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« Notoughol ou l’épreuve de la virginité », le manifeste féminin de l’écrivain guinéen Lamine Kamara


LLe romancier et essayiste guinéen Lamine Kamara publie en Afrique. Il est présent dans le champ littéraire de son pays et au-delà, en Afrique francophone et en France. Fidèle à la grande maison d’édition indépendante de Conakry L’Harmattan Guinée, qui publie des ouvrages dans le domaine de la fiction, de l’essai, de l’histoire et de la biographie. Dirigée par Mohamed Lamine Camara et Sansy Kaba Diakité, son président, cette maison d’édition organise chaque année les 72 Heures du Livre de Conakry. Les œuvres de Lamine Kamara – dont Les racines du futur, Ethnies, partis politiques et cohésion sociale, L’ex-ministre : de l’autre côté au côté de la politiqueainsi que Mariam Waraba ou le destin d’une femme et son dernier texte de fiction Notoughol ou le test de virginité – y sont représentés.

Ce roman est inspirant à plus d’un titre, car l’histoire vous entraîne dans un tourbillon d’aventures vertigineux. Lamine Kamara est un romancier qui a l’art de créer une atmosphère, une intrigue, une fiction en rapport avec une époque historique coloniale où la culture guinéenne et ses valeurs ancestrales font partie du récit pour dire que l’Afrique n’était pas une « tabula rasa ». ». Dans ce contexte, le narrateur déroule la vie de Housseynatou, la protagoniste si attachante de par sa beauté et son intelligence. Son histoire nous transporte dans la Guinée coloniale, mais l’action pourrait tout aussi bien se dérouler dans la Guinée d’aujourd’hui, et c’est justement toute la pertinence d’un tel roman.

Une romancière préoccupée par le sort des femmes

En effet, la romancière aborde l’épineuse question du sort des femmes guinéennes. Il pointe les horreurs qu’ils subissent à cause du comportement machiste des hommes, mais aussi certaines traditions ancestrales, qu’il remet en cause. L’auteur/narratrice possède des connaissances introspectives pertinentes sur la psychologie des femmes guinéennes. Ainsi, c’est avec plaisir qu’il montre à quel point les petites filles guinéennes sont prises dans les filets de ces traditions ancestrales au point qu’elles sont programmées pour n’être que des épouses et des mères. Une éducation des femmes fidèles au modèle ancestral est à l’œuvre dès la petite enfance, à l’instar de celle pratiquée dans la magnifique région du Fouta-Djallon et dans certaines zones reculées. Ainsi, le futur mari est choisi par le père, et la jeune fille doit lui rendre obéissance.

L’originalité de ce roman réside dans l’attitude du père de Housseynatou (et de sa sœur jumelle Hassanatou) qui contrairement aux autres hommes de la tribu insiste pour que ses filles aillent à l’école française. Les notables du village voient d’un mauvais oeil sa décision, car malgré les réticences, Baaba Mody Oury Diallo se lève en encourageant ses filles jumelles à poursuivre leurs études primaires. Si Hassanatou est sérieuse et studieuse à l’école, sa sœur jumelle Housseynatou est plus artistique et dilettante. Son passe-temps favori est le chant, ce qui perturbe Baaba Mody Oury qui décide de la marier à un notable du village. Ce dernier pourrait être son père, outre le fait que Housseynatou deviendrait sa quatrième épouse. La protagoniste décide de s’enfuir, avec un grand rêve dans son bagage : devenir une chanteuse internationale.

La vie de la famille Diallo est soudain bouleversée et celle de Housseynatou se retrouve au cœur de l’histoire, en quête d’un idéal dont l’objectif est d’être la voix la plus célèbre du monde. A travers les différentes aventures, l’auteur dénonce le comportement des hommes envers la sublime Housseynatou qui subit harcèlement, humiliation et trahison au cours de son périple.

Un regard cru sur des pratiques d’un autre temps

Avant d’être un roman d’aventures, Notoughol ou le test de virginité lève le voile sur la pratique ancestrale du « notoughol » qui continue d’être pratiquée, puisque des petites filles de certaines régions de Guinée, d’Afrique de l’Ouest et de l’Est en sont victimes. « Notoughol », dans la langue « Poular », va au-delà de l’excision que dénoncent de nombreux romanciers africains. En effet, cette pratique consiste à coudre l’organe sexuel féminin, garantie de « la sécurité de la virginité », pour les parents et le futur époux, jusqu’au jour du mariage. Lamine Kamara dénonce à travers ce roman cette pratique traditionnelle inhumaine, voire barbare, comme le ressentent Housseynatou et sa sœur Hassanatou. Il s’agit d’une « excision dite pharaonique » dont l’objectif n’est autre que d’attester que « les filles n’ont connu aucun homme », jusqu’à la nuit de noces. Cette pratique est réalisée soit par l’exciseur, soit par le forgeron du village, sans aucun « produit anesthésique ».

Néanmoins, lors des migrations de Housseynatou depuis Dabola, sa ville d’origine, vers Freetown en Sierra Leone, vers Bordeaux et Paris en France, vers New York aux Etats-Unis, le « notoughol » a sauvé Housseynatou des prédateurs sexuels, car il a découragé plus d’un harceleur et violeur. Mais, lorsque Housseynatou a enfin connu le succès et la possibilité d’un amour réciproque, elle n’a pas souhaité se faire opérer pour « découdre le notoughol », alors que la grande chanteuse aurait pu le faire pour profiter pleinement de sa nouvelle vie. d’une femme indépendante.

Finement, Lamine Kamara démontre tout au long du récit que ce n’est pas le « notoughol » mais la volonté de Housseynatou qui a fait en sorte qu’elle ne succombe pas aux différentes tentations. Le roman dépeint les drames d’une telle tradition, dont les conséquences sont multiples lorsque les organes génitaux de la femme sont défaits, comme ne plus pouvoir accoucher, voire mourir, comme ce fut le cas de sa sœur Hassanatou qui a perdu tant de sang juste en décousant la couture vaginale. Au-delà du « notoughol », le roman de Lamine Kamara n’est en aucun cas un roman à thèse, car l’énigme est passionnante, un peu comme Moll Flandre par Daniel Defoe. La romancière a créé un personnage féminin complexe et courageux, avec lequel le lecteur sympathise. Ainsi, à travers le personnage de Housseynatou, Lamine Kamara livre une fiction qui démontre la force de la volonté individuelle dans la réalisation des rêves, quel que soit le contexte politique, colonial ou postcolonial. Entre tradition et modernité, Lamine Kamara déploie son talent de griot moderne, savant mélange d’oralité dans l’écriture.

* Benaouda Lebdai est professeur universitaire de littérature africaine coloniale et postcoloniale.


Anna

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