« On est assez », un parcours artistique en huit chapitres à Paris
Altération esthétique, foisonnement de propositions et pluralité d’espaces. Environ 500 mètres2, la Galerie 193 et la galerie Carole Kvasnevski, à Paris, présentent « On en a assez », un parcours en huit chapitres réunissant les créations de onze artistes. L’exposition sonde les sociétés africaines et leurs diasporas. Comme un appel à déconstruire les préjugés.
« Parce que les peuples noirs sont dignes à travers le monde malgré le poids de l’histoire, souligne Roger Niyigena Karera, commissaire de l’événement et co-fondateur d’Afrika Artfest. Mais il faut garder à l’esprit que les nations africaines connaissent encore de nombreuses difficultés économiques. Il reste un long chemin à parcourir et la solution viendra de nous, les Noirs, en collaboration avec le reste du monde. »
« Comme un beau livre dont on parcourt les pages »
Pour aborder un thème aussi vaste, il fallait travailler sur une narration facile à comprendre pour les visiteurs, « comme un beau livre dont on lit les pages, avec des transitions claires, visuellement et émotionnellement, sans ordre chronologique ni importance imposés »dit le conservateur.
Chaque artiste doit répondre à une déclaration spécifique qui s’inscrit dans le message global. Le premier chapitre, « Sensibilisation », est représenté par les travaux de Joana Choumali et Modou Dieng Yacine. Originaire d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, le premier a étudié les arts graphiques à Casablanca. Ses peintures dépeignent un univers onirique, comme pour conjurer la violence du monde.
Diplômée des beaux-arts de Dakar et du San Francisco Art Institute, la seconde est née à Saint-Louis, au Sénégal, et présente une série consacrée aux tirailleurs, mêlant notamment photographies d’époque noir et blanc et peinture acrylique, « une manière de me réapproprier mon identité africaine, de recréer un langage et une vision positive de l’histoire de l’homme noir, esclave ou soldat, migrant ou marginal ».
Le chapitre « Identités multiples » met en lumière le travail du photographe sud-africain Zanele Muholi, actuellement exposé à la Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris, jusqu’au 21 mai. Son travail est, selon ses propres mots, un business « activisme visuel » destiné à donner une visibilité, quasi inexistante aujourd’hui, aux Noirs lesbiennes, gays, bisexuels, trans, queers et intersexués.
Grâce à la rubrique « Self Acceptance », Thandiwe Muriu et Evans Mbuga, tous deux nés à Nairobi au Kenya, prônent une force de l’évidence : personne ne choisit sa couleur de peau ou son origine. Le premier propose des portraits photographiques féminins saturés de couleurs et de tissus étranges. » lunettes « , à la limite du trompe-l’oeil. La deuxième rend hommage à ses contemporains, dont il peint des portraits joyeux aux tons vifs, « en captant des moments vécus en famille ou entre amis avec mon appareil photo. Puis je documente ces souvenirs dans mon atelier en peignant sur plexiglas, en tissant le textile ».
Avec April Bey, des Bahamas, on entre dans un monde afro-futuriste pour le chapitre « We are who we are ». Des œuvres aux dimensions parfois généreuses qui mêlent la culture visuelle américaine et bahamienne à la culture pop contemporaine, gorgées de couleurs et de matières. Un univers imaginaire où tout semble possible.
Reflet d’une histoire coloniale commune
Dans l’étape « Renaissance », Modou Dieng Yacine et Willow Evann réaffirment l’importance de reconnaître le passé pour mieux appréhender l’avenir. Originaire de Côte d’Ivoire et vivant en Ile-de-France, le second est plasticien, danseur et photographe. Ses œuvres présentées – deux ensembles composés de multiples carrés de bois en partie imprimés de portraits de Noirs – reflètent une histoire commune, coloniale, africaine et française : « Mes origines, mon identité et mon parcours d’homme noir de la diaspora ivoirienne sont des thèmes récurrents dans mon travail. Et je suis très attaché à l’aspect organique, à la manipulation de matériaux vivants comme le bois. »
Les trois derniers chapitres complètent le voyage. « Dreams », avec le Nigérian Ken Nwadiogbu, propose une vision utopique de la migration voire de l’exil. Le jeune autodidacte interroge les modes de représentation des Noirs à travers des installations intrigantes. Et comme un début en douceur à la conclusion, « Safe Place » présente des œuvres très expressives de l’ivoirien Cédric Tchinan et celles au langage visuel qui semble simplifié du nigérian Abe Ogunlende.
La dernière étape, « Unité et fierté », présente des peintures d’Alexis Peskine. Né en 1979 à Paris dans une famille d’origine russe et afro-brésilienne, l’artiste réalise de grands portraits de personnes issues des diasporas africaines. Avec une technique très particulière : des clous de différentes tailles sont enfoncés avec une extrême précision dans du bois teinté au café, à la terre ou au bissap, et en appliquant de la feuille d’or sur les têtes de ces clous, naissent d’étonnantes images composites. . « Je choisis des personnes dont l’enveloppe physique m’inspire des choses positives. Je les photographie et retravaille leurs images pour qu’elles deviennent des entités. Je transforme l’image en points comme en sérigraphie et je remplace ces points par huit sortes de clous »dit Alexis Peskine.
Pour César Lévy, fondateur et directeur de la Galerie 193, cette exposition permet « présenter une diversité de médiums – peinture, photographie, tapisserie, sculpture sur bois, carton peint… – et de sensibilités afin de montrer la richesse des scènes africaines, dont certaines sont encore méconnues, en renouvelant sans cesse notre proposition. La galerie vise à combattre les idées reçues, à découvrir de nouveaux artistes émergents et à déconstruire de nombreux préjugés ». Avec « Nous sommes assez », l’objectif semble atteint.
« Nous sommes assez », commissaire d’exposition Roger Niyigena Karera, à la Galerie 193 (21 et 24, rue Béranger, 75003 Paris) et à la galerie Carole Kvasnevski (39, rue Dautancourt, 75017 Paris), jusqu’au 27 mai.
Lemonde Arts