Juillet 2021. Renaud Beauchesne, fier propriétaire d’un voilier de 14 mètres amarré en Méditerranée, se lance dans un périple pour ramener son bateau au Québec.
Au matin du 6 juillet, alors qu’il se trouvait à une vingtaine de kilomètres des côtes espagnoles, dans le détroit de Gibraltar, le plaisancier expérimenté s’aperçoit que son safran ne répond plus au pilote automatique. Mais il ne sait pas pourquoi.
Le conseiller stratégique aperçoit alors quelques orques, appelées aussi orques, derrière son bateau : deux adultes et deux bébés. Il contacte les garde-côtes espagnols pour leur dire que le plus gros épaulard, dont on dit qu’il est la mère et qui se trouve à peu près à mi-hauteur du bateau, se trouve sous le bateau. Il lui est conseillé de rappeler s’il n’est plus capable de barrer son voilier.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Renaud Beauchesne raconte La presse son interaction inquiétante avec les épaulards dans le détroit de Gibraltar en 2021.
C’est ce qui se passe quelques minutes plus tard. « Le gouvernail partait dans tous les sens, raconte l’homme de Québec. Les bêtes sont restées une quinzaine de minutes, mais ont causé d’importants dégâts. »
« Je ne suis pas quelqu’un qui a peur normalement, mais je n’ai pas trouvé ça très drôle », ajoute Claude Savard, un ami qui a accompagné M. Beauchesne pour cette partie du voyage.
Alors qu’ils dérivaient, M. Beauchesne a réussi à remettre son bateau en état de marche après quelques heures.
Mais les deux hommes n’avaient encore rien vu. Alors qu’ils redémarrent, ils voient à nouveau des épaulards charger vers eux. « Je suis presque sûr que c’était le même groupe », dit Beauchesne.
Cette deuxième attaque est beaucoup plus violente. « J’ai vu un morceau de safran se détacher du bateau », raconte M. Beauchesne. La mère semblait en colère. Elle grondait comme un chien et donnait des coups de pied dans le fond du bateau assez fort pour me faire descendre de mon banc. »
Affolé, M. Beauchesne tire quelques fusées éclairantes en direction de l’animal, qui ne bronche pas. « J’avais peur qu’elle arrache tout le safran et crée un trou », ajoute-t-il.
Après l’événement, les deux amis amarrent le bateau et procèdent à de nouvelles réparations. Une fois au Portugal, M. Beauchesne procède à une inspection plus détaillée. Diagnostic : pas question de traverser l’Atlantique.
Il part finalement pour Québec avec trois jours de retard et 5 000 $ de réparations.

PHOTO FOURNIE PAR RENAUD BEAUCHESNE
L’état du gouvernail après le passage des orques
Un phénomène de plus en plus fréquent
Les rencontres entre bateaux et orques dans le détroit de Gibraltar sont devenues de plus en plus fréquentes depuis le premier événement, enregistré en 2020. Plusieurs bateaux ont été endommagés voire coulés après être entrés en contact avec ces bêtes et des groupes Facebook dédiés au phénomène ont vu le jour. Une douzaine d’événements ont été signalés depuis janvier, a récemment rapporté le Poste de Washington.

PHOTO JONATHAN HAYWARD, ARCHIVES DE LA PRESSE CANADIENNE
Groupe d’épaulards dans le détroit de Chatham, en Colombie-Britannique, en 2018
Les experts n’ont pas encore expliqué la cause du phénomène. Jointe au téléphone, Anaïs Remili, doctorante spécialisée sur les orques, émet plusieurs hypothèses. D’emblée, elle sème le doute sur le scénario digne d’Hollywood, selon lequel une mère vengeresse serait responsable de tous les attentats. « Ce n’est pas impossible, mais c’est invraisemblable. Plusieurs personnes nagent avec des épaulards en Norvège et il n’y a jamais eu d’attaque », dit-elle.
Selon Anaïs Remili, la théorie privilégiée serait celle du jeu. Les animaux, qu’elle décrit comme étant « les seigneurs de l’océan », possèdent « une intelligence remarquable. »
Le scientifique pense qu’il est possible que les orques aient découvert le plaisir de jouer avec les gouvernails et l’aient partagé avec leurs camarades. Cela concorde avec le témoignage de M. Beauchesne, qui prétend que les deux « bébés » ont aussi attaqué son gouvernail.
Mmoi Remili cite un autre exemple où ce phénomène de transmission de comportement a eu lieu. « En 1987, sur la côte ouest, une femelle a commencé à porter un saumon mort sur sa tête sans raison apparente. Ce comportement s’est répandu parmi la population d’épaulards de la région, qui ont tous porté un saumon mort sur leur tête pendant une saison. »
Autre hypothèse possible : la surpêche du thon rouge, proie favorite des épaulards, les aurait peut-être contraints à modifier leurs déplacements.
La résurgence du trafic maritime dans le détroit après l’accalmie de la pandémie pourrait aussi avoir piqué la curiosité des mammifères.
En tout cas, Anaïs Remili préfère parler « d’interactions » plutôt que « d’attaques ». « De toute évidence, lorsqu’un épaulard endommage un bateau, il s’agit plutôt d’une interaction négative, mais ce ne sont pas des attaques », a-t-elle déclaré.
canada-lapresse