« Qui aurait pu le prévoir ? La science, l’expertise et l’action publique ». C’est le sujet qu’ont dû traiter les candidats au concours externe de l’Institut national de la fonction publique (ex-ENA) fin août, lors de l’épreuve de la « question contemporaine ». Un sujet particulièrement bien choisi, qui s’applique au mieux au moment où nous nous trouvons et qui devrait permettre de sélectionner le nouveau type de “décideur” dont nous avons un besoin urgent.
On se souvient que c’est le président de la République lui-même qui, à la stupeur générale, a osé employer cette formule lors de ses vœux du 31 décembre 2022 : “Qui aurait pu prédire (…) la crise climatique aux effets spectaculaires, encore cet été, dans notre pays ? provoquant l’indignation des scientifiques. Et ce, alors qu’une politique de formation des décideurs publics avait été engagée sur ce sujet brûlant et que la climatologue Valérie Masson-Delmotte avait été reçue à l’Elysée pour dispenser une formation express.
Elle a présenté toutes les informations, déjà terriblement inquiétantes à l’époque, dont disposait la science climatique. Les climatologues, mais aussi les physiciens et autres professionnels des sciences exactes, alertent depuis des années sur la réalité des changements en cours et à venir.
Ils ont récemment redoublé d’avertissements, indiquant que la situation est désormais extrêmement dangereuse pour l’ensemble de l’humanité, et que leurs pires prédictions sont actuellement dépassées. Le réchauffement pourrait, selon eux, atteindre 4°C dans un avenir pas trop lointain. points de basculement Les points de basculement climatiques – des seuils critiques qui, une fois atteints, conduisent à des changements irréversibles et à grande échelle – pourraient être franchis dans un avenir très proche.
Comment comprendre alors que les décideurs publics n’aient pas fait de cette question leur priorité absolue depuis des années ? Gouverner n’est-il pas une affaire de prévision et d’anticipation ? N’est-ce pas là l’enjeu absolument essentiel, vital, celui autour duquel tous les autres devraient s’organiser ?
De nombreuses explications ont été avancées, notamment par les sociologues, pour expliquer cet aveuglement des décideurs. Le poids des lobbies, l’influence des marchands de doute, l’enchevêtrement des responsabilités et des compétences jouent un rôle. Mais il faut aussi s’interroger sur la place qu’occupe la science dans l’action publique.
Si l’essentiel des progrès techniques des deux derniers siècles est dû aux sciences exactes, leurs représentants contribuent peu à la décision publique. Rares sont ceux qui font une partie de leur carrière au sein de l’exécutif ou au Parlement. Les médias leur accordent en général peu de place. Eux-mêmes hésitent à s’exprimer publiquement, même si une fraction est engagée, voire appellent désormais ouvertement à la rébellion. Il n’existe aucune structure permettant d’informer ou d’alerter directement les décideurs publics, et rares sont ceux qui ont des contacts directs et réguliers avec eux.
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