèdent sans interruption, jusqu’à ce que le président soit contraint à la démission.

Hector Pitude : Qui, ou quelle institution, aurait le pouvoir de contraindre le président de la République à accélérer sa décision ? Le Conseil constitutionnel, le Sénat ? Personne ?

Il peut y être contraint, mais ni par le Conseil constitutionnel, ni par le Sénat : par les députés eux-mêmes, en renversant le gouvernement. En cas d’adoption d’une motion de censure, le président est obligé d’accepter la démission du Premier ministre.

Sur le risque d’une nouvelle dissolution

Sandra Yann : Il me semble que l’Assemblée ne peut être dissoute avant un an. Quel serait donc l’effet d’une motion de censure ?

Attention à ne pas confondre la dissolution, lorsque le président met fin prématurément au mandat des députés, et la motion de censure, qui signifie que les députés votent pour renverser le gouvernement. Le principe du système parlementaire dans lequel nous sommes est que le peuple élit ses représentants, les députés, qui se réunissent pour former une majorité. Celle-ci désigne un chef de gouvernement, qui est contrôlé et surveillé par nos représentants.

Si ce gouvernement poursuit une politique qui n’est pas conforme à la volonté du peuple, les députés ont le devoir de le renverser, et il faudra alors en nommer un nouveau. Selon les articles 49 et 50 de la Constitution, si les députés votent une motion de censure, le Premier ministre doit présenter la démission du gouvernement au Président de la République.

Mar1 : Bonjour, en cas de démission du président, le nouveau pourrait-il, une fois élu, dissoudre l’Assemblée immédiatement ?

Non : normalement il n’y en a pas “réinitialiser” du compteur de dissolution en cas de démission du Président de la République et d’élection d’un nouveau chef de l’Etat. L’article 12 est on ne peut plus clair : « Aucune nouvelle dissolution ne pourra être prononcée dans le délai d’un an qui suivra ces élections. » La raison d’être de ce texte est d’éviter l’instabilité parlementaire.

Sur le risque d’un blocage institutionnel

Ginette des Faubourgs : Se pourrait-il que toutes les formules de gouvernance soient épuisées ou impossibles et que nous arrivions donc à un blocage des institutions ?

Il est en effet possible que des gouvernements soient renversés les uns après les autres. (si les partis qui les composent n’ont pas la majorité absolue à l’Assemblée). C’était la situation des Italiens il y a quelques années, avant qu’ils n’optent pour un gouvernement de techniciens. En France, c’est surtout en octobre, au moment du vote du budget, qu’il sera important d’avoir une majorité constituée.

Concernant un « blocage des institutions »Je ne me souviens pas d’avoir déjà vu cette situation. On peut trouver des solutions, trouver un gouvernement technique, et il pourrait y avoir une nouvelle dissolution dans un an.

« La Constitution de la Ve République a été écrite précisément avec l’idée que nous n’aurions jamais de majorité absolue. »

Marie-Anne Cohendet, constitutionnaliste et professeure de droit à l’Université Paris 1

à franceinfo

Lorsque Charles de Gaulle et Michel Debré l’ont rédigé, ils ont mis en place plusieurs mécanismes permettant de gouverner même en l’absence de cette majorité, comme l’article 49.3 qui permet d’adopter une loi sans vote lorsqu’une loi importante doit être adoptée. Si la majorité des députés y est hostile, le gouvernement peut toujours être renversé. Donc pas de panique, notre Constitution est conçue pour cela.

Bibilasouris35: QQue se passera-t-il si le budget n’est pas voté à la rentrée ?

Le budget peut être voté à 49,3 % : il sera donc adopté sauf s’il y a une majorité absolue de députés contre. (qui s’uniraient pour adopter une motion de censure)Pour l’adoption des lois de finances, les articles 47 et 47-1 prévoient des mécanismes qui facilitent l’adoption des budgets. Il ne faut pas oublier que les députés sont responsables devant le peuple. Si les députés mettaient l’État dans une situation de crise grave, le peuple ne les réélirait pas. Tous les votes sont publics, de sorte que les citoyens peuvent contrôler leurs actions.

Sur les voies possibles pour sortir de la crise

Ginette des Faubourgs : Dans le cas d’un gouvernement technique, est-il obligé de passer devant l’Assemblée pour un vote de confiance ?

Il y a une controverse récurrente sur le caractère obligatoire, pour le gouvernement, d’engager sa responsabilité devant les députés sur son programme. Si l’on fait une interprétation stricte de la Constitution, cet engagement est obligatoire. Mais sous la Ve République, très souvent, les gouvernements se sont contentés d’une déclaration de politique générale, et certains n’ont pas du tout engagé leur responsabilité. Mais nous considérons que ce n’est pas dramatique, puisque nous savons que la majorité des députés a toujours la possibilité de renverser le gouvernement.

Lucas : Cette période appelle-t-elle une évolution des institutions ? Dans quelle direction pourraient-elles évoluer ?

Cette période montre effectivement que le fonctionnement de nos institutions est quelque peu déstabilisé. Les experts sont divisés : certains diront que la situation montre que nos institutions sont adaptées et qu’elles fonctionneront malgré tout. D’autres en profitent pour remettre en cause l’État de droit et la Constitution, à l’image du Rassemblement national qui veut réviser la Constitution pour pouvoir contourner le Conseil constitutionnel. D’autres enfin estiment que l’on pourrait tirer les leçons de cette crise pour créer un régime plus démocratique. Certaines réformes peuvent être faites sans révision constitutionnelle, comme par exemple le changement du mode de scrutin pour adopter un scrutin proportionnel.

Yanaé: QQu’est-ce qu’un Assemblée constituante et cela peut-il être une solution pour sortir de l’impasse actuelle ?

Une Assemblée constituante est chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Changer la Constitution peut aider à sortir d’une impasse, mais c’est une grande aventure qu’il convient d’entreprendre avec beaucoup de prudence. C’est pourquoi l’article 89 de notre Constitution prévoit une révision en plusieurs étapes.

La Ve République ne prévoit pas d’Assemblée constituante, mais une révision à l’initiative du législatif ou de l’exécutif, puis une adoption dans les mêmes termes par les deux chambres. Et au final, c’est en principe le peuple qui valide cette révision par référendum, ou, si le président le décide et si l’initiative vient de l’exécutif, la révision peut être adoptée par les deux chambres réunies en Congrès par 3/5 des voix. L’Assemblée constituante existe dans d’autres pays, ou peut être imaginée en cas de révolution, par exemple.

Chris30 : Le Président, qui considère la situation inextricable ou risquée pour le pays, pourrait-il invoquer l’article 16 de la Constitution ?

Article 16 de la Constitution (qui accorde des pouvoirs exceptionnels au président) est en effet assez exceptionnel. Son utilisation semble très peu probable à l’heure actuelle. Il peut être activé « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont gravement et immédiatement menacées ».

Donc, ce sont des circonstances extrêmement graves : si le pays était totalement paralysé, par exemple, il pourrait l’utiliser. Mais pour faire face à l’instabilité gouvernementale, ce serait totalement inapproprié, scandaleux, et il ne le ferait certainement pas. Et si le président commettait une « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat »L’article 68 pourrait être utilisé pour exiger sa révocation. Mais rassurons-nous : cela n’est pas du tout raisonnablement envisageable à l’heure actuelle.

Celine

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